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Manaus : Tant qu’il y a gazon, il y a match
Dans l'enfer vert, la pelouse ne l'est pas forcément. Critiqué pour la qualité de son terrain, le comité organisateur de Manaus aurait fait teindre l'herbe de l'Arena da Amazonia de la bonne couleur. Une question purement esthétique selon la Fifa. Constatation sur place.
C’est une histoire de couleurs. Rouge, d’abord. Comme la peau des supporters anglais que l’on aperçoit depuis quelques jours chercher des coins d’ombre la journée et des Brahma fraîches le soir. Gris, ensuite. Comme le ciel de Manaus mercredi, prouvant que si le soleil de l’équateur peut mordre les nuques jusqu’au sang, le ciel de l’Amazonie est capable de réhydrater n’importe quel être humain bien plus vite qu’une pinte de bière. Vert enfin. Comme devrait l’être la pelouse de l’Arena da Amazonia. Et comme elle le sera peut-être d’ici au coup d’envoi d’Italie-Angleterre ce samedi à 18h heure locale. Rembobinons pour ne pas perdre les daltoniens.
Mardi, une photo commence à circuler sur les réseaux sociaux. Prise des tribunes de l’enceinte amazonienne, elle montre deux personnes au chevet d’une pelouse couleur paille. À cinq jours de l’entrée en lice de leurs équipes, les médias anglais et italiens ne pouvaient pas passer à côté d’une belle petite polémique. Associated Press convoque Carlos Cabella, responsable de la pelouse de Manaus, qui avoue son pessimisme, parle de « plan d’urgence pour sauver le terrain » et de « biostimulants » pour « améliorer le processus de fertilisation » . Une source à la Fifa évoque auprès de la BBC un « usage excessif de fertilisant » , et la Fifpro, le syndicat international des footballeurs, fait même part de son inquiétude.
Pékin 2008, New York Cosmos et traces de pas
Deux jours plus tard, surprise, de nouveaux clichés montrent un gazon bien vert. Miracle dû aux pluies diluviennes de la veille ? Du tout. Selon une journaliste de la BBC, photo à l’appui, les jardiniers ont pulvérisé un produit sur la pelouse pour la « peindre » en vert et servir de cache-misère. Un procédé qui n’aurait rien de nouveau puisqu’en 2001, par exemple, la Chine avait repeint toutes les pelouses de Pékin pour impressionner les membres du CIO venus étudier la candidature de la ville pour l’organisation des JO 2008. En 1975, déjà, le jardinier des New York Cosmos avait fait teindre un terrain clairsemé avant la retransmission télévisée du premier match de Pelé sous le maillot du club. Rien d’inédit, donc, mais une nouvelle pierre posée dans la construction de la polémique.
Il est environ 17h, ce vendredi, lorsque les joueurs anglais sortent du tunnel de l’Arena da Amazonia pour le traditionnel entraînement de veille de match. Le soleil se couche dans une heure mais, comme un enfant, il profite de ses derniers instants debout pour frapper plus fort que jamais. Un membre du staff des Three Lions se balade, un brumisateur dans chaque main, et asperge de flotte Gerrard et ses potes. Bientôt, le groupe s’ébroue et entame un léger footing. À chaque passage sur les zones un peu plus claires du terrain, l’effectif laisse de nombreuses, visibles et peu rassurantes traces de pas.
La cheville de Gianluigi Buffon
Interrogé par nos soins sur le sujet, le comité organisateur s’en tient au discours qu’il tient depuis le début de « l’affaire » : « Les experts de la Fifa et du comité d’organisation local sont satisfaits du terrain, qui sera prêt pour les matchs. » Et surtout : « Le problème à Manaus a plus à voir avec l’esthétique qu’avec les conditions du terrain. » Une manière d’admettre que, si teinture il y a eu, elle serait là pour faire beau à la télé plus que pour cacher une vérité honteuse. Car l’entreprise portugaise RED, contactée par le site de même nationalité MaisFutebol, est catégorique : « Le terrain sera praticable. » Et force est de constater que, tous interrogés sur le sujet après avoir tâté le terrain, les protagonistes du match entre l’Italie et l’Angleterre ont tous validé cette version. Roy Hodgson : « Je ne vois aucune raison pour que le terrain nous porte préjudice. » Steven Gerrard : « Je viens juste d’aller sur la pelouse et il n’y a aucun problème. » Cesare Prandelli : « On m’a dit que les conditions étaient mauvaises, ce n’est pas exceptionnel, mais c’est loin d’être mauvais. » Une belle unanimité pour lutter contre les discriminations liées à la couleur des pelouses.
Comme souvent, la polémique mourra donc de sa belle mort après la rencontre. Sauf si un joueur se blesse, bien sûr. Agrippant le mic’ en conférence de presse, un journaliste italien met les pieds dans le plat : « Gianluigi Buffon a quitté l’entraînement avant la fin. Pourquoi ? » Regard noir du sélectionneur. « Vous n’étiez pas censé voir ça, cette partie de la session était fermée aux médias, lance Prandelli. Il s’est légèrement tordu la cheville. Très légèrement. » Encore une pierre dans le jardin du stade de Manaus ?
Par Thomas Pitrel, à Manaus