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Mais qui es-tu le Torpedo 1917 ?
Il y a le football champagne et il y a le football 8.6. Il y a le football paillettes et il y a le football pétards. Il y a le football national-professionnel et il y a le football régional-amateur. Il y a les équipes dont tout le monde parle et il y a les équipes évoquées par Philippe Poutou au hasard d’une interview politico-sportive. Devinez à quelle catégorie appartient le Torpedo 1917 ?
Comment raconter l’histoire d’un club amateur, quand existent des milliers de structures équivalentes que rien ne distingue à première vue ? Chacun aura son quart d’heure de gloire, prophétisait Andy Warhol, et celui du Torpedo 1917 a commencé (en tout cas aux yeux du grand public) grâce à Philippe Poutou, qui l’évoquait au détour d’un entretien pré-premier tour de l’élection présidentielle qu’il nous avait accordé. « À la base, on ne savait même pas qu’il venait à l’IEP. Quand j’ai vu qu’il était présent, je suis venu le voir pour lui dire qu’on était l’équipe communiste de Sciences Po. Il était super réceptif et a clairement fait son effet parmi les membres du Kokollektif » , raconte Hugo, actuel défenseur central du Torpedo. L’occasion était trop belle, il fallait en savoir plus sur ce club universitaire qui, depuis maintenant quatorze ans, enchaîne les défaites sur des terrains pourris en portant fièrement la bannière du football populaire, de la franche camaraderie et de l’autodérision. Le tout sur fond d’esthétique « URSSienne » .
Torpédale dans la choucroute
L’histoire naît en Gironde, mais c’est à Paris qu’elle se raconte. Par ses anciens, qu’ils soient fondateurs ou héritiers. Le rendez-vous est pris dans un bar de la capitale, où ils sont un certain nombre à travailler depuis la fin de leurs années estudiantines. La causerie a lieu quelques jours avant le premier tour de la présidentielle, mais de politique, il n’en sera que très peu question ce soir-là. Car en dépit de l’identité visuelle communiste affichée, le Torped’, comme le surnomment ses membres, ne roule pour personne. « Je crois que si on devenait un club politique, on perdrait notre raison d’exister car cela créerait un clivage entre nos membres qui ne sont pas forcément du même bord » , explique Étienne, qui faisait partie des fondateurs lors de la saison 2003-2004 et sévit aujourd’hui « au sein du grand Kapital, dans le secteur du luxe. » « Malgré son côté soviétique, le Torpedo n’est pas un club de communistes, renchérit Maxime, qui sera diplômé à la fin de l’année. Même si en général, les joueurs votent aux trois quarts à gauche. »
Le Torpedo évolue au dernier échelon du championnat universitaire de la région bordelaise. Dans ses rangs, un mélange de rebuts des terrains et de joyeux drilles qui utilisent le prétexte du football pour se faire une place au sein d’une bande de potes. « On apporte un vrai plus aux étudiants de première année, avance Thomas, ancien lui aussi. L’école est riche de centaines d’associations, mais malgré tout, les nouveaux restent souvent cantonnés au cadre de leur promo, alors qu’il y a mille manières de vivre ses années Sciences-Po à fond. » Comprenez, en dehors des amphis. Si le Torpedo parvient à se renouveler depuis bientôt quinze ans, c’est en grande partie grâce à ses campagnes de communication, souvent assez sauvages. « Quand on a créé le club, l’école comptait trois équipes, donc on devait sortir du lot, se souvient Étienne. On a capitalisé sur notre niveau footballistique qui s’apparentait à la D3 post-soviétique. L’objectif, c’était de faire autant de foot que de propagande et, toutes les semaines, on faisait des affiches d’inspiration marxiste assez délirantes, bourrées de références soviétiques. Du coup, au bout d’un an, les gens pensaient que c’était le Torpedo qui avait remporté le crit’ (un tournoi où s’affrontent les différentes associations sportives de tous les IEP de France, ndlr), alors qu’en fait, c’était l’équipe première. »
« L’important, c’est les trois grammes »
De fait, les joueurs du Torped’ ne sont pas du genre à mettre la victoire en tête de leurs priorités. « L’objectif, c’est de se raconter une histoire ensemble, afin de développer une existence commune, en dehors des terrains » , philosophe Édouard, qui roule désormais sa bosse dans les travées du Red Star. Une histoire qui commence par donner une identité unique à chacun des joueurs, en perfectionnant au rang d’art l’usage du surnom post-soviétique : « On ne s’appelle quasiment jamais par nos vrais noms. Le surnom, c’est une tradition qui perdure depuis le début. Y en a un qui est pro-Macron dans l’équipe, on l’appelle « En Marx ». On a aussi un Marcus Kolkhoze qui est un fan de Guingamp. Ou encore un Papus Camarade, supporter du PSG » , sourit Quentin, actuellement latéral droit. Même les formations rivales du Torpedo ont droit à leur surnom : « L’équipe première de l’IEP avait un sponsor « Éléphant bleu » sur leur maillot. Du coup, on les a surnommés les Babars. C’est resté » , se marre Hugo.
