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Mamadou Sakho : « Je roule en Smart ! »
Débarqué au Torpedo Kutaïsi en Géorgie en juin dernier, Mamadou Sakho s’était fait plutôt discret avant de réapparaître dans les médias sous une nouvelle casquette : celle de businessman. On est donc allé déconstruire les ressorts de la mentalité d’entrepreneur avec l’iroquoise la plus fameuse du football français.

Salut Mamad, comment tu t’es retrouvé au Torpedo Koutaïssi ? C’est pour le moins inattendu, comme destination.
C’est inattendu. Mais arrivé à un certain âge, est-ce que tu fais tes choix de vie selon ce qu’on attend de toi ? L’important est que ma famille soit heureuse et épanouie, que je continue à vivre de ma passion. Ma famille avait voyagé ici avant moi, il y a de bonnes écoles. La plage, le ski… Tbilissi est une ville magnifique, on n’y manque de rien et c’est une capitale vivante où il y a plein de choses à faire. C’est une destination sympa ! Je n’ai plus 20 ans à faire des choix tout seul, j’en ai 35 : je me déplace avec quatre enfants, ce ne sont pas les mêmes responsabilités. Ce qui compte, c’est d’abord leur bien-être. Puis, bien sûr, le projet sportif. On a l’objectif de jouer en Coupe d’Europe, avec les barrages de Ligue Conférence en juin.
Quand tu prends un repas avec des Géorgiens, ils portent toujours cinq ou six toasts.
S’adapter à la culture locale, ce n’était pas trop dur ?
Très sincèrement, non. Je suis un caméléon, je m’adapte très vite. Je sais d’où je viens, je ne fais pas de chichi. Les Géorgiens, c’est un peuple très accueillant et très chaleureux : des gens de principe. Quand tu prends un repas avec des Géorgiens, ils portent toujours cinq ou six toasts. Un premier se lève et lève son verre à toutes les mamans, l’autre aux enfants…
Vous portez des toasts pour quel honneur, dans le vestiaire ?
On fait ça quand il y a des anniversaires, surtout. Quelque chose que j’ai également bien aimé, c’est qu’il y a une prière collective pour motiver le groupe avant chaque match, peu importe la confession de chacun. Que tout le monde se retrouve comme cela avant une rencontre, je trouve ça fort et c’est quelque chose que je n’avais jamais vu avant. Tu sens que c’est un pays avec une culture, des valeurs qui ne se perdent pas.
Quand tu arrives, tu es titulaire indiscutable. Mais on ne t’a plus trop vu en fin de saison, qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Je me suis fait une petite élongation au mollet, on a essayé de faire en sorte que je revienne plus vite et il y a eu une petite rechute. J’avais joué treize matchs consécutifs, puis j’en ai raté sept. Mais là, c’est bon : je vais bien, je reprends du service.
Il ressemble à quoi, le championnat ?
C’est un championnat qui se développe et il y a quelques pépites, un jeune joueur a d’ailleurs signé à Newcastle (Vakhtang Salia, 17 ans et formé au Dinamo Tbilissi, a signé en septembre dernier pour un transfert prévu au mois d’août prochain, NDLR). La Fédération investit pas mal pour construire des stades, des terrains d’entraînements. On les a vus à l’Euro, ils n’étaient pas attendus à un tel niveau. Après, c’est vrai qu’il n’y a pas trop de monde dans les stades. Même si chez nous, ça va : c’est aux trois quarts rempli l’été, selon les matchs.
Quand je m’asseyais avec mes banquiers, je voyais des courbes et des chiffres : je ne comprenais rien, ça m’énervait… Je me suis dit qu’il fallait que je maîtrise tout ça.
Tu te projettes ici, même dans le foot à moyen terme ?
Tu me demandes si j’ai encore envie de jouer : tu vois bien qu’après dix-neuf ans de carrière, je sors tout juste de ma petite séance à la salle alors qu’il est 21 heures. Pour la suite, il reste quinze matchs à jouer. Après ça, on verra bien.
