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Manuel Cabit, K.-O. debout

Par Alexandre Aflalo
7 minutes
Manuel Cabit, K.-O. debout

Gravement blessé dans un accident de voiture dimanche, l'arrière gauche du FC Metz Manuel Cabit a peut-être disputé dimanche face à Montpellier son dernier match de football. Opéré de la colonne vertébrale et toujours hospitalisé, le joueur de 26 ans, qui découvre la Ligue 1 cette saison, souffre d'une « insensibilité des membres inférieurs » qui ne laisse rien présager de bon. Un tournant tragique qui rappelle tristement l'accident dont avait été victime Kévin Anin en 2013. La semaine dernière, Manuel Cabit confiait d'ailleurs qu'il considérait Anin comme son « grand frère ». Appelez ça le destin si vous voulez.

Le sort a parfois des façons bien cruelles de nous rappeler sa qualité première : l’ironie. Samedi 2 novembre 2019, alors que le FC Metz accueille Montpellier à Saint-Symphorien, l’arrière gauche martiniquais Manuel Cabit est mis à l’honneur par son club, qui lui consacre la Une de son programme d’avant-match « La Gazette de Saint-Symph’ » . À l’intérieur, une interview dans laquelle la recrue estivale retrace son parcours, et évoque notamment ses années sochaliennes et une amitié fraternelle tissée avec un certain Kévin Anin, ancien footballeur devenu paraplégique à la suite d’un accident de voiture : « Kévin, c’est comme un grand frère pour moi. Lors de mes années sochaliennes, j’étais très souvent chez lui. C’est une personne vraiment très forte mentalement. Le football est aujourd’hui derrière lui et il a réussi à digérer ce qu’il lui est arrivé. »

Lundi après-midi, moins de deux jours après la publication de cette interview, le FC Metz annonce dans un communiqué que deux de ses joueurs ont été impliqués dans un accident de voiture intervenu dimanche. Il s’agit de Kévin N’Doram et de Manuel Cabit. Les premiers échos sur les circonstances de l’accident évoquent un véhicule lancé à plus de 180 km/h, avec quatre passagers à son bord, et une sortie de route sur l’A4 entre Reims et Paris. Au volant, le fils de la légende du FC Nantes, « contrôlé négatif à l’alcool et aux stupéfiants » selon le procureur de Reims, est sorti indemne du choc. Pas Cabit. Opéré lundi du rachis lombaire selon L’Équipe, il souffre d’après l’AFP d’une « insensibilité des membres inférieurs » . Sur Twitter, la compagne du joueur tente de rassurer, distillant au compte-gouttes les informations sur son état de santé. « Il se porte bien, il a quelques petits soucis, mais il est entre de bonnes mains et c’est un battant, rapporte-t-elle. Le principal est qu’il soit en vie. »

Champion de France U17 avec Sochaux

Vingt-quatre heures plus tôt, en plus de sa tête en Une de la Gazette, le forfait prolongé de Thomas Delaine permettait à Manuel Cabit d’enchaîner une troisième titularisation de suite en Ligue 1. À la 26e minute, il offrait même son huitième but de la saison à Habib Diallo, délivrant sa toute première passe décisive dans une élite qu’il découvrait cette saison avec Metz. L’aboutissement, à 26 ans, d’un début de carrière à reculons qui aura vu Manuel Cabit gravir un à un les échelons, du foot amateur à la Ligue 1, après son départ du centre de formation du FC Sochaux. Son ancien formateur, Fabrice Vandeputte, aujourd’hui à Caen, se souvient d’un « bon gamin, attachant » , arrivé à 15 ans de la Martinique avec « des qualités athlétiques, techniques et un très bon pied » . À un poste de milieu gauche, plutôt offensif, il était l’un des piliers de l’équipe sochalienne championne de France des U17 en 2010 aux côtés de Sanjin Prcić, Petrus Boumal ou Jérôme Roussillon, s’offrant même l’un des quatre buts sochaliens en finale du championnat face au PSG (4-4, 4-2 tab). Mais là où ses trois camarades cités plus haut signent tous pro chez les Lionceaux, Manu, lui, reste sur la touche. « Lorsqu’on m’a annoncé la nouvelle, je n’y croyais pas trop, car j’avais tout de même réalisé deux belles saisons, racontait-il dans la Gazette. Je n’ai pas vécu ça comme un échec, mais plutôt comme une épreuve et ça m’a forgé. »