Sur le pré, l’expérience kokollektive prend donc le pas sur la quête du résultat sportif. « Attention, sur les 90 minutes, on veut gagner. Mais le truc, c’est qu’on préfère perdre 8-0 et que chaque joueur, même celui qui a les pieds carrés, puisse jouer quelques minutes » , assène Maxime. Quitte à développer des stratégies défensives qui feraient passer l’Inter d’Helenio Herrera pour une formation adepte du joga bonito. Comme l’explique Thomas, un autre ancien de la maison : « Être une équipe condamnée à prendre au moins trois buts par match mène à d’intenses réflexions. Notre grande tactique, c’est le « katenaccioff » : un 4-4-2 redéveloppé en 8-1-1. L’autre dogme collectif, c’est la « Konsigne » : un précepte qui veut que chaque joueur se dévoue pour découper l’adversaire, mais sans jamais chercher à lui faire du mal non plus. »
Finalement, au Torped’, les choses sérieuses commencent après la rencontre. « Moi, je ne me préparais pas pour les matchs, mais pour les repas, balance Peio, jadis stoppeur du Kokollektif. Une fois par mois environ, on sort dans un resto portugais où, pour douze euros, t’as un plat sordide et du vin de cubi en illimité. Et c’est grâce à ce type d’événements que nos meilleurs potes, on se les fait au Torpedo. On réunit souvent des tablées de trente et on a dû se faire blacklister d’une quinzaine de restos, vu notre tendance à finir en bataille de bouffe entre mecs pas forcément très frais… » D’où la devise : « L’important, c’est les trois grammes. » Un esprit de fraternité qui trouve son apogée lors du grand rendez-vous annuel du Torpedo, le trophée Karl Marx. « Il y a une équipe à Sciences-Po Grenoble qui s’appelle le Lokomotiv. Ce sont des camarades de lutte qu’on affronte chaque année. Les résultats sont décidés à l’avance, à la manière d’un plan quinquennal. Cette année, on a perdu 19-17, comme un symbole du centenaire de notre création officieuse. C’est un peu la célébration de l’esprit coco inter-IEP » , résume Quentin.
Un prophète : Tony Vairelles
Et puis, il y a la Coupe Tony Vairelles. « Pas le trophée, pas le tournoi, la coupe. Les mots ont un sens, surtout ici. J’espère que vous l’avez… » , s’amuse Quentin. La compétition brille surtout par son jeu de mots, le reste étant assez classique : un tournoi de futsal dans un gymnase un peu naze. Tony Vairelles et sa légendaire coupe mulet sont devenus un symbole de l’image véhiculée par le Torpedo : populaire, sympathique et héritière d’un football à l’ancienne. Mais, organisation bancale oblige, la Coupe ne parvient pas à avoir lieu tous les ans. Plus aucune tentative depuis 2014, la plus belle édition de l’histoire, puisque Vairelles s’est déplacé en personne pour remettre le trophée à l’équipe vainqueur : le Torpedo.
L’intéressé lui-même n’a pas oublié l’événement : « Ils m’avaient contacté via mon site personnel. Je redescendais justement à Bordeaux pour retaper une maison, donc j’ai accepté d’aller remettre la coupe. J’ai quand même halluciné en voyant ma tête gravée sur les médailles. L’ambiance était très sympa, mais l’organisation avait l’air assez improvisée. J’avais juste reçu un message avec une adresse dans un coin perdu de Bordeaux et on a quitté les lieux en escaladant le portail, car il était fermé à clé. »
Et si, plutôt qu’une équipe de foot nostalgique de l’URSS, le Torpedo 1917 n’était pas avant tout un projet qui rassemble des types aspirant à sortir d’un sérail un peu trop contraignant à leurs yeux ? « La première chose qu’on nous dit en rentrant à Sciences-Po, c’est quelque chose comme :« Vous êtes sur la voie de l’excellence », s’indigne Peio. Alors qu’au mieux, tu vas fermer ta gueule, trouver un taf comme tu peux et faire ta vie. Le Torped’ c’est notre manière à nous de montrer qu’on ne prend pas trop ce système au sérieux. »
Par Julien Duez et Adrien Candau
Tous propos recueillis par JD et AC.