- C1
- Finale
- Manchester City-Inter (1-0)
Manchester City gagnant : la mort du football d’avant
Manchester City a remporté sa première Ligue des champions, ce samedi 10 juin. Avec ce succès s'est dessinée la réussite d'un football nouveau. Celui des clubs États ou des budgets illimités, venu ringardiser l'histoire et la tradition.
Le 29 avril 1970, le Prater de Vienne sonne bien creux. Malgré la douceur du printemps autrichien, ils ne sont en effet que 7 000 à voir Tony Brook soulever la Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe, au terme d’une bataille rangée voyant Manchester City triompher des Polonais du Górnik Zabrze (2-1). Les Skyblues étrennaient alors leur premier et seul trophée continental, avant une longue (très longue) traversée du désert. Car 38 ans durant, City disparaît des radars, n’enquillant qu’une breloque (une Coupe de la Ligue en 1976) et enchaînant les passages à l’échelon inférieur. Tout cela, avant qu’un après-midi d’août 2008 ne vienne instaurer un nouvel ordre mondial dans le microcosme déjà indécent du football. Racheté par le City Group d’Abu Dhabi, le club de la lose se transforme en machine à cash et gaspillage, ringardisant tour à tour – et comme Chelsea avant lui – des monuments nommés Manchester United, Liverpool et Arsenal. Les succès en Premier League, FA Cup et League Cup se normalisent, tracés à coups de joueurs géniaux, mais surtout de billets jetés inconsidérément sur le marché des transferts. En guise de ponctuation, ce samedi 10 juin 2023 à l’Atatürk d’Istanbul, venu consacrer d’une Ligue des champions cette institution que l’histoire aurait longtemps pensée anonyme.
Le poids de l’histoire
Pour se faire une idée du basculement hiérarchique offert par cette joute stambouliote, il suffit de se plonger dans son contexte. Dans l’imaginaire collectif, les trois C1 de l’Inter ne pesaient effectivement pas grand-chose devant la créature économique City. Un sérieux paradoxe, tant le poids historique des Nerazzurri a été balayé par ce nouveau riche, raflant tout depuis son rachat par les Émirats arabes unis. Les plus romantiques diront alors que l’entraîneur citizen se nomme Pep Guardiola, allégorie du beau jeu, et que son effectif ne compte pas de « stars », Kevin De Bruyne et Erling Haaland exceptés. Mais la réalité, elle, dira que le chef d’orchestre catalan, en place depuis août 2017, a dépensé 1,3 milliard d’euros en six ans pour bâtir son écurie victorieuse.
Seize ans auparavant, aucun amateur de ballon n’aurait d’ailleurs envisagé assister à pareille affiche, encore moins dans pareille compétition. Évidemment, l’Inter, le Real Madrid, le FC Barcelone ou le Bayern Munich sont loin d’exercer dans le bénévolat, mais en l’état, ces quelques clubs cités ont construit leur puissance quasi séculaire par la victoire sportive. Non l’inverse. Et si en 1999, Manchester United réalisait l’unique triplé anglais (Ligue des champions, Coupe d’Angleterre et Coupe de la Ligue) pour définitivement s’ancrer dans le livre d’or du sport roi, voilà son rival longtemps estropié, auteur du même exploit deux décennies plus tard. Prends ça, la tradition.
La guerre des monnaies
Dans le sillage de Manchester City, il faut dès lors s’attendre à un sursaut d’orgueil des autres monstres bicéphales de cette new era. Le Paris Saint-Germain, Newcastle United ou le RB Leipzig en tête, ces structures passées de pas grand-chose à absolument tout ne rêvent depuis samedi que d’un destin similaire. À Paris, si l’arrivée de QSI à l’été 2011 peine à se stabiliser – la faute à un projet parfois illisible – le succès de City pourrait ainsi accélérer les envies du Qatar, certainement vexé de voir la concurrence émiratie hissée au sommet de l’Europe.
Une idée partagée avec plaisir du côté de Newcastle, où le gouvernement saoudien, fraîchement intronisé propriétaire majoritaire du club, s’apprête également à passer la seconde. Après une saison sobrement gérée avec une qualification en Ligue des champions à la clé, les Magpies ne devraient en effet pas tarder à ouvrir les vannes dépensières, en surfant sur la démesure émanant d’Arabie saoudite. Telles sont donc les conséquences de la montée sur le trône de Manchester City ce 10 juin 2023 : un passage de témoin fade, de la tradition vers le clinquant. Mais comme souvent, seuls les vainqueurs écrivent l’histoire. Les romantiques, eux, sont priés d’aller voir ailleurs.
Par Adel Bentaha