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Malaga, récit d’une descente aux enfers

Par Anna Carreau

Dix ans après une fantastique épopée européenne où s’empilaient les joueurs de renom, Malaga est relégué en troisième division espagnole. Un retour au football non professionnel, symbole d’une descente aux enfers annoncée.

Joie Malaga - 22.12.2012 - Malaga / Real Madrid - 17e journee Liga
Joie Malaga - 22.12.2012 - Malaga / Real Madrid - 17e journee Liga

C’est l’histoire d’un conte de fées qui vire au cauchemar, en moins de dix ans. Le 9 avril 2013, Malaga et son équipe de all stars font rêver toute l’Espagne. Dans le 4-4-2 phare de Manuel Pellegrini, des grands noms sont alignés sur la pelouse du Westfalenstadion. Caballero, Gámez, Demichelis, Sánchez, Antunes, Joaquín, Toulalan, Camacho, Duda, Isco, Baptista… Après un match nul 0-0 à la Rosaleda à l’aller, le club andalou croit pouvoir renverser le grand Borussia Dortmund grâce notamment à l’ouverture du score par Joaquín dès la 25e minute. Mais c’est compter sans un arbitrage douteux, qui voit le géant allemand se qualifier au bout du temps additionnel grâce à un but qui aurait dû être refusé pour hors-jeu en scellant une défaite 3-2 que le président qatari de l’époque Abdullah Al Thani ne digérait toujours pas sept ans plus tard. Une époque très lointaine pour Malaga, qui a vécu ce samedi un retour sur terre des plus brutaux et une relégation en Primera RFEF (troisième division espagnole) dix ans après cet épisode doré.

UEFA, je t’aime moi non plus

L’attaquant phare de cette équipe bleu et blanc Ruben Castro avait pourtant entre ses pieds la balle du 2-1 face à Alavés, qui aurait permis à Malaga de croire encore un peu au maintien en Segunda. Car si les supporters malaguistas s’étaient vu promettre en début de saison un retour en Liga dès l’été, ils ont tous très vite compris qu’avec onze points de retard sur le premier non-relégable au 20 mars dernier, l’objectif était surtout une survie au sein du football professionnel. Vingt-cinq ans après leur ascension en deuxième division, les Blanquiazules retrouvent finalement les tréfonds du football espagnol dans un championnat semi-pro remodelé en deux poules régionales de vingt équipes. Championnat où se morfond déjà un autre illustre club ibérique, le Deportivo la Corogne, qui bataille depuis trois saisons pour retrouver sa place. Et comme souvent lorsque de tels monuments du ballon rond local s’effondrent, il faut trouver des coupables. À Malaga, celui qui était arrivé il y a dix ans avec ses mallettes blindées de pétrodollars qataris fait figure de parfait fautif.

Premier cheikh à débarquer dans le football espagnol, Abdullah ben Nasser Al Thani pose ses valises dans la sixième ville du pays en 2010. Il répond alors à l’appel à l’aide de l’ancien dirigeant de Malaga Fernando Sanz, qui doit faire face à des difficultés économiques. Le membre de la famille royale qatarie débarque ainsi en Andalousie avec l’objectif de faire du club « le plus important » de la région, rêvant de détrôner les très installés Séville FC, Real Betis, Granada CF ou encore Cadiz CF. « Un ange est descendu du ciel pour nous aider », confiait pour So Foot José Carlos Perez, alors directeur sportif d’un recrutement XXL. En deux ans vont déferler sur la côte méditerranéenne Enzo Maresca, Martín Demichelis, Ignacio Camacho, Julio Baptista, Ruud van Nistelrooy, Nacho Monreal, Jerémy Toulalan, Joaquín Sánchez, Isco Alarcón et Santi Cazorla (recrue la plus chère de l’histoire du club, arrivée en provenance de Villarreal contre 20 millions d’euros). En 2011-2012, le club termine quatrième de Liga (meilleur classement de son histoire) et se qualifie pour les barrages de Ligue des champions. Sans souci pour les hommes de Manuel Pellegrini, lui aussi appâté par le projet du cheikh après sa pige au Real Madrid, qui vont sortir le Panathinaïkos avant de se placer premiers d’un groupe composé de l’AC Milan, du Zénith Saint-Pétersbourg et d’Anderlecht. Une campagne européenne qui se termine sur une plainte déposée auprès de l’UEFA, après un quart de finale où Malaga estime s’être fait « voler » par le Borussia Dortmund et où le cheikh Al Thani crie au « racisme » anti-arabe.

« C’est comme donner une Ferrari à un ouvrier »

Le début des problèmes. Peu de temps avant d’avoir râlé contre cet arbitrage, Malaga était lui-même la cible de l’UEFA qui le suspendait pour quatre saisons de toutes compétitions européennes pour ne pas avoir respecté le fair-play financier. Manuel Pellegrini en est même convaincu : si son équipe a été exclue de façon si honteuse, c’est parce que l’instance européenne avait peur de voir arriver en finale de Ligue des champions une équipe sous investigation de l’UEFA. En réalité, le parcours européen flamboyant servait de cache-misère : après avoir recruté pour plus de 150 millions d’euros en deux ans, Malaga galérait déjà à payer les salaires faramineux promis. Dès la présaison, le syndicat des joueurs en Espagne exprimait d’ailleurs ses inquiétudes quant aux salaires impayés. L’exclusion de Ligue Europa la saison suivante, bien que le club s’y soit qualifié sportivement, scelle la fin de ces deux années fastes que Weligton – défenseur emblématique de Malaga – qualifie très bien pour Relevo : « C’est comme donner une Ferrari à un ouvrier. Vous devez mettre de l’essence dans cette voiture, payer des impôts… Et si vous n’êtes pas payé, il est impossible de l’entretenir. C’est ce qui nous est arrivé. Une grande structure a été mise en place, mais il n’y avait pas de projet ni d’argent. Avec les revenus que le club avait, il était impossible de soutenir toute l’équipe. »

