- Coupe du monde 2014
- 8e de finale
- Allemagne/Algérie
Mais qui es-tu, le match revanche ?
Et si cette Coupe du monde devenait aussi l'occasion de solder les comptes du passé et de se venger de l'histoire. En effet, les improbables résultats des poules offrent la possibilité, ou l'espoir selon le point de vue, d'assister à quelques rencontres qui sentiront le déjà-vu et surtout l'exorcisme des fantômes pour certaines sélections. Voici les cinq ingrédients pour qu'un match de foot devienne enfin celui d'une vengeance.
Il faut que le match ait compté dans l’histoire du foot (ou au moins du pays)
Quel que soit le niveau de rivalité entre pays, il ne suffit pas de s’être cogné lors d’une édition précédente de la World Cup of The FIFA pour que cela induise des aspirations autres que la traditionnelle victoire. Le sentiment de revanche dépasse une vague envie patriotique de laver l’affront d’une élimination précoce ou d’une banale erreur d’arbitrage. On voit mal la Squadra poursuivre la Nouvelle-Zélande de son éternelle vindicte après le nul de 2010, tout comme l’Argentine n’éprouve pas de haine véritable envers la Belgique pour le 1-0 en match inaugural en 1982. La petite leçon infligée par l’Algérie contre l’Allemagne fut en revanche, et d’abord, la première grande claque balancée par des joueurs africains à une grosse cylindrée européenne. Bref, la démonstration que l’ordre naturel du football entre Europe et Amérique du Sud s’en trouvait un peu ébranlé.
Il faut que subsiste un sentiment d’injustice
C’est peut-être le point le plus important, une sorte de tautologie ontologique. Sans cette impression d’avoir été victime d’une offense, d’avoir été floué, volé, quasiment humilié, le match revanche se résumerait à entasser des stats comme au base-ball ou au CFC. La demi-finale #FRALL de 86 n’a évidemment pas laissé dans les cœurs et les mémoires la même trace que 1982. Inutile d’en rajouter d’ailleurs dans ce trauma quasi « chevènementiste » qui fait vendre depuis beaucoup de papiers, de livres, et même de CD. De même, croiser le fer avec les Argentins pour des Oranje, qui ont trois finales perdues au compteur, n’aura pas la même saveur que la volonté de surclasser les Espagnols ou la Mannschaft. La #CDM1978 restant avec celle de 1966 un des plus cadeaux offerts par la FIFA au pays organisateur, avec même un fond de dictature. On a d’ailleurs hâte de voir ce qui va se passer en Russie dans quatre ans.
Il faut une mémoire intacte
La mémoire collective (spéciale dédicace à Maurice Halbwachs), quel magnifique moteur pour les sponsors et les droits télés. Mais pas seulement, surtout pendant une Coupe du monde. Il faut de la transmission orale, du long remord national, de l’émission télé, de l’article grandiloquent, des vidéos vintage sur Youtube et quelques témoins survivants, pour que toute cette mayonnaise aigre puisse prendre dans les consciences. Les grands clashs des premières Coupes du monde n’ont ainsi plus trop de chance de parvenir à insuffler un peu d’excitation dans le tournoi (la présence de l’Égypte en 1934 a quelque peu disparu des éphémérides du foot africain). Notamment aussi parce que la Seconde Guerre mondiale a redonné le sens des priorités à tout le monde. Or pour les générations qui perçoivent le monde en 2.0 (de Twitter à Tinder), l’attentat de Schumacher ou le « match de la honte » #AllAu possède une indéniable profondeur historique qui leur donnera le même sentiment que d’écouter un disque vinyle, autrement qu’en le regardant tourner sur une petite lucarne Dailymotion.
Il faut que les deux équipes aient un certain niveau de jeu
Le foot reste du sport. Pour que le match revanche compte, la bataille des égos froissés demeure insuffisante. L’enjeu du terrain doit aussi être présent. Sinon ce sera un Iran-USA avec un peu de mousse autour. En huitièmes, dont vient de sortir un improbable Costa Rica, plus aucune rencontre n’est anodine devant le couperet. Et le Brésil tremble encore de sa contre-performance contre le Chili qui a failli briser tout un pays sans le happy end des tirs au but. Le match revanche appelle aussi des teams de qualité qui croient en leur chance, au risque de vider rapidement tout le contentieux de ses relents vénéneux. Cela se conjugue également avec l’idée très importante que la malédiction fondatrice s’abattit sur la plus belle équipe de l’histoire du foot concerné. Le mythe de la génération dorée dont tout un peuple attendait un miracle – ce qui est clairement le cas avec les Fennecs de Dhaleb ou les Bleus de Platini – demeure le grand classique incontournable de tout véritable roman national. Pour les actuels capés qui vont entrer dans le stade, réussir – et pour être honnête surpasser – là où les glorieux aînés ont échoué sera une belle motivation dans les jambes et pour le futur mercato. Un Benzema si longtemps décrié doit peut-être l’avoir en tête quand il sera amené à serrer la main du président de l’UEFA. La probabilité d’écrire son nom par dessus celui de prestigieux prédécesseurs, véritables icônes, transforme forcément d’autant plus le match à venir en « ligne bleue des Vosges » .
Il faut qu’il y ait un enjeu extra-sportif
Certes, le match revanche n’est pas le seul à véhiculer d’autres problématiques que les choix tactiques. L’enjeu extra-sportif n’est qu’un ingrédient, mais il ajoute un peu de piment supplémentaire et de coloration locale à la rencontre. Au-delà de la classique confrontation entre métropole et ancienne colonie (tout le monde songe à un potentiel France-Algérie qui provoque déjà beaucoup de démagogie parmi la classe politique et sur le site du Point), ce sont tous les petits à-côtés historiques qui viennent d’un coup s’agréger en alinéas ou notes de bas de page. France-Allemagne restant sûrement la caricature où se mêlent dorénavant la vieille rivalité continentale, le souvenir de l’occupation, les échecs répétés des Bleus sur la ligne Siegfried et aujourd’hui, dans le contexte particulier de la crise, le sentiment que Berlin nous impose sa politique d’austérité pour le seul bien-être de son économie. De là à ce que Montebourg entre sur la pelouse…
Par Nicolas Kssis-Martov