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Manuel Abreu : « Le foot que j’aimais a été tué par la Covid »

Propos recueillis par Adrien Hémard
7 minutes
Manuel Abreu : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Le foot que j&rsquo;aimais a été tué par la Covid<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Ancien joueur du Stade de Reims et du PSG, et passé par plus d’une dizaine de clubs de N2 & N3 en tant qu’entraîneur, Manuel Abreu a claqué la porte du Cormontreuil FC (R1) la semaine dernière et décidé d’arrêter le foot, après 40 ans de service. Rien à voir avec ses dirigeants ou ses joueurs : si l’entraîneur de 61 ans a décidé de « stop au foot », c’est à cause des conséquences de la Covid-19 sur le monde amateur et du manque de soutien de la FFF. Il s’explique.

Bonjour Manuel, vous venez de quitter votre poste d’entraîneur de Cormontreuil (R1), juste avant le reconfinement. Comment ça va ?Je vais bien, ma famille va bien : égoïstement, c’est l’essentiel par les temps qui courent. Après pour être complètement transparent et honnête, je suis presque soulagé d’avoir quitté mes fonctions d’entraîneur. En pleine saison, ce n’était pas une décision facile à prendre, mais le foot amateur tel qu’on le vit actuellement, ce n’est pas mon foot. Ce n’est pas comme ça que je le conçois. Le foot que j’aimais a été tué par la Covid.

Vous avez annoncé votre décision dans un post Facebook où vous dites « stop au foot ». Pourquoi ?
Cette lassitude vient de la crise sanitaire. Et malheureusement, cet environnement actuel, je pense qu’il va durer pendant encore de longs mois. J’espère me tromper pour tous les amoureux du foot, mais je suis pessimiste. Les clubs amateurs et leurs joueurs ont beaucoup de mérite depuis le début de la crise. Tous ont fait énormément d’efforts pour s’adapter, pour respecter les mesures barrière, personne ne peut les blâmer. En revanche, les instances, la FFF surtout, puisque les Ligues n’en sont que les porte-paroles, font peu de cas du monde amateur.

Les gens de la fédération me font penser à ces hommes politiques qui découvrent le prix d’un pain au chocolat au détour d’une interview.

Qu’est-ce que vous reprochez à la FFF ?Aux yeux de la fédération, le foot amateur est la dernière roue du carrosse. Les clubs amateurs sont très peu considérés. La FFF nous a beaucoup demandé, on a fait. En retour, le foot amateur n’a rien eu ou presque. Les gens de la fédération sont très loin de la réalité de terrain. Ils me font penser à ces hommes politiques qui découvrent le prix d’un pain au chocolat au détour d’une interview. Ils sont déconnectés des difficultés des clubs amateurs, ne montrent aucune compassion, aucun soutien financier, alors que la situation est critique et que des dizaines de clubs risquent de mettre la clé sous la porte.

Concrètement, quel était l’impact de la Covid sur votre façon d’entraîner ?Avec les mesures sanitaires qu’on applique et qu’on comprend, la situation est devenue invivable. Le club, c’était devenu l’usine : il fallait se préparer le plus vite possible, s’entraîner, puis repartir le plus vite possible. Pour moi, le foot, c’est de l’humain avant tout, surtout au niveau amateur. Or là, tous les moments d’échanges, de convivialité, que ce soit les vestiaires, le club house, les restos d’après-match, avaient disparu. Le masque a tout tué. Dans ces conditions, monter un groupe avec une vie de vestiaire, etc., c’est devenu impossible. Quand je vois mes joueurs obligés de se déshabiller sur le banc de touche, alors qu’il pleut à seaux, par exemple, ça décourage. Mes causeries d’avant-match, je devais les faire en extérieur. Là, avec l’hiver, ça devenait sympathique… Je ne pouvais pas convoquer les joueurs aussi longtemps qu’en temps normal. La vie de groupe était réduite au néant. Et en tant qu’entraîneur, c’est ce qui me faisait avancer, plus que la tactique encore. Là, je ne m’y retrouvais plus.

Je rentrais le soir très irrité, j’étais sur les nerfs tout le temps. Je n’arrivais plus à dormir, alors que je ressentais une énorme fatigue physique et psychologique. J’ai même cru que j’avais attrapé la Covid, alors que c’était à cause du foot.

