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Manchester United et l’acceptation de la médiocrité
Depuis plus de trois ans, c’est un chantier qui semble permanent. Habitué pendant deux décennies à régner sans partage, Manchester United n’est plus que l’ombre du club qu’il prétend être. Sans souffle et sans inspiration malgré trois managers depuis le départ de Ferguson, les Red Devils continuent de marcher vers l’inconnu, seuls.
Juché dans son fauteuil, l’ancienne figure tutélaire a le regard impassible. La posture stoïque et le chewing-gum inlassablement mâché malgré un Théâtre des rêves qui n’en a plus que le nom. Sir Alex Ferguson se tient présent dès qu’il le peut à Old Trafford, non loin de la tribune érigée en son nom et qui représente un pan d’histoire déjà lointain. Plus de trois ans après son départ, l’iconique manager écossais s’est astreint à ne pas dire un mot sur son Manchester United. Pas un seul. Pour ne jamais perturber le travail de ses successeurs et laisser l’histoire s’écrire sans lui. Sauf que depuis que son trône est vacant, le club qu’il a façonné et hissé vers des hauteurs censées devenir la norme s’est enlisé. Encore et encore. Au point de rentrer progressivement dans le rang comme une vulgaire formation de milieu de tableau. L’institution mancunienne sombre inéluctablement. Et Fergie, impuissant, assiste à la chute. Toujours sans prononcer la moindre parole. Alors qu’il aurait sans doute tant à dire.
Au diable la fierté et l’ambition
Il y a d’abord les chiffres. Tous plus accablants les uns que les autres. Actuellement, les Red Devils pointent à une indécente sixième place en Premier League (vingt et un points glanés). Soit à treize longueurs de Chelsea et onze du premier relégable. Surtout, ils n’affichent que cinq succès en quatorze journées de championnat, dont un seul décroché à Swansea (3-1) depuis septembre. Toutes compétitions confondues, le bilan devient plus affligeant encore avec douze victoires en vingt-trois rencontres. Intolérable et inacceptable. Mais, au fond, c’est une piètre courbe de résultats qui s’étire dans le temps. Après autant de journées, David Moyes récoltait vingt-deux unités en 2013-2014. Pour sa première campagne, Louis van Gaal, lui, en totalisait vingt-cinq avant de faire mieux lors de sa seconde et dernière avec vingt-huit. A contrario, Ferguson avait déjà pris un rythme de champion à la même époque lors de son dernier exercice (trente-trois points).
Derrière les statistiques probantes, c’est le manque d’ambition qui semble aujourd’hui caractériser le mieux United. Et, là encore, c’est un fait indubitable qu’on retrouve depuis l’ouverture de l’ère post-Ferguson. Engoncé dans un costume qui était trop large pour lui, Moyes s’était sabordé en faisant de Manchester un simple faire-valoir au détour de déclarations malvenues, comme celles presque surréalistes où il assurait que Liverpool était « favori » à l’aube d’un derby où les Red Devils devaient « aspirer » aux standards du rival honni de City. Van Gaal a refusé la posture de victime, mais s’est illustré bien malgré lui pour mettre en lumière le fait que la maison mancunienne n’avait plus rien d’un épouvantail. Le manager néerlandais s’est entêté et se complaisait dans un football de possession au détriment des résultats, sans oublier de parler constamment de « processus » , de « transition » et d’attentes trop élevées au regard des circonstances. De guerre lasse, le peuple rouge a fini par être usé et son soutien au « Pélican » s’est inexorablement érodé.
Les idées mènent à la raison
Comme à l’accoutumée, son successeur José Mourinho a débarqué avec son ego boursouflé, ses punchlines, et même pétri de bonnes intentions, exhortant les fans à « oublier les trois dernières années » . Les desseins étaient distinctement clamés, mais le début de saison lugubre a d’ores et déjà ébréché un peu plus la stature du Portugais. Il suffisait simplement de tendre l’oreille ce week-end, après un troisième nul d’affilée concédé face à Everton (1-1), dont il porte la majeure partie des responsabilités en raison de son coaching frileux, pour voir la caricature du Special One en action : « Si vous dites que dans un seul de nos matchs nuls, l’adversaire était plus près de gagner, je vous dis que c’est complètement faux. Nous étions la meilleure équipe de loin, mais nous n’avons pas gagné. » Le discours, souvent escorté aussi de sempiternelles plaintes envers l’arbitrage, ne suffit plus à occulter des carences de plus en plus voyantes. United patine, car le Mou n’a plus de principes de jeu – ou alors minimalistes –, de philosophie, voire le semblant d’un projet cohérent esquissé. Tout l’inverse de Conte, Guardiola, Klopp ou encore Pochettino, qui ont prouvé en peu de temps dans leur club respectif que l’adhésion d’un groupe résultait avant tout d’idées claires et communément admises.
Au-delà d’un style et d’une identité collective qui peinent à se dégager, c’est l’essence même du club qui semble s’être évaporée. Un fil conducteur qui n’a jamais varié durant plus de deux décennies. En 2013, Louis Saha, ancien Red Devil (2004-2008), nous confiait combien à United transpirait « cette excellence, ce souci des performances et cette demande quotidienne de toujours chercher la victoire » . Récemment, Gary Neville, observateur avisé de MU, a, lui, lâché une phrase lourde de sens. Peut-être aussi véridique : « La League Cup devient importante. » Voilà où en serait donc un club qui pèse vingt couronnes nationales. Comme si toute l’entité mancunienne, gagnée par le défaitisme, avait fini par accepter la médiocrité. En son temps, Sir Matt Busby assurait que « United n’est pas un club, c’est une institution. J’ai l’impression que les attentes dépassent les moyens d’un simple être humain » . Alex Ferguson l’avait compris et a acquis l’éternité. Mais José Mourinho peut-il, lui aussi, dépasser sa simple condition de mortel pour y parvenir ?
Par Romain Duchâteau