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- Rostov-Manchester United
Manchester, la cicatrice Volgograd
Le 26 septembre 1995, alors que Manchester United pensait avoir assuré en Russie lors du match aller de son premier tour de Coupe de l'UEFA, le Rotor Volgograd venait arracher sa qualification au bout d'une baston marquée par un but égalisateur de Peter Schmeichel. À l'heure où les Red Devils s'apprêtent à défier Rostov, une rétro s'impose.
Il est debout, devant son siège de la tribune Sud, et pointe de l’index les aiguilles de sa montre. Le visage fermé, les traits tirés, Sir Alex Ferguson n’avait pas prévu de se retrouver dans une telle posture. Autour de lui, Old Trafford a rangé les doutes des premiers mois et a déjà commencé à s’habituer au succès. Parler de révolution n’est alors plus d’actualité, on parle désormais d’ajustement. Un peu moins de neuf ans après son arrivée à Manchester United, celui qui n’est encore qu’Alexander Chapman Ferguson peut se coucher le soir auprès de Cathy, sa femme, avec le regard posé sur sa dizaine de trophées déjà grattés : deux championnats d’Angleterre (1993, 1994), deux FA Cup (1990, 1994), une League Cup (1992), trois Charity Shield (1990, 1993, 1994), une C2 en 91 et une Supercoupe d’Europe contre l’Étoile rouge de Belgrade la même année. L’ajustement, donc, ce sera pour l’été 95 après avoir terminé à un point de Blackburn, champion, en Premier League. Paul Ince a filé à l’Inter, Mark Hughes a signé à Chelsea et Andrei Kanchelskis a dégagé sous les couleurs d’Everton. Ferguson doit donc s’adapter ou changer radicalement. L’Écossais flirte un temps avec Overmars et Baggio, mais décide finalement de modifier le visage de son Manchester United. Le futur, ce sera avec des gosses, des oisillons, ce qui explique les crispations des premières semaines de la saison 1995-96, à commencer par ce soir de septembre où United reçoit le Rotor Volgograd pour le premier tour de la Coupe de l’UEFA. Tout ça à Old Trafford où MU ne s’est alors jamais incliné sur la scène européenne au cours de son histoire. Il est un peu moins de 22 heures sur Manchester, le 26 septembre, et Ferguson ne tient plus en place.
La montagne à escalader
La phrase est depuis entrée dans l’histoire. Le 19 août 1995, Aston Villa balaye Manchester United (3-1) en ouverture du championnat. L’ancien international écossais Alan Hansen tire alors dans tous les sens et balance ceci : « Vous ne pouvez gagner quoi que ce soit avec des enfants. » Pour Ferguson, c’était le moment de lancer ce qui restera dans l’histoire comme la Class of ’92, une bande de gamins seulement entourée par des gueulards (Bruce, Keane, Schmeichel). Après la gifle de Villa Park, il y aura cinq victoires consécutives et un nul solide (0-0) en Coupe de l’UEFA à l’aller du côté de Volgograd, référence russe des années 90. Au moment de jouer le retour, Ferguson est alors clair avec ses joueurs : « Si on ne prend pas de but, on passera, car je sais qu’on aura des occasions. » Et en vingt-quatre minutes, le Rotor crache sur le script : Vladimir Niederhaus ouvre d’abord le score au milieu d’un bordel d’alignement puis, sur une sale erreur de Hughes, Oleg Veretennikov retourne Old Trafford : 0-2, juste avant la demi-heure de jeu. Après la rencontre, Ferguson racontera que sur ce début de match, Manchester United s’est retrouvé face à « une montagne à escalader » . Et aussi un record à sauver.
Sur la tête de Peter
La suite n’est qu’une longue souffrance au milieu d’une nuit où la bande à Ferguson va voir deux ballons sauvés sur la ligne, une frappe s’exploser sur le poteau, une autre mourir sur la barre d’Andrei Samorukov. Puis, Paul Scholes va réduire la marque à l’heure de jeu au cœur d’un cafouillage, alors que United attend toujours le retour d’un Cantona suspendu. De cette soirée, Sir Alex Ferguson en parle comme d’un repère décisif dans ce qui bâtira ses conquêtes futures. C’est aussi la confirmation du Fergie Time, de l’identité United, des promesses de la jeunesse, mais surtout que Peter Schmeichel pouvait être un buteur dingue quand on avait besoin de lui. C’est lui qui égalisera de la tête dans les arrêts de jeu de la rencontre. Juste assez pour exciter une dernière fois Ferguson dans une soirée bordélique, mais pas assez pour se qualifier. Old Trafford n’est pas tombé et ne tombera que la saison suivante face à la Juventus. Oui, après cette élimination, les gosses sont rapidement devenus des hommes et soulèveront en mai le premier doublé FA Cup-championnat de leur histoire commune. Reste qu’à jamais, le 26 septembre 1995 restera comme le jour où le Rotor, depuis disparu, a traumatisé Old Trafford. Le premier pic d’une Russie qui a toujours fait chier Manchester United. Rostov est prévenu.
Par Maxime Brigand