- Ligue Europa
- Finale
- FC Séville/Benfica
Mais qui étais-tu, Béla Guttman?
Bien avant José Mourinho, le boss du football portugais était hongrois et s'appelait Béla Guttman. Le sorcier est connu pour avoir donné deux C1 à Benfica avant de maudire le club lisboète pour un siècle. Mais à part ça, qui étais-tu, Béla ?
Béla bois dormant
Il était une fois à Lisbonne une équipe indestructible, une machine capable d’écraser les colossaux Real Madrid et FC Barcelone. Une équipe menée par son capitaine Mário Coluna, rendue divine par l’immortel Eusébio et dirigée par l’immense Béla Guttman. Championnat portugais, Coupe du Portugal et surtout Coupe des clubs champions : pas un titre n’échappe alors à l’insatiable faim de victoire de la bête féroce, qui connaît son apogée en 1961 et 1962 en décrochant le graal européen deux fois de suite. Satisfait de son œuvre, Béla Guttman exige une augmentation salariale que ne lui accordera jamais son club, qu’il quittera en disant : « Je m’en vais en vous maudissant. Vous ne gagnerez pas la Ligue des champions lors des 100 prochaines années. » Le sorcier hongrois s’en alla et la malédiction opéra. Et 50 ans plus tard, elle est même intacte. Pire, elle agit aussi en Ligue Europa, que ledit club, Benfica, tentera de remporter pour la première fois de son histoire contre Séville, un an après avoir échoué contre Chelsea à Amsterdam. Mais il semblerait qu’il existe un remède à ce sort. C’est en tout cas ce que croit l’ambassadeur hongrois Norbert Konkoly, qui propose un jour à Luis Filipe Vieira d’ériger une grande statue de Béla Guttman avec une coupe aux grandes oreilles dans chaque bras pour faire revenir l’esprit de l’entraîneur et donc chasser la malédiction. Le président de Benfica accepte la proposition à condition que la statue soit faite en Hongrie. La superstition est totale, à tel point que la sculpture de plus de deux mètres est présentée le jour des 110 ans du club, et le peuple benfiquista confiant. Il est persuadé que l’idole fera son effet et que les Lisboètes n’échoueront pas une huitième fois en finale de Coupe d’Europe. Réponse ce soir…
Joueur, entraîneur et globetrotter
Concrètement, qui était ce « sorcier hongrois » , joueur des années 20-30, puis entraîneur jusqu’en 1973 ? Avant tout un globe-trotter. S’il ne foule les pelouses hongroises que durant deux ans, avant de s’envoler vers les États-Unis pour lesquels il a un coup de foudre, Béla Guttman aura bossé en tout et pour tout dans douze pays différents dont Chypre, l’Uruguay, le Brésil, la Suisse, l’Autriche et donc le Portugal, où il atterrit en 1958 pour entraîner… le FC Porto. Alors quasiment inconnu au bataillon, le technicien remporte le championnat portugais au terme de sa seule saison complète chez les Dragons. Puis vient ensuite la trahison. Le Hongrois quitte la « cidade invicta » pour rejoindre la capitale et Benfica, déjà grand, mais pas encore légendaire. Tout comme à Porto, il empoche le championnat du premier coup avec les Aigles, mais met surtout en place un fonds de jeu propre aux caractéristiques de ses joueurs. Guttman a la confiance totale des dirigeants et décide de créer le club en un vaste laboratoire. Il repère, teste et fait signer des jeunes talents qu’il greffe au reste du groupe avec parcimonie afin de garder la mainmise sur son vestiaire. Parmi eux, José Augusto, António Simões et bien sûr Eusébio. La légende raconte qu’il doit la venue de la Panthère Noire à Benfica à José Carlos Bauer – aucun lien -, l’un de ses successeurs à São Paulo qui effectuait alors une tournée au Portugal. Ce jour de 1959, les deux hommes se retrouvent par hasard chez le coiffeur et Bauer en profite pour toucher à son ami deux mots sur un prodige qu’il venait de repérer après une tournée au Mozambique. Interloqué par la révélation de son ami, il envoie un émissaire à Lourenço Marques (actuelle Maputo) pour observer le gamin – contrairement à l’autre partie de la légende qui rapporte qu’il s’est envolé jusqu’au Mozambique. C’est le début d’une légende.
Le modèle de José Mourinho
Si Béla Guttman a donné le coup d’envoi de la brillante carrière du King, il n’a pas attendu son poulain pour s’affirmer comme l’un des meilleurs techniciens de l’histoire. Lorsque Benfica décroche son premier sacre européen, Eusébio est certes déjà au club, mais il ne participe aucunement à l’épopée en raison de problèmes administratifs – le Sporting essayait encore de le chiper au SLB à l’époque. Les principes du sorcier, eux, sont déjà en place. « Chaque équipe doit avoir un style de jeu qui lui est propre et mis en place par rapport aux qualités de ses joueurs. Toutes les équipes ne peuvent pas jouer avec le même système. Et le talent ne suffit pas. Les joueurs doivent avoir la rage de vaincre à chaque fois qu’ils entrent sur le terrain. » Ça ressemble à du Mourinho et c’est normal. Le Happy One a trouvé dans les théories du double vainqueur de la C1 une idéologie à laquelle il s’accroche aujourd’hui encore. Mais à la différence de son successeur, Guttman avait un goût prononcé pour le football spectaculaire. « Je m’en fous de prendre trois ou quatre buts, du moment qu’on en met cinq ou six » , disait-il. Tactiquement, le stratège voulait que son équipe évite de faire des passes longues sauf en défense afin d’accélérer la verticalisation d’un jeu qui a ses automatismes. « Le une-deux suivi d’une frappe était l’une des armes les plus redoutables de mon Benfica. Quand on a le ballon, il faut se démarquer, faire des appels dans les intervalles. Et quand on ne l’a pas, on marque l’attaque adverse. » Béla Guttman aurait à n’en pas douter apprécié le Benfica de Jorge Jesus. Le laissera-t-il pour autant s’imposer une nouvelle fois en Europe ? Difficile à dire…
par William Pereira