- Physoliogie de footballeur
Mais qui es-tu, la « patte gauche » ?
C’est un mythe du football et même du sport en général. Génie rare, patron de l’élégance, le gaucher ne fait rien comme les autres. Entre beauté du geste, allergie à l’ambidextrie, faux constat et vraies différences, la patte gauche méritait bien que l’on s’intéresse à son cas.
La patte gauche est avant tout une patte sale. Une main salie par l’encre qui « bave » d’un stylo plume qui n’a pas demandé à ce qu’une paluche maladroite repasse sur une écriture encore fraîche, par exemple. Ou encore celle d’un enfant pas doué au football, mais dont la latéralité handicapante – 8 à 15% de la population mondiale selon une étude anglo-saxonne – l’amène à se positionner au poste d’arrière gauche. Mais parce qu’ils ne sont pas tous aussi maladroits que ce pauvre môme, certains gauchers fascinent. La pureté d’un centre venu d’un couloir, d’une frappe envoyée dans la lucarne, d’un crochet que beaucoup voyaient arriver dans l’autre sens. Chérie par les commentateurs, détestée par les escrimeurs droitiers et parfaitement représentée par l’immense Siniša Mihajlović, l’expression « patte gauche » est obscure, mais sa pérennité est évidente. Sur un terrain de DH, dans la rue, chez les professionnels, certains footballeurs portent haut les couleurs de la gaucherie. Mais qui es-tu vraiment, la « patte gauche » ?
Esthétisme, élégance et rareté
Jimi Hendrix et Kurt Cobain ont mal fini, mais ont eu le mérite d’assurer le show comme nombre de leurs homologues. S’il ne nous a pas quittés à 27 ans, Bernard Geghnini, gaucher comme ces rockstars, a sa petite théorie bien à lui quand il s’agit d’expliquer ce qu’est une patte gauche. « Le geste du gaucher dégage une élégance plus fine que le droitier. Il caresse un peu plus le ballon. La frappe est plus enroulée, le ballon plus cajolé. Je pense que c’est pour ça que l’on emploie ce terme. » La patte gauche serait donc avant tout un hymne à l’esthétisme, à l’élégance, au spectacle. « Il y a plus de tendresse dans un pied gauche. De tout temps, on a mis les gauchers en avant dans le football » , reprend de volée le gaucher le plus élégant de la France des eighties. Pour Stéphane Marcelin, entraîneur de l’équipe de France masculine de fleuret aux Jeux olympiques de Londres, c’est avant tout la rareté du gaucher qui fascine et lui permet d’avoir des résultats. « En 1980, en finale des J.O de Moscou, on a retrouvé 5 gauchers sur 6 finalistes. D’ailleurs, le podium était composé de 3 gauchers. Suite à cela, il y avait un docteur(Azemar, ndlr),qui avait réalisé une étude là-dessus. Selon lui, selon l’hémisphère utilisé (gauche ou droit, ndlr), la perception du traitement de l’info du gaucher par rapport à son temps d’exécution pouvait être plus rapide qu’un droitier » , sabre le coach. « Aujourd’hui, on est revenu de ce genre d’étude scientifique. Je ne crois pas qu’il y ait d’avantages physiologiques ou anatomiques, mais plutôt d’éducation et d’habitude. Les gauchers, en tennis, en football ou en escrime n’ont pas plus de qualités intrinsèques, il faut simplement s’habituer à jouer contre eux. » Genghini, qui a surfé sur cette rareté à Sochaux, Saint-Étienne, Monaco ou encore Marseille, surenchérit volontiers : « C’est plus rare de jouer un gaucher, donc ça surprend l’adversaire. Ça peut déstabiliser. C’est souvent ce que recherchent les entraîneurs. » La patte gauche serait donc née de l’amour de ce qui est rare. La passion pour un geste que seuls quelques privilégiés, qu’ils s’appellent Sinisa ou John McEnroe, peuvent réaliser. Une bande à part, mais pas une espèce en voie de disparition. Un bastion d’élite qui sévit sur grand écran ou en catimini, à Bernabéu ou au stade du coin. Pendant ce temps, il existe des droitiers au pied en or à qui on ne donne pas la « patte » .
Et le pied droit alors?
Appelez-la patte, jambe ou Jacqueline, mais ce que Dieu a donné à David Beckham mérite peut-être autant de fascination que celle que l’on peut avoir pour les gauchers. Alors si, comme l’évoquait Genghini, l’identité des droitiers est moins forte que celle des gauchers, les oubliés de l’esthétisme se rattrapent au moment de se servir de leur pied faible. Peut-être plus fort au moment d’utiliser leur arme secrète, Alessandrini, Boudebouz et James Rodríguez ont un pied droit qui leur sert uniquement à monter dans le bus, là où les droitiers ont plus de facilité à développer le côté obscur de leur latéralité. « Je pense que c’est encore plus marqué chez le vrai gaucher(pied et main). Moi, ce n’était que le pied et je pense que ça aide. Avec l’âge, je me servais de plus en plus de mon droit. C’est important pour varier son jeu. Thiago Motta est un bon exemple. Il utilise prioritairement son gauche, mais il sait aussi jouer du droit » , admire Genghini. « James Rodríguez, c’est quasiment que du pied gauche, mais quelle élégance ! Alessandrini et Boudebouz sont aussi des garçons très adroits, mais ils font tout en fonction de leur pied gauche. Mais je trouve ça fabuleux, même si c’est vrai que j’ai un petit parti pris(rires) » , poursuit l’actuel responsable recrutement du FC Sochaux-Montbéliard. En somme, la patte gauche n’est pas une question de latéralité, mais de mode de vie. Un mode de vie adopté par quelques esthètes, gâtés par la nature, mais pas par tous les gauchers. Jérémy Morel peut dormir en paix.
Par Paul Piquard et Swann Borsellino