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Mais qui es-tu le futsal ?

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Mais qui es-tu le futsal ?

Des gardiens sans gants, des fiches de paye moins garnies, des gymnases parfois déserts… Le futsal en France progresse, mais reste bien loin de la notoriété de son grand frère des pelouses vertes et humides. Des joueurs smicards qui jonglent avec leur métier pour joindre les deux bouts et prendre leur pied, c’est ça le futsal en 2014. Entre amour du jeu et exil doré.

« Avant de réfléchir à ma sélection, je dois avant tout savoir qui est disponible. Souvent, un joueur ne peut pas se libérer vis-à-vis de son employeur. C’est mon quotidien de devoir compter sur des forfaits. » Le ton est morne et dépité. Sélectionneur national depuis quatre ans, le Belge Alain Dopchie ne s’étonne plus de conditions de travail parfois précaires. Dans le cruel monde du football en salle, l’homme semble résigné à avancer avec l’imprévu comme seul fil conducteur, et le système D comme seul moyen de subsister. Lors du dernier Euro, la Belgique était la seule équipe amateur en lice, au titre de pays organisateur, et ne prétendait pas faire mieux que de la figuration. Ce qu’elle fit effectivement. La faute au gouffre immense qui régit en Europe la hiérarchie d’un sport à deux vitesses, porté au sommet par une élite jamais renouvelée. « Le budget futsal est de 165 000 euros en Belgique, de 2 millions aux Pays-Bas, de 9 millions en Russie » , se lamente Alain Dopchie. Des écarts chiffrés ahurissants doublés d’un manque d’équité flagrant qui suffisent à comprendre les difficultés rencontrées par le futsal, notamment lorsqu’il s’agit de s’exporter hors des frontières. Pour Jean-Marc Benammar, ancien secrétaire général du club Paris Métropole, la situation est encore plus à déplorer chez le voisin français : « Aujourd’hui, en France, les mecs ne veulent plus venir en équipe nationale. La sélection n’a aucune ambition et les joueurs ne sont pas défrayés, ils ne reçoivent même pas de primes. À partir de ce moment-là, à part risquer de se blesser, l’intérêt n’est pas immense. »

Travailler plus pour gagner moins

Le décor planté, il devient aisé de comprendre la réorientation forcée effectuée par Wissam Ben Yedder ou Youssef El-Arabi. À l’image de Neymar ou de Hulk, ces derniers ont depuis bien longtemps délaissé l’anonymat des parquets, où ils ont commencé, pour voir si l’herbe était plus verte ailleurs. En passant sur grand terrain, ils ont découvert un univers qui rapporte gros, en salaire comme en notoriété, sans commune mesure avec leur précédente activité. Journaliste belge spécialisé pour le groupe Sud Presse, Jean-François Servais s’étonne autant qu’il s’insurge devant le peu de reconnaissance d’une discipline exigeante, trop souvent considérée comme l’enfant pauvre du foot traditionnel. « Le vrai problème du futsal en Belgique, ainsi que dans beaucoup d’autres pays européens, c’est que les entraîneurs de jeunes n’acceptent pas une formation commune avec le football. Pourtant, en Espagne, jusque 12-14 ans, certains clubs le font. C’est aussi le pays le plus protecteur en futsal : la Liga n’admet qu’un certain nombre d’extra-communautaires, ce qui favorise l’apparition de talents locaux. » Pour des résultats évidents : récemment éliminée en demi-finale de l’Euro, la sélection ibérique avait pourtant déjà trusté quatre titres de championne d’Europe entre 2005 et 2012, éteignant la concurrence à petit feu. Un raccourci facile, mais authentique que constate aussi Laurent Morel, manager des compétitions de futsal pour l’UEFA : « Les deux meilleurs Ligues, ce sont l’Espagne et la Russie, et de loin. Les clubs de ces deux championnats tournent avec des budgets de 4 à 5 millions de dollars. » Des budgets largement supérieurs à la moyenne française, comme le confirme Jean-Marc Benammar : « En championnat de France de futsal, il y a quatre clubs qui survolent le championnat(ndlr : Paris Sporting Club, Cannes Bocca, Kremlin United et Erdre Atlantique) et ils tournent à une moyenne de 200 000, 300 000 euros de budget annuel. C’est l’équivalent d’un club de promotion d’honneur. »

