- Ligue Europa – J4 – Groupe B – Rubin Kazan/Liverpool
Mais qui es-tu Stephen French, le gangster fan des Reds ?
C'est une image qui a scandalisé en Angleterre : celle montrant Mamadou Sakho et Christian Benteke assis à côté de Stephen French en loges à Anfield à l'occasion d'un match de League Cup à l'occasion duquel les deux joueurs avaient été mis au repos. Inconnu de ce côté-ci de la Manche, French est en revanche une figure du gangstérisme, dont le surnom, « The Devil », en dit long sur ses faits d'armes du temps de son apogée à la fin des années 80, quand il rackettait les dealers de crack de la ville.
Un crâne lisse et brillant, de grandes oreilles légèrement décollées, des yeux scrutateurs, une mâchoire serrée, une carrure athlétique, un élégant costume. Tel est ce spectateur attentif assis sagement dans une loge d’Anfield mercredi dernier, au soir de la victoire 1-0 à domicile de Liverpool face à Bournemouth. L’importance présumée du gazier s’imagine à sa présence dans le carré VIP de l’enceinte et à l’identité de ses deux voisins de siège : Mamadou Sakho et Christian Benteke, deux joueurs des Reds qui avaient été mis au repos par Jürgen Klopp à l’occasion de cette compétition mineure. Il est un des 41 948 spectateurs à avoir assisté à cette rencontre du milieu de semaine, que les caméras de télévision ont furtivement filmé, le réalisateur ayant certainement plus l’intention de montrer les deux joueurs dans le costume du club plutôt que cet homme assis tout proche et qui n’avait rien demandé à personne.
C’est pourtant lui qui a été immédiatement repéré par des dizaines de téléspectateurs, lesquels se sont d’abord interrogés sur Twitter pour confirmer qu’il n’y avait pas eu hallucination collective. Puis, une fois l’identité du gars confirmée, pour s’indigner de sa présence dans une loge du club à assister comme si de rien n’était au match à côté de deux membres de l’effectif. Nom d’un petit bonhomme, mais que foutait Stephen French dans la tribune des personnalités d’Anfield ? Ce à quoi les non-Anglais qui ont vu passer ces tweets ont répliqué par une première question précédant l’autre : mais de qui parlent-ils tous ? Qui est ce gars au blase générique ? Qu’est-ce qu’il y a qui cloche tant avec le voisin de stade de Mamad’ ?
Tout en noir, couteau de cuisine en main
Le souci le voici : l’international français a été filmé à côté d’un gars surnommé « The Devil » . Un diable qui n’a pas hérité de ce patronyme pour son côté farceur, mais parce qu’il l’est réellement, diabolique. Ou en tout cas l’a-t-il été à un moment de sa vie. French est né en octobre 1958 à Toxteth, un quartier liverpuldien de mauvaise réputation où cohabitent difficilement les différentes communautés. À 11 ans, il se fait agresser une première fois dans la rue et en aurait tiré une leçon : la meilleure défense, c’est l’attaque. Le gamin a hérité d’une solide carrure qu’il travaille sur le ring. Il pratiquera même un moment le kickboxing en compétition.
En 1981, Toxteth s’embrase avec des émeutes à caractère clairement raciste et des affrontements avec les forces de l’ordre. French profite de la période pour travailler sa réputation – côté antifaf et anti-flics – et commence à pratiquer ce qui deviendra son activité favorite : repérer les nombreux dealers de crack et d’héroïne qui gangrènent la ville à l’époque, les menacer, les tabasser s’il le faut, jusqu’à récupérer l’argent de leur trafic. Du racket avec torture au couteau de cuisine qui l’aurait ainsi vu ferrailler avec Curtis « Cocky » Warren, un des plus grands barons de la drogue dans l’Angleterre des eighties et qui a même figuré un moment dans la liste des hommes les plus riches établie par le très sérieux Sunday Times. Warren est également de Toxteth, où French, qui avait pour habitude de s’habiller tout en noir pour être raccord avec le personnage qu’il s’était forgé, se fait désormais surnommer le Diable et sème la terreur avec une petite bande de fidèles. Ils pouvaient empocher quelques milliers de livres d’argent sale en une poignée d’heures de « travail » par semaine.
Du diable au combattant prédicateur
Mais en 1991, la mort par balle d’un de ses fidèles lieutenants, Andrew John, lui fait prendre conscience qu’il est peut-être temps pour lui de se ranger. Trois ans plus tard, il devient père de famille, étudie la psychologie, découvre Dieu et se voit comme une sorte de prêcheur du bien et activiste anti-armes à feu. Celui qui aurait accumulé pour 20 millions de livres de gain en passant à tabac à peu près tous les dealers de Liverpool se dit alors rangé des bagnoles. Mais un diable ne devient pas un ange si facilement et il revient finalement à l’actualité récemment, après avoir été condamné à trois ans de prison pour avoir menacé un homme d’affaires avec un flingue. French se disait, en retour, victime lui-même de menaces de mort. Mais globalement, l’ancienne terreur, à l’allure et au parcours qui en feraient un excellent personnage pour un film de Guy Ritchie, avait disparu de la circulation ces derniers temps, jusqu’à sa réapparition soudaine qui a collé les miquettes à pas mal de téléspectateurs de Liverpool/Bournemouth.
Alors, que diable faisait le diable dans cette loge VIP ? Dans une lettre ouverte très longue postée sur sa page Facebook, French justifie la chose en disant qu’il s’était déjà affiché aux côtés d’autres sportifs tels Mike Tyson, Evander Holyfield ou John Barnes, l’ancien des Reds, dont il explique que sa fille et la sienne étaient des copines de classe. Il explique qu’au moment de sa dernière condamnation, son abonnement à Anfield, stade qu’il fréquente depuis 1969, a périmé, mais qu’il a continué à suivre l’actualité de son club de cœur depuis la prison, se réjouissant de l’arrivée sur le banc de Klopp. Puis, il parle de l’actualité des Reds, s’en prend aux journalistes, revient sur sa carrière de boxeur, parle de sa foi, de son nouveau surnom, « the fighting preacher » , et termine finalement en disant avoir eu cette place en loge par le biais de ses relations, sans préciser lesquelles exactement. Avant de terminer comme ceci : « Je suis né en rouge, je mourrai en rouge, il n’y a rien d’autre à ajouter. » Si ce n’est que Sakho n’avait pas l’air de faire le malin à côté de lui.
Par Régis Delanoë