On sent que tu as accéléré, du moins sur la communication, concernant la deuxième carrière que tu mènes à côté…
C’est sûr que je suis plus proche de la fin de ma carrière sportive qu’au début. (Rires.) Puis d’être à trois heures de Dubaï, où mes boîtes sont installées, c’est pratique. Pour moi, c’était le moment idéal d’accélérer dessus parce que j’avais ça en tête depuis pas mal d’années. Ici, le rythme des saisons est différent et il me laisse un peu plus de temps pour me consacrer à l’évolution de mes sociétés.
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Elles opèrent dans quoi, tes sociétés ?
Il y a tout d’abord une holding, Sakho & co, qui en abrite plusieurs (Sakho Prestige, qui propose des services de conciergerie ; Sakho Consulting, dans le conseil aux entreprises ; Sakho Interior Design, dans le design d’intérieur ; Sakho Production, dans la production audiovisuelle). L’idée avec Sakho Properties, à la base, c’est de sensibiliser les sportifs pour qu’ils anticipent leur fin de carrière. L’objectif est de les entourer et de créer un écosystème avec une réelle expertise pour qu’ils investissent au cours de leur carrière dans des domaines qu’ils aiment, qui les intéressent, qu’ils aient des entrées. Pas mal de gens se font arnaquer, ce n’est pas facile pour les familles de jeunes sportifs de faire confiance à de nouvelles personnes qui s’approchent quand leur enfant vient de signer son premier contrat professionnel. J’ai ouvert ces boîtes pour accompagner des jeunes de tout horizon qui veulent se construire un patrimoine, et qui s’intéressent à l’immobilier.
Elle a commencé quand, cette mue de footballeur à entrepreneur ?
Dès mon plus jeune âge, j’ai écouté mes parents et investi dans l’immobilier. Je partage une expertise et un carnet d’adresses que j’ai filtré durant 20 ans de carrière. Pour qu’un sportif soit focus sur sa carrière, qu’il dorme sur ses deux oreilles, il doit être bien entouré et faire de bons investissements pour anticiper la suite.
Des enfants se réveillent chaque matin avec le mindset de Cristiano Ronaldo, s’entraînent tous les jours et surveillent leur alimentation. Mais ce n’est pas une potion magique.
Qu’est-ce qui t’a amené vers ce milieu ?
Mon histoire, déjà. Et ma mentalité, je suis quelqu’un de curieux. Quand je m’asseyais avec mes banquiers, je voyais des courbes et des chiffres : je ne comprenais rien, ça m’énervait… Je me suis dit qu’il fallait que je maîtrise tout ça et je me suis dirigé vers l’immobilier, c’est l’investissement le moins risqué. Tu as des murs, ça peut prendre de la valeur… J’ai switché vers ça quand j’ai eu mon premier enfant, je voulais anticiper. J’ai commencé à me cultiver dessus, à lire et à échanger avec des entrepreneurs. J’ai rencontré du monde, je me suis formé sur le terrain. Par exemple, un soir, je me retrouve dans la villa d’une des plus grandes fortunes sénégalaise à Dakar. Le propriétaire me raconte son histoire, comment il s’est construit tout ça. J’ai toujours été impressionné par ces personnes parties de rien, qui construisent du solide. Qu’elles gagnent quelques milliers ou des centaines de millions, ce n’est pas le problème.
Si tu n’avais pas été footballeur, tu penses que ce monde du business se serait ouvert à toi ?
Je ne peux pas refaire l’histoire, Dieu a écrit mon destin. Après, je ne me pose pas la question. Je n’ai jamais vécu avec des « si », je vais tout droit. J’ai rencontré des gens qui avaient quelques milliers d’euros, ils appliquent des processus scalables mis en place avec de petits budgets. Ils l’ont répété deux, trois ou dix fois. Ils sont allés vendre leur idée à une entreprise, et boum.
C’était quoi, ton process à toi ?
