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Mais qui es-tu, l’Afro Napoli United ?
En cette année d’élection, le festival La Lucarne s’empare de la thématique « Foot et Politique » pour proposer sept films passionnants du 11 au 14 mai. Le festival débute ce jeudi soir par la projection de Loro di Napoli, documentaire relatant l'épopée de l'Afro Napoli United et sa quête de représentation de toutes les réalités culturelles du tissu social napolitain. Entre safari à Scampia, blocages de la FIFA et arrivées à Lampedusa, trailer en direct au pied du Vésuve.
En 2009, Antonio Gargiulo et ses potes sénégalais de Piazza Garibaldi s’organisent des foots de temps en temps quand apparaît l’idée de monter leur propre club. « Une idée comme ça » selon Antonio, désormais président. L’idée se structure et prend finalement le nom d’Afro Napoli United. « L’objectif est celui de licencier le plus d’extra-communautaires » , raconte Salvatore Fassano, entraîneur des U19. Mais à l’Afro Napoli, pas question d’intégration. Le terme fâche : « L’intégration, c’est un sujet actif et un sujet passif : « Je t’intègre ». Non. Nous, on parle d’interaction des réalités culturelles du tissu parthénopéen » , gronde Francesco, responsable, entre autres, du service de presse.
Aujourd’hui, l’Afro Napoli affiche deux équipes seniors, une équipe U19 et pas mal de diversité. « Chez les Juniors, les U19, on a 11 nationalités » , annonce, pas peu fier, Salvatore. Chez les darons, on trouve de tout : du Napolitain de toujours en passant par du Chilien, du Burkinabé, pas mal de Cap-Verdiens et Sri-Lankais, ou encore des Sénagalais et des Équatoriens. « Ceux de Naples » , voilà ce que signifie Loro di Napoli, titre du film qui sortira le 27 novembre. Parce qu’eux aussi représentent la cité parthénopéenne. Mais Loro di Napoli est également un clin d’œil à une comédie italienne, L’oro di Napoli, l’or de Naples. « Eux » personnifient le visage de l’autre Napoli, celle qui ne connaît pas le Lungomare, le Vomero et le Castel Sant Elmo.
« Napule è mille culure »
Les soirs d’entraînement, on comprend rapidement qu’on est à Naples quand Don Franco ramasse les jeunes à la station de métro Chiaiano et pique des pointes à 100 à l’heure en ville dans son minibus de folie. À l’arrière, le décor est planté : l’objectif de l’Afro Napoli est de faire interagir, grâce au ballon et à l’humour, les réalités culturelles de la patrie de Pino Daniele. Sur le terrain, pendant que le mister parle tactique dans son jargon napolitain, s’entendent du wolof, du portugais et même du français quand Mohamed, Gambien passé par la Libye et Lampedusa, tente de lire un résumé en VF de Sénégal-Madagascar sur le portable de Bouba. À l’Afro Napoli, on fait gaffe à ne pas forcer le processus d’interaction. « On ne force pas l’un à être ami avec l’autre, les choses se font toutes seules, grâce à la vie quotidienne » , raconte Francesco. Naples, mille couleurs.
Naples, son passé et son présent restent le terreau de l’Afro Napoli. Sur le blason s’observe l’attachement à l’histoire de Naples avec le lys, symbole de la domination angevine au XIIIe siècle. Mais le rappel au présent est récurrent. À côté du lys se calent un dessin du continent africain et la plus fameuse punchline de Martin Luther King : « I have a dream » . Rêver. Rêver et lutter pour l’interaction, d’où la reproduction de la signature d’Ernesto Che Guevara au bas du blason. Naples, encore et toujours, dans les paroles de Francesco : « On a pour objectif d’être le second club de Naples. Comme le dit Amadou Touré, notre deuxième gardien né à Naples : « On veut jouer la Champions ! » Et il a raison, il faut alimenter le rêve, sinon, il meurt. »
Même les migrants sont attachés d’une manière ou d’une autre au Napoli historique. Aldair, par exemple, est né au Cap-Vert et a rejoint sa mère il y a quelques années à la Sanità, un des quartiers les plus populaires du centre de Naples. De manière générale, la plupart des joueurs vivent dans les quartiers les plus symboliques de la ville : à la Pignasecca, à la Sanita, à Forcella, cœur du centre historique de Naples. Tellement fondu dans le décor qu’Iliès, d’origine algérienne, se souvient seulement du traditionnel « mon frère » en français. Pour le reste, il préfère parler en italien. Mieux, « Adama est plus napolitain que moi du point de vue du dialecte. Si tu fermes les yeux et que tu l’écoutes parler, tu t’imagines un branleur napolitain » , raconte Francesco. Hélas, le napolitanisme n’est pas qu’histoire et dialecte.