À l’été 2013, Isco est vendu au Real Madrid, Joaquín à la Fiorentina et le milieu de terrain Jérémy Toulalan à Monaco. Al-Thani, lui, siffle définitivement la fin des paillettes et annonce qu’il n’investira plus un sou dans le club. « Oui, je vais partir d’ici. Parce que je n’ai pas trouvé le respect, l’estime et l’égalité », écrit le cheikh sur Twitter, vexé de voir ses immenses projets immobiliers dans la région – notamment un port de plaisance et un hôtel quatre étoiles rien que pour lui, assure la presse locale – être retoqués systématiquement par le gouvernement local. Exit les Harlem Globe Trotters, Bernd Schuster ou Javi García (les successeurs de Manuel Pellegrini, sur le banc malaguista) devront faire avec quelques stars en fin de contrat et surtout les jeunes promesses du centre de formation : Samu García, Juanmi Jiménez, Samu Castillejo, Sergi Darder, Juanpi Añor ou encore Pablo Fornals. Autant de noms plus ou moins clinquants qui serviront très vite de monnaie d’échange, pour éviter au club vivant sur ses fonds propres de couler financièrement. Mais en 2017-2018 et après un dernier coup d’éclat d’Abdullah ben Nasser Al Thani, qui avait juré que « par la grâce d’Allah, la racaille catalane ne sentira pas l’odeur de la Liga », Malaga est relégué en seconde division.

Sous tutelle judiciaire depuis 2020

Le club échappe même à la faillite en février 2020, en vendant son avant-centre Antonio Cortés au voisin Granada (contre 1,5 million d’euros). Totalement absent depuis la relégation en Segunda, Abdullah ben Nasser Al Thani revient sur le devant de la scène pour des raisons bien moins glorieuses : poursuivi pénalement par l’association des petits actionnaires du Malaga CF, il est démis de ses fonctions par la justice qui ouvre une enquête judiciaire pour des délits présumés de gestion déloyale, de détournement de fonds et de blanchiment d’argent. « Quand il en avait envie, le fils prenait 40 000 euros dans la caisse ou Málaga payait ses 250 000 euros de frais à Las Vegas », raconte Antonio Aguilera, président de l’Association des petits actionnaires, à Relevo. Après une descente de police dans les bureaux du club, l’affaire a été admise, et le juge a nommé un administrateur (José Maria Muñoz) à la tête du club. Trois ans plus tard, l’avocat et économiste n’ayant aucune connaissance du football est toujours en poste, Al Thani ne voulant pas payer la somme d’environ neuf millions d’euros demandée par la justice pour reprendre le contrôle du club (somme qu’il est accusé d’avoir piquée dans les caisses, illégalement).

Entêté dans une gestion sportive calamiteuse qui avait déjà vu Malaga flirter avec la relégation la saison passée, le dirigeant du club navigue à vue sans board spécialisé ni projet sportif à la hauteur du club. Les Albicelestes font même sans directeur sportif depuis février à la suite de la démission de Manolo Gaspar, d’abord jugé responsable de la situation catastrophique du club. Avec le sixième budget du championnat (11 793 000 euros), derrière Granada, Leganés, Las Palmas, Eibar et Levante, Malaga fait figure de grand loser : à part le club de la banlieue madrilène, les quatre autres luttent aujourd’hui pour une montée en D1. La gestion de l’homme nommé par la justice est même la principale cible des critiques des supporters malaguistas, après la descente en D3. À tel point que dans un édito, Marca titre ce dimanche : « José María Muñoz descend Málaga en enfer ».

Un nouveau cheikh en blanc ?

« Le plus gros problème de Malaga, c’est le procès qui n’a pas de fin. Il doit cesser maintenant, car c’est comme un cancer qui ronge lentement le club, déplore l’ancien capitaine Weligton qui rêve d’un ‘‘club normal’’, jouant avec ses propres moyens et intelligemment. Tant que l’ombre du procès est présente, on ne peut pas avancer. » En s’inclinant 2-1 face à Alavés ce samedi, Malaga n’a de toute façon plus d’autres solutions que celle de remettre tout à plat. En D3, la dotation à chaque club est de 300 000 euros. Loin, très loin des sept millions qu’a pu recevoir le club andalou en début d’exercice 2022-2023 (l’équivalent du budget total alloué aux 40 clubs de Primera RFEF). Sans président et sans investissement, le club ne risque pourtant pas de disparaître. C’est ce qu’assurent les observateurs du club ayant déjà connu une refondation en 1992, après la fin du Malaga CD. Pour repartir à zéro, la nouvelle direction pourra au moins s’appuyer sur des supporters résilients, puisque la Rosaleda comptait en moyenne 19 000 spectateurs cette saison. À moins qu’un nouveau coup de pouce vienne encore d’un cheikh : récemment, Nasser Al-Khelaïfi s’est dit intéressé par le rachat du club… Une bonne idée, vraiment ?

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