Retour à la case départ, donc. En 2012, Manuel Cabit décide d’aller chercher sa seconde chance dans le football amateur. Il la trouvera à Aubervilliers, en CFA : « Il est venu pour faire un essai et vu qu’il venait de Sochaux, comme moi, je l’ai gardé, » raconte Abdellah Mourine, le coach de l’époque. À Auber, l’actuel entraîneur du FC Saint-Leu 95 a pour philosophie de relancer des joueurs qui se sont pété les dents sur la dure loi des centres de formation. « Quand ils viennent chez moi, ils bossent. Ça les forge, et ça leur sert pour la suite de la carrière » , théorise Mourine. Cabit est jeune, mais il grappille quelques minutes de temps de jeu dans un effectif où il côtoie des joueurs plus aguerris. À l’été 2013, il décide de tenter sa chance à Chambly. Mais la concurrence aura raison de lui. « Il a joué quelques matchs avec l’équipe première, mais il a surtout joué avec la réserve, se souvient l’entraîneur Bruno Luzi. Il y avait des joueurs établis à son poste, avec un certain statut. Au bout de six mois, il a eu une opportunité ailleurs et il est parti. »

« Un mort de faim »

Effectivement, six mois après son arrivée à Chambly, il décide de s’exiler et d’aller chercher son temps de jeu à Belfort. Le Martiniquais débarque en février 2014 sous la neige de Franche-Comté, pour un essai qui accouchera d’un énorme coup de bol. « Il devait faire un essai d’une semaine, et finalement il y a eu beaucoup de blessés chez nous et on l’a pris comme ça, raconte l’ancien entraîneur de Belfort Maurice Goldman. Sa deuxième semaine au club, on rencontrait la réserve de l’OL. On avait besoin d’un défenseur, alors je l’avais mis arrière gauche, au marquage de Rachid Ghezzal, sans même avoir eu le temps de voir s’il était bon. Il n’avait pas de rythme, mais il s’en est bien sorti. » Le nouveau venu devient rapidement la « mascotte » d’une ASMB qui se sauve miraculeusement cette saison-là. « Quand il arrive, on était relégables. Dès qu’on l’a mis dans l’équipe, on a aligné 6 ou 7 matchs sans défaite, et ça nous a permis de nous maintenir » , se souvient l’entraîneur. La saison suivante, Belfort monte en National malgré son budget famélique, avec un Cabit qui brille. Goldman décrit un « mort de faim » , qui avait « constamment la banane » et armé d’une motivation tirée d’un début de carrière « heurté » : « On adore ce type de joueurs, revanchards après leur passage en centres de formation. Il avait le talent, on l’a relancé, c’est tout. Il avait la même force que Dimitri Liénard, qui est aussi passé chez nous : un énorme état d’esprit. »

J’aime, j’aime pas

Reconverti arrière gauche, Manuel Cabit retrouve ses automatismes, son talent, sa hargne. « Quand il est venu, dans sa tête, il préférait jouer milieu gauche, se rappelle Goldman. Moi je lui ai dit « écoute Manu, j’en ai rien à faire, nous on t’a recruté parce qu’on n’a plus de défenseurs, donc tu joues défenseur gauche, et on verra. »À force de jouer, il a vu qu’il était bien meilleur arrière gauche et il s’est installé là. » Surtout, il bosse d’arrache-pied pour continuer sa progression. L’année de la promotion de Belfort, il rejoint Béziers, son soleil et son projet sportif, déjà installé en National depuis la saison précédente. Une nouvelle saison accomplie lui ouvrira les portes du monde pro, le vrai : en 2016, il découvre la Ligue 2 avec l’AC Ajaccio. « Il fait sans doute partie des joueurs à qui il fallait plus d’années pour passer pro » , concède Goldman. Au fil des saisons, il devient tout de même un titulaire solide du onze d’Olivier Pantaloni. « Ce qui est admirable, c’est qu’il est passé par toutes les catégories et qu’il est remonté à chaque fois, juge Fabrice Vandeputte. Il s’est accroché pour en arriver où il est maintenant. Ça ne m’a pas étonné qu’il puisse rebondir et qu’il arrive en Ligue 1 au début de cette saison. Il a toujours eu des qualités, mais je pense qu’il a aussi grandi dans sa tête, il a fait des efforts. » À Metz, comme à Ajaccio, comme à Béziers, comme à Belfort, ces efforts lui avaient permis de progresser, d’avancer, de repousser ses limites. Des années de dur labeur peut-être réduites à néant à cause d’un foutu accident de la route. Difficile de ne pas ressentir une forte injustice. D’ailleurs, dans son interview à la Gazette, se prêtant au jeu du « J’aime / J’aime pas » , il plaçait « l’injustice » en première place dans la colonne des « j’aime pas » . Juste en face, dans la liste des « j’aime » , on pouvait lire deux autres mots : « les voitures » .

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Par Alexandre Aflalo

Tous propos recueillis par AA, sauf mentions

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