J’ai eu la chance de rencontrer pas mal de monde de milieux différents, j’ai voulu m’entourer des meilleurs dans leurs domaines. Aujourd’hui, j’ai des avocats fiscalistes qui connaissent leurs produits et savent trouver le bien idéal qui convient aux clients. Selon s’ils vont acheter pour revendre vite, ou s’ils veulent acheter et faire de la location, s’ils veulent vivre dans leur bien, s’ils veulent faire un plan de paiement… Tu as des gens qui veulent être près de la mer, d’un aéroport… On développe cette expertise à Dubaï, en France ou au Maroc. Il faut être à l’écoute du client et j’ai une dizaine d’agents, ce sont des gestionnaires de patrimoine. J’aime bien avoir le nez partout, même si j’ai des équipes qui me soulagent pas mal.
Dans une vidéo, tu es aux côtés de Yomi Denzel : tu le connaissais avant ce podcast, c’est quelqu’un qui t’inspire ?
On a fait ce podcast, il m’avait invité. C’est quelqu’un qui a réussi dans son domaine et qui est connu pour son podcast, c’est quelqu’un qui tente beaucoup.
Il te faisait notamment intervenir sur la notion de « mindset » entrepreneurial, le parallèle avec le sport est si marqué que ça ?
Mes discours ressemblent beaucoup à ceux que je donne dans un vestiaire. Il y a un état d’esprit, des objectifs, la gagne, la volonté de s’améliorer de jour en jour. Les deux mentalités se rejoignent parfaitement.
Sur cette question de l’état d’esprit entrepreneurial, il y a un discours dominant qui inonde les réseaux : il dit grosso modo que quand tu veux, tu peux.
Déjà, la réussite n’est pas forcément pécuniaire et est propre à chacun. Pour certains, ce sera vivre avec ses moutons à la campagne. Pour d’autres, ce sera gagner de l’argent ou fonder une famille… C’est aussi de vivre de sa passion et le plus important, c’est de te lever le matin en te disant que tu fais quelque chose que tu aimes avec des gens que tu apprécies. C’est déjà une grande richesse. Si tu gagnes une fortune, mais que tu n’as pas envie de voir la tête de tes collègues ou de tes coéquipiers, que tu es négatif, le bonheur n’est pas là.
Même si mes enfants ont la chance d’avoir une maison avec piscine, je les ai emmenés dans un orphelinat au Sénégal : ça prenait six heures de route pour y aller, on s’est lavé les dents sur une aire d’autoroute avec une bouteille d’eau… C’est aussi ça, la vraie vie.
C’est aussi un discours assez culpabilisant et stigmatisant pour les personnes précaires.
La réussite tient à plusieurs facteurs. S’il y avait un antidote, tout le monde le connaîtrait. Chacun son chemin, certains donnent tout et ne réussissent pas. Qu’est-ce que tu réponds à ces gens-là ? D’autres, au contraire, vont moins en faire : ils ont une bonne idée ou une bonne rencontre, et boum. Après, l’important est de tout donner pour ne pas avoir de regret et de mettre toutes les chances de ton côté, même si ça ne marche pas forcément. Dans les centres de formation, des enfants passent des années à bosser matin, midi et soir sans jamais devenir professionnel. Ils peuvent toujours se regarder dans un miroir et être fiers, ils en tireront des expériences positives qui leur permettront peut-être de réussir dans d’autres domaines. Des enfants se réveillent chaque matin avec le mindset de Cristiano Ronaldo, s’entraînent tous les jours et surveillent leur alimentation. Mais ce n’est pas une potion magique.
Dans le discours entrepreneurial, l’argument dominant est un peu « si je l’ai fait, tu peux le faire ».
D’autres facteurs entrent en jeu que le travail, et ils en font abstraction, ils n’en parlent jamais. En parlant comme ça, ils captivent pas mal de jeunes naïfs. Tout le monde n’a pas la clairvoyance de se dire que d’autres facteurs entrent en jeu, et ils sont manipulés.
Parmi les sportifs reconvertis dans l’entrepreneuriat, il y a ton gars Blaisou Matuidi qui est devenu un phénomène sur LinkedIn : c’est une aspiration que vous partagez depuis toujours ?
