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Malaisie, rififi et Indonésie

Par Adrien Candau
Malaisie, rififi et Indonésie

À en croire la presse locale, la Fédération malaisienne de football aurait demandé à son homologue indonésienne si elle pouvait lui fournir des véhicules blindés pour transporter ses joueurs, qui affrontent les Merah Putih (les Rouge et Blanc) ce jeudi. Une précaution sécuritaire qui souligne la folie susceptible de s'emparer d'un match toujours à part. Une rivalité footballistique qui se nourrit du passif tumultueux des deux nations : liées par de nombreuses passerelles culturelles, l'Indonésie et la Malaisie entretiennent aussi un puissant antagonisme politique qui prend sa source dès le début des années 1950, aux grandes heures de la décolonisation.

Un transport blindé. Voilà ce qu’aurait demandé la Fédération malaisienne de football à son équivalent indonésien pour conduire ses joueurs au stade Gelora Bung Karno de Jakarta, ce jeudi. Alors que le deuxième tour des éliminatoires de la zone Asie pour le Mondial 2022 débute cette semaine, le groupe G des qualifications s’ouvre notamment sur un match du genre explosif. Rien de nouveau sous le soleil, entre deux sélections dont les confrontations sont toujours baignées d’un contexte sulfureux. En 2010, après la finale retour du Championnat d’Asie du Sud-Est de football, une rencontre remportée par l’Indonésie (qui s’inclinait cependant 4-2 sur l’ensemble des deux matchs), les joueurs et officiels malaisiens devaient déjà quitter le stade Gelora Bung Karno en TM-170, un véhicule initialement destiné au transport de troupes militaires.

À peine un an plus tard, deux personnes trouvaient la mort à l’issue de la finale des jeux d’Asie du Sud-Est entre les équipes U-23 des deux nations. Plus récemment, en 2018, les joueurs malaisiens devaient, dans une scène surréaliste mise en ligne sur les réseaux sociaux, quitter un par un le terrain en slalomant entre les jets de bouteilles et de projectiles lancés par des fans indonésiens, après la demi-finale du championnat d’Asie du Sud-Est U-19, remportée aux tirs au but par la sélection malaisienne. Ce qui amène à se poser une question élémentaire, mais inévitable : mais pourquoi tant de haine?

La Konfrontasi, premier combat

Si la rivalité anime les deux camps, elle semble significativement plus intense côté indonésien. L’antagonisme entre les deux pays est le résultat d’un mélange de facteurs historiques, économiques et culturels complexes, qui prennent leur source bien loin du football. C’est d’abord la rupture avec le colonialisme, néerlandais pour l’Indonésie, britannique pour la Malaisie, qui introduit une première cassure idéologique et politique entre les deux nations. Quand l’Indonésie conquiert définitivement son indépendance les armes à la main en 1949, après quatre années de révolution contre le colonisateur hollandais, la Malaisie accède à l’autonomie relativement plus pacifiquement en 1957, après avoir négocié avec l’occupant britannique. Elle intégrera même d’anciennes colonies du Royaume à son territoire en 1963, comme le nord de Bornéo, le restant des terres de cette gigantesque île appartenant en quasi-totalité au voisin indonésien. Le premier président indonésien Soekarno, icône de l’indépendance du pays, considère alors que la Malaisie n’est qu’un état vassal de Londres, et Jakarta mènera jusqu’en 1966 ce qu’on appelle la Konfrontasi, alors que des troupes indonésiennes sont envoyées en territoire malaisien pour mener des opérations de guérilla pour affaiblir l’autorité officielle.

Gouffres économiques

Si les relations entre les deux pays se réchaufferont par la suite, la disparité de leurs développements économiques respectifs participera à entretenir certaines inimitiés : « Prolongeant le modèle britannique d’une économie fondée sur l’exploitation d’une main-d’œuvre bon marché dans des plantations tournées vers l’exportation, la Malaisie parvint à s’assurer une croissance beaucoup plus rapide que celle de son voisin indonésien, explique l’historien et spécialiste de l’islam du monde malais Rémy Madinier. À partir des années 1970, son insertion réussie dans la nouvelle géographie industrielle de l’Asie du Sud-Est fit d’elle l’une des zones de délocalisation privilégiée des pays industrialisés. Fondée sur les différentiels de développement et donc de coût de la main-d’œuvre, une division internationale du travail s’opéra à l’échelle de la région. Le gouvernement singapourien, cherchant à limiter l’immigration de travailleurs peu qualifiés sur son territoire, encouragea alors l’installation de ses unités industrielles dans les régions voisines de Malaisie. Celles-ci durent alors faire appel à l’immigration indonésienne pour occuper les emplois les plus ingrats dont les Malaisiens ne voulaient plus. » En l’occurrence, des emplois souvent précaires, manuels, majoritairement dans le textile et l’électronique, occupés par une immigration indonésienne paupérisée et marginalisée.

« Nous sommes des peuples très similaires après tout, n’est-ce pas? »

Enfin, l’Indonésie reproche aussi à la Malaisie de s’être appropriée certains éléments culturels iconiques qu’on retrouve dans les deux pays, comme le batik, une technique traditionnelle d’impression des étoffes, ou encore le Wayang Kulit, un théâtre de marionnettes javanais. Signe aussi que les deux pays partagent de nombreuses passerelles culturelles que le sélectionneur malaisien, Cheng Hoe, a tenu à souligner avant la rencontre de jeudi : « Nous devons nous comprendre et nous respecter, et nous rappeler que nous sommes des adversaires, pas des ennemis. Nous sommes des peuples très similaires après tout, n’est-ce pas ? » Pas sûr que cette tentative d’apaisement suffise à calmer les ardeurs du public du stade Gelora Bung Karno, pour qui la réception du frère ennemi malaisien reste aujourd’hui, et sans doute pour longtemps encore, un match qui dépasse le simple cadre footballistique.

Dans cet article :
Un doublé pour Moussa al Tamari avec la Jordanie
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Par Adrien Candau

Propos de Rémy Madinier issus de "L'émigration indonésienne en Malaysie", étude publiée en 2010 dans la revue Transcontinentales.

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