- France
- Histoire
Manouchian au Panthéon : une reconnaissance du football populaire
Pétitions, colloque au Sénat, prises de parole politique : l’idée de faire entrer le couple Manouchian, Missak et Mélinée, au Panthéon fait son chemin. Cette reconnaissance de l’exemplarité républicaine et du sacrifice patriotique de ces deux destins éclaire l’ensemble du célèbre groupe FTP-MOI, emblématique de la résistance ouvrière, communiste et immigrée, dont Rino Della Negra et par ricochet le foot populaire.
Missak Manouchian était le chef d’une section combattante FTP-MOI (Main d’œuvre immigrée), dont le visage était placardé sur la célèbre « Affiche rouge » diffusée par la propagande nazie il y a 79 ans jour pour jour. Il a été exécuté le 22 février 1944, avec ses camarades, par les forces d’occupation allemandes. Des héros immortalisés par le poème d’Aragon, repris par Léo Ferré, principalement issus de la classe ouvrière, des rangs communistes ou de ses environs, et bien sûr de l’immigration arménienne, juive ashkénaze, italienne… Parmi ces derniers, un dénommé Rino Della Negra. Un gamin de 20 ans, issu des quartiers pauvres d’Argenteuil en banlieue parisienne, du quartier Mazagran – rebaptisé « Mazzagrande » par l’importante communauté de « Ritals » qui s’y est installée. Une petite Vénétie où il apprit l’antifascisme et le football. Depuis quelque temps, le personnage est devenu la figure tutélaire du kop du Red Star, un club historique dans lequel il évolua avant de basculer dans la clandestinité. Les historiens Dimitri Manessis et Jean Vigreux d’ailleurs lui ont consacré un livre, Footballeur et partisan aux éditions Libertalia.
Della Negra et tous les autres
L’entrée de Missak Manouchian au Panthéon constituerait naturellement la reconnaissance de « son itinéraire, ses engagements, son combat et son sacrifice (…) symbolisant l’action de tous les résistants étrangers, de tous les résistants communistes », selon les mots de Denis Peschanski, directeur de recherche au CNRS, dans une tribune publiée chez Libération. Il s’agirait aussi indirectement de la reconnaissance de la place du football dans la construction de notre culture nationale. Et derrière un nom prestigieux, le souvenir de tous ces footballeurs résistants. Des parcours fort divers, d’Antoine Raab, joueur allemand du Stade rennais qui refuse de s’enrôler dans la Wermacht avant de rejoindre la résistance du côté de Nantes, à Oscar Heisserer, un Alsacien qui a disputé la Coupe du monde 1938 et s’est engagé en 1943 dans les Forces françaises libres. Sans oublier tout ce que le foot doit à la résistance.
Rappelons-nous de Paul Guezennec et de son rôle à l’En Avant Guingamp. Cet instituteur de son métier, lui-même ancien joueur du club, fut un grand responsable des francs-tireurs et partisans durant l’Occupation. À la direction de l’EAG, avant Noël Le Graët, il assistera à l’ascension sportive du club breton jusqu’au niveau professionnel à la fin des années 1970. Les noms de certains stades actuels en gardent aussi la trace, d’Auguste Delaune à Reims à Auguste Bonal à Sochaux, un des rares patrons résistants, mort en déportation. Il est aussi question de la reconnaissance du foot populaire, parfois résumé dans le terme amateur, qui existe dans les effectifs de la FFF ou de la FSGT (ou le jeune Rino joua dans les rangs de la Jeunesse sportive Jean-Jaurès, un autre panthéonisé). C’est aussi la reconnaissance de la place de ces étrangers dans l’histoire de France, notamment quand ils tapèrent le ballon dans toutes les équipes et à tous les niveaux du foot tricolore. Car le foot fait la France. Les immigrés et leurs enfants y défendirent nos couleurs communes. Cela mérite une petite place, même par procuration, dans le temple de la République, grâce à une belle transversale qui survole l’Hexagone de Charles Péguy à Zinédine Zidane.
Par Nicolas Kssis-Martov