Bien sûr, on échangeait déjà beaucoup dessus. Si on en avait parlé plus tôt, les gens n’auraient pas compris. Puis, il y a tellement de critiques dans le foot… On aurait associé ça au fait de ne pas être assez concentré sur le terrain. Quand tu es aussi exposé au niveau médiatique que sportif, tu ne peux pas te lancer, puis tu n’en as pas le temps. Mais ça te permet aussi de construire ton expérience, tu ne travailles pas forcément avec les mêmes personnes en début qu’en fin de carrière. Ça fait partie du processus de la vie d’un jeune sportif en plein apprentissage. Par exemple, mon agent Housseini Niakaté : je bosse avec lui depuis mes douze ans, c’était un grand frère qui était venu demander à mes parents s’il pouvait s’occuper de moi quand j’étais au Paris FC, et il est toujours dans le train de la Sakho Family. D’autres sont venus, sont descendus. Ainsi va la vie !
Il n’y a pas longtemps, tu offrais une Ferrari à ta femme et tu le montrais sur tes réseaux sociaux. Pour toi, c’est une certaine revanche sur la vie ?
Non, clairement pas. C’est juste, encore une fois, de se dire que rien n’est impossible. Vraiment, je roule en Smart, c’est ma voiture préférée ! Ok, j’achète une voiture de luxe. Mais qui a dit qu’en réussissant, tu n’as pas le droit de t’offrir la voiture ou la maison de tes rêves ? Quand j’étais petit, je regardais Pimp My Ride : je rêvais de ces voitures. Aujourd’hui, personne n’a transpiré à ma place et je suis fier de mon humble parcours. Si j’ai envie de me faire plaisir, je le fais. Je n’ai rien volé à personne, je paie mes impôts, donc pourquoi je devrais m’en cacher ? Je suis hors la loi ? (Rires.)
Tu as conscience d’être un transfuge de classe ? C’est un truc que tu as théorisé ?
Je ne me suis jamais réellement posé la question, je regarde juste mon assiette et j’ai travaillé pour mieux remplir la mienne ainsi que celle de ma famille. Que quelqu’un d’autre en ait 10, 50 ou 10 000… Félicitations. Ce qui m’importe, c’est de prendre soin de la mienne et de celle de ma progéniture. Si je peux améliorer celle des autres, je le fais, notamment avec mon association (AMSAK Donation, créée en 2010, NDLR), ou servir de source d’inspiration, c’est tant mieux.
Tes enfants, ils ont conscience de ça ?
Pleinement. J’ai pu leur offrir la chance que je n’avais pas eue à leur âge, de pouvoir voyager. Mais même si je les ai emmenés en Tanzanie, à New York, qu’ils ont vu des Massaïs, qu’ils ont fait le tour du monde, ce qu’ils préfèrent c’est aller au lac de Saint-Denis chez la nanny. Vraiment, ils kiffent ces moments-là, et j’en suis fier. J’essaye de leur apporter tous les outils pour qu’ils puissent s’adapter en toutes circonstances, qu’ils soient dans un étoilé à Los Angeles ou à Dubaï comme dans le 93. Même s’ils ont la chance d’avoir une maison avec piscine, je les ai emmenés dans un orphelinat au Sénégal : ça prenait six heures de route pour y aller, on s’est lavé les dents sur une aire d’autoroute avec une bouteille d’eau… C’est aussi ça, la vraie vie. Pareil au niveau des cultures, des religions. Ils ont une ouverture d’esprit de fou, mes enfants, tout en restant eux-mêmes. C’est l’esprit de la Sakho Family : sourire et bonheur, on rigole ensemble. Je sais à quel point ces moments avec ma famille sont précieux, j’ai été séparé de mon père à 13 ans. J’ai des amis, ils sont atteints de cancer. D’autres, c’est leur famille. Tu vois ce qu’il se passe dans le monde… Nous, on est en Géorgie. Je vis de ma passion, tout le monde va bien. Il fait beau, on est au chaud et on est bien. Que demander de plus ? Il y en a qui souffrent, mon frère ! Alors cool, positif. C’est ça, mon « mindset ».
Véronique Rabiot : « Tout le monde a peur du PSG »Propos recueillis par Baptiste Brenot, à Tbilissi