À quel moment avez-vous dit stop ?Je rentrais le soir très irrité, j’étais sur les nerfs tout le temps. Je n’arrivais plus à dormir, alors que je ressentais une énorme fatigue physique et psychologique. J’ai même cru que j’avais attrapé la Covid, alors que c’était à cause du foot. À un moment donné, je me suis posé les bonnes questions. Je ne voulais pas en arriver à manquer de respect à mes joueurs à cause du contexte. J’étais devenu impatient, moins compréhensif. Et quand je criais sur les joueurs, je savais qu’au fond, ce n’était pas de leur faute. Quand j’ai réalisé cela, j’ai décidé d’arrêter. Je vis du foot depuis mes 17 ans, et là, pour la première fois, j’ai eu le sentiment de ne pas mériter mon salaire, aussi modeste était-il. J’en ai parlé à mon président, à mes joueurs. J’ai fait les choses proprement, et je suis parti quelques jours avant le reconfinement qui, justement, vient me conforter dans ma décision. On en reprend pour un mois minimum, un mois crucial pour le foot amateur parce qu’il y a la Coupe de France, avec l’objectif de faire des résultats pour sauver les meubles financièrement.

En mars dernier, avec votre ancien club de Reims Sainte-Anne, vous avez loupé la montée en N3 à cause de l’arrêt des compétitions, alors que vous étiez à égalité avec les premiers. Ça a pesé dans votre décision ?Très sincèrement, si je vous disais que non, je mentirais. Bien sûr que cette déception de mars joue aussi aujourd’hui sur ma décision d’octobre de quitter mon club et d’arrêter le foot. Rater la montée alors qu’on était en tête, avec un match joué en plus certes, j’ai trouvé ça injuste, mais je l’ai accepté, je n’ai pas eu le choix. Plusieurs clubs ont vécu ça, personne n’a eu le choix. C’était encore dans un coin de ma tête parce que ça reste difficile à avaler.

Plus le niveau sportif est bas, plus grandes sont les difficultés en ce moment. En toute modestie, si mon coup de gueule peut faire prendre conscience à la FFF que ça va très mal en bas…

Si vous aviez été en poste dans un club semi-pro ou pro, vous auriez eu la force de continuer ?Bien sûr, ça aurait été plus facile à traverser. Plus le niveau sportif est bas, plus grandes sont les difficultés en ce moment. En toute modestie, si mon coup de gueule peut faire prendre conscience à la FFF que ça va très mal en bas… La priorité, ce sont ces petits clubs. La crise économique va tuer le foot amateur, puisqu’elle va toucher les sponsors qui aident les clubs de ce niveau-là, on l’a senti dès cet été. Je ne veux pas passer pour le chevalier blanc ou lancer un mouvement de démissions. Quand j’ai décidé d’arrêter, c’était la mort dans l’âme. Le pire, ça a été de quitter mes joueurs, j’avais peur que ça passe pour une trahison, alors que pas du tout.

C’est un au revoir ou un adieu ?On ne sait jamais ce qu’il peut se passer, mais oui, a priori je vais devenir un simple spectateur du foot. Je ne sais pas combien de clubs j’ai faits, combien de titres j’ai gagnés : je m’en fous. À la fin, ce qui reste, ce sont les rencontres. Et là, j’ai reçu des tas de messages de remerciement depuis que j’ai dit stop au foot : c’est la plus belle des médailles. Mon but était d’aider mes joueurs à progresser sur le terrain et en tant qu’hommes. Beaucoup me disent aujourd’hui que c’est le cas, ça me suffit. Je serai officiellement en retraite à partir du 1er février 2021. Je n’avais pas prévu de la prendre aussi tôt… Cette saison, je m’étais engagé dans ce dernier projet qui était spécial, parce que mon fils jouait dans l’équipe. Je trouvais ça sympa de finir comme ça. Mais bon… J’ai aussi des projets hors foot, pas forcément pour travailler. Je ne sais faire que du foot de toute façon, j’en fais depuis 40 ans… Avec mon épouse, on est d’origine portugaise, l’objectif est d’aller au Portugal pour notre retraite. On va pouvoir faire nos valises.

Dans cet article :
Reims freine Monaco
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Propos recueillis par Adrien Hémard

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