Par effet induit, forcément, malgré sa technique et ses grigris, le joueur de futsal français ne roule pas en Lamborghini. En tant qu’amateur rémunéré au lance-pierre, son seul moteur, c’est sa passion. « Même pour les quatre grands clubs tricolores on ne peut pas vraiment parler de professionnalisme » , détaille Benammar : « Certains joueurs font l’aller-retour avec la Belgique le vendredi pour jouer dans la Ligue belge (Ligue francophone de football en salle, ndlr) et reviennent le samedi pour jouer en championnat. C’est une manière comme une autre d’arrondir les fins de mois. En plus de ça, ils bossent à côté. » L’exemple de Karim Chaibai, capitaine de l’équipe nationale belge et champion de Belgique en titre avec son équipe de Chatelineau, est à ce titre révélateur : « Personnellement, je travaille dans un garage. Le futsal, c’était possible d’en vivre à l’époque d’Action 21 (champion d’Europe en titre en 2005, ndlr), mais encore, à court terme, aujourd’hui ce n’est même plus possible. Avant, il y avait une forte médiatisation, un engouement et donc du sponsoring, aujourd’hui on a clairement fait un pas en arrière. » Les trajectoires diffèrent, l’essentiel demeure. Lui aussi international dans son pays, Alexandre Teixeira est le meilleur joueur français de sa génération : « Alexandre, il pratiquait les deux disciplines (foot et futsal). Il est parti six mois en République tchèque pendant lesquels il a gagné beaucoup d’argent, mais proportionnellement aux contraintes qu’ils avaient là-bas, il a préféré le futsal. Aujourd’hui, il est le joueur français le mieux payé et gagne 1500 euros par mois » , témoigne Rodolphe Lopez, entraîneur du Sporting Club de Paris. Un salaire de misère en comparaison des 50 000 euros mensuels que touchent les tout meilleurs joueurs espagnols, russes ou brésiliens. Par choix, par « manque de sérieux ou de motivation parfois » , comme le pense Rodolphe Lopez, ou tout simplement par la force des choses, à l’image du football féminin, la trajectoire des joueurs en salle n’est jamais un long fleuve tranquille.

Naturalisations en série

À la vérité, elles sont même souvent plus sinueuses qu’on ne pourrait l’imaginer. À tel point que personne ou presque n’est aujourd’hui choqué de voir la Russie arriver en finale de l’Euro avec trois titulaires sur cinq d’origine brésilienne. Dans un sport où la technique et la vélocité sont des atouts majeurs, les naturalisations sud-américaines sont devenues la norme, parfois jusqu’à l’extrême. Cynique, Jean-François Servais surenchérit : « La génération de 2003 de l’Italie championne d’Europe, ce n’était que des Brésiliens. Pas grave, le grand-père du grand-père du grand-père était peut-être italien. » Sélectionneur de l’équipe de France, actuellement 40e nation mondiale, Pierre Jacky critique avec ardeur un phénomène « artificiel » qui « nivelle les valeurs » : « Nous aussi, on pourrait naturaliser les Brésiliens qui jouent en France dans des clubs parisiens. Ils sont mariés à des Françaises et parlent français, on pourrait avoir recours à ces artifices, mais on ne le fait pas car on s’inscrit dans le temps long. Cela ne correspondrait pas à la mentalité française, on veut refléter la base, aller à notre rythme. » Pour Laurent Morel, le patron suisse de l’UEFA, le problème n’est pas neuf, mais impossible à réguler : « Ce sont des lois sur lesquelles on n’est pas en mesure d’influer. Mais oui, il y a un déséquilibre. Il y a des stratégies difficiles à comprendre. C’est sûr que les Brésiliens de Russie faussent la formation, c’est dommage pour les 400 000 joueurs russes qui sont sans doute très bons, mais qui n’auront jamais l’occasion de se montrer. »

En attendant de percer au niveau mondial, et de se qualifier pour sa première grande compétition, la France du futsal reste à « la préhistoire de son développement » , selon l’aveu même de son sélectionneur. « La majorité de nos joueurs viennent de l’herbe ; ils passent au futsal tardivement sans avoir fait toutes leurs classes. C’est un handicap par rapport aux autres nations. » Pierre Jacky se félicite néanmoins d’une progression « conforme aux attentes » et mise beaucoup d’espoir sur l’avenir, notamment au niveau de l’engouement que le futsal procure en ville. « Dans les zones urbaines, le futsal se développe rapidement. Au niveau scolaire aussi, la rampe de lancement est extraordinaire, il y a plus de 100 000 jeunes qui jouent dans les collèges. » Reste maintenant à copier le modèle espagnol, et à mixer l’enseignement chez les plus jeunes du football et du futsal, qui sont, de l’avis de tous, « complémentaires » . « Ainsi, on serait encore meilleurs en football et en futsal ! » se prend à rêver Pierre Jacky. De quoi envisager un avenir riche en émotions, à défaut d’être riche en argent.

Par Martin Grimberghs et Christophe Gleizes

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