Bananes, terrains municipaux et fièvre
Naples, mais pas seulement Naples, c’est aussi « l’ignorance de ceux qui disent la première chose qui leur vient à l’esprit : « Va chercher les bananes » par exemple. Juste pour insulter » , témoigne Francesco. Et comme l’Afro Napoli gagne tout ce qui se trouve sur son chemin, le projet dérange. Lors de la première année de compétition officielle, promotion de Terza Categoria (D9) à la Seconda (D8). Puis une autre, l’année suivante. Aujourd’hui, l’Afro Napoli est deuxième de Prima Categoria (D7) avec un match en moins. « De toute façon, les racistes sont partout, même au Sénégal. Quand un blanc débarque, on le regarde bizarrement » , conclut El Habib Diallo.
Naples, c’est aussi les problèmes d’infrastructures. « Impossible de jouer sur les terrains municipaux, mal entretenus. Alors on se déplace en banlieue de Naples, à Mugnano, et on paye une structure privée pour avoir un terrain synthé les soirs de semaine » , explique le président Antonio. Et malgré la sensibilité du maire de Naples, Luigi De Magistris, le seul sponsor est un groupe d’entreprises sociales, GESCO. Pas de thunes donc : « On fait des sacrifices. Moi qui suis journaliste de profession, je refuse parfois des piges pour ramasser les jeunes et les amener au terrain. Mais je le fais parce que moi aussi, j’ai besoin d’eux » , lâche Francesco avec émotion. Finalement, il trouve son salaire dans sa relation avec les joueurs. « L’autre jour, quand j’avais de la fièvre et que je ne suis pas venu à l’entraînement, ils m’ont tous appelé, affolés, en me demandant ce que j’avais. » Malgré l’amour, l’Afro Napoli fait face à la galère.
« Nous, on n’a pas ces moyens »
« J’ai passé mon été à m’occuper des licences » , enchaîne Francesco. Et de continuer : « On a fait les premières demandes en juillet, et les premières réponses sont arrivées mi-septembre. » En cause, le règlement FIFA. Pour autoriser les mineurs à jouer, le club a besoin de leur passeport, d’un permis de séjour valide sur le très long terme, de la signature des parents, et surtout d’un justificatif de travail officiel. C’est là que le bât blesse. La plupart des jeunes sont fils de migrants et leurs parents travaillent au black, « pour un euro cinquante par jour » . « Alors, que les grands clubs peuvent se permettre de faire travailler les parents des jeunes dont ils veulent s’offrir le talent, nous, on n’a pas ces moyens, et on doit parfois dire aux gamins qu’ils peuvent s’entraîner sans pouvoir jouer les matchs » , peste Francesco.
À la traduction des documents en espagnol, anglais, français et allemand, les quatre langues officielles de la FIFA, s’ajoute un triple contrôle. Un premier à la section régionale de la FIGC, la fédé italienne. Un deuxième à Rome. Un troisième à la FIFA, avec tous les délais que cela implique. Et parfois, des documents se perdent. Si Francesco ne s’était pas rendu à Rome pour savoir ce qu’il était advenu des documents du plus en règle des gamins, Diego López, dont le père péruvien travaille à Naples depuis dix ans, n’aurait jamais pu jouer. Ainsi, les joueurs ayant passé les contrôles peuvent jouer dans les compétitions organisées par la FIGC. Pour les autres, c’est le championnat FCS, un championnat indépendant. Francesco en a marre : « La FIFA prône la lutte contre le racisme et l’intégration par le ballon, mais finalement, ils ne sont bons qu’à faire des slogans. »
Scampia, Lilian Thuram et Didier Drogba
Sans soutiens particuliers, l’Afro Napoli se débrouille. Alors que Carlos, homme de ménage, prenait du service chez un de ses employeurs, il a rencontré Kalidou Koulibaly, arrière central du Napoli, d’origine sénégalaise. Après avoir écouté l’histoire de l’Afro Napoli et été enthousiasmé par le projet, il accepte de poser avec le maillot du club. Mais Francesco veut plus : « Malheureusement, les joueurs du Napoli sont surprotégés, mais je pense qu’un joueur comme Ghoulam pourrait vraiment nous comprendre et nous aider. » Recherche de visibilité, donc.
Et pourtant, l’Afro Napoli se retrouve dans le Huffington Post, à la RAI et même à la télé japonaise. Encore insuffisant : « Je pense aussi que des monstres du sport et de l’engagement social comme Lilian Thuram et Didier Drogba pourraient être sensibles à notre réalité. » Vers 23h30, alors que Don Franco finit sa tournée à Scampia, dans le fief de la Camorra, ne restent plus dans le minibus que les frères de Lampedusa, Mohamed et Souleymane, et leur pote Bouba. Et les trois de se chambrer à coups de vannes sénégalo-napolitano-gambiennes, conclues de rires sans nationalité. L’Afro Napoli United, ou l’interaction par le ballon.
Par Josselin Juncker, à Naples