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Mais qui es-tu, la Guinée Équatoriale?
Janvier 2010. L'équipe du Togo, qui a eu la joyeuse idée de traverser le Cabinda en bus, est attaquée par le FLEC, le front de libération du coin. Trois morts et les pleurs d'Emmanuel Adebayor plus tard, le monde découvre que l'Angola est un pays en guerre. Deux ans après, les pays africains ont rendez-vous au Gabon et en Guinée-Équatoriale. A priori, personne ne découvrira Omar Bongo, Elf et la Françafrique, mais la bonne surprise se trouve peut-être en Guinée-Équatoriale. Un petit pays coupé en deux par la mer, totalement surréaliste et gouverné par un homme qui joue à Sim City.
Décembre 2011, un mois avant la CAN, alors que Henri Michel abandonne son poste, fatigué par les « pressions politiques » , les travaux avancent doucement à Malabo et Bata, les deux villes équato-guinéennes qui accueilleront les matchs de la coupe d’Afrique. Les stades, construits par Bouygues, ne sont pas terminés, les pelouses à peine posées et le comité d’organisation de la cérémonie d’ouverture recherche désespérément des danseuses pour le 20 janvier. Dans la rue, pas un seul maillot de la sélection à déclarer, ni aucune affiche pour exciter les habitants d’un pays qui participera pourtant à sa première compétition internationale. Teodoro Obiang, « président » en chef depuis 1979, réélu en 2009 avec un explicite 95,37% des voix, a préféré tapisser les murs de pubs pour le « Forum international de la société civile sur le changement climatique » , sorte de Porto Alegre à la sauce équato-guinéenne qu’il souhaite organiser en mars 2012.
« On est prêts » rétorque David Monsiy, porte-parole du comité d’organisation. « A quelques jours de la compétition, les stades sont presque finis, les hôtels aussi » . Et le plus important ? « Oui, tout va bien, on a trouvé des danseuses » . Par contre, le 13 janvier, aucune place n’avait encore été mise en vente et une solution bricolage était en passe d’être trouvée pour faciliter l’octroi des visas à certaines délégations toujours dans l’impossibilité d’entrer en Guinée-Équatoriale. Sans compter un réseau de téléphone pourri, un système internet embryonnaire et l’obligation de se taper une compagnie aérienne black-listée pour effectuer la connexion entre la partie continentale du pays et la capitale Malabo, située sur une île en face du Cameroun. De quoi s’inquiéter, même en faisant confiance au sens de l’improvisation des organisateurs ?
« Pas vraiment. Même s’ils ne sont pas du tout prêts, au fond ce n’est pas si grave que cela, avance Samuel Denantes, secrétaire de l’association France / Guinée-Équatoriale et auteur du livre ‘Le nouvel Eldorado pétrolier de l’Afrique’. En fait, la Guinée-Équatoriale a des fonds illimités et peut faire n’importe quoi pour se sauver au dernier moment. S’il faut faire venir 5000 ouvriers compétents pour finir les travaux ou installer des chambres climatisées la veille de l’ouverture de la CAN, ils le feront. De toute façon, rien ne peut les en empêcher : ni les lois, ni l’argent » . De fait, c’est la spécificité du pays : aucune loi, beaucoup d’argent. Quatrième pays producteur d’Afrique subsaharienne avec près de 400 000 barils par jour pour un pays minuscule d’environ 600 000 habitants (2 millions selon le président, pas réputé pour son sens des mathématiques), la Guinée-Équatoriale c’est le Qatar en version africaine. De l’argent à ne plus quoi savoir en faire, que le kleptocrate Teodoro Obiang a bien sûr décidé d’utiliser n’importe comment. « Voici un pays où les gens devraient avoir la richesse par habitant de l’Espagne ou de l’Italie, mais où ils vivent plutôt dans une pauvreté pire qu’en Afghanistan ou qu’au Tchad » , affirmait ainsi Arvind Ganesan pour Human Rights Watch lors de la remise en 2009 d’un rapport de l’ONG américaine sur la Guinée-Équatoriale.
Sim City
Depuis, rien n’a changé mais Teodoro a semé des palais présidentiels, son vice caché, dans toutes les villes du pays. Président de l’Union Africaine, Obiang n’est pas le genre de bonhomme à faire les choses à moitié quand il a fallu accueillir le sommet de l’organisation. A Sipopo, il a tout simplement fait construire une ville nouvelle, placée sous le signe du faste et de l’opulence: un hôtel de luxe, deux palais des congrès, 52 pavillons haut de gamme, un golf, une plage privée et une autoroute illuminée par un poteau électrique tous les trois mètres. Le tout pour à peine 580 petits millions d’euros. La liste des folies du président est un Top Ten d’éléphants blancs à elle seule. Une reproduction de la Promenade des Anglais sur plus de 6 km, une future nouvelle capitale au milieu de la jungle, des tours en veux-tu en voilà.
Peu à peu, le pays prend la couleur surréaliste de l’esprit de son dictateur. Des autoroutes à trois voies traversent des bidonvilles privés d’eau et d’électricité. Un aéroport prévu pour des A380 monopolise la minuscule île de Corisco. Malabo accueille une université de journalisme alors que la presse équato-guinéenne se résume à un pseudo journal vendu en supermarchés et que le pays se classe 167 sur 178 au classement mondial RSF de la liberté de la presse. Plus fort encore : à Bata, le président a lancé la construction d’une usine de traitement des eaux pour luter contre l’insalubrité et le paludisme. Mais une fois l’usine opérationnelle, Obiang a refusé de mettre en place des points d’eau publics, sous prétexte que chaque équato-guinéen avait le droit à l’eau courante chez lui, comme en Occident. Sauf que pour le moment, toutes les maisons sont loin d’avoir des robinets et l’usine balance l’eau potable à la mer. « C’est surréaliste, confirme Samuel Denantes. J’ai visité des ministères, installés dans des immeubles gigantesques. Mais à l’intérieur tout est vide. Je suis rentré dans des tours où les premiers étages étaient quasiment désaffectés. Et au troisième, il y avait un immense open space, avec deux personnes, chacune à un bout de la pièce, en train de jouer au démineur » . Un pays irréel, dirigé comme un jeu vidéo: « En fait, tout est une question de représentation. Le plus important pour Obiang, c’est que les étrangers le voient comme le président légitime pour qu’il puisse continuer à toucher les intérêts sur le pétrole que lui versent les compagnies étrangères, poursuit Samuel Denantes. En attendant, Obiang joue à Sim City » .
Un footballeur dans les cages
Dictateur pétrolier aux mains plongées dans les caisses de l’état, Obiang ne s’habille pas pour autant en peau de léopard, ne mange pas d’enfants, et n’a encore jamais songé à se faire sacrer empereur. N’est pas Mobutu qui veut. A l’image des politiques publiques qu’il mène dans son pays, la répression politique est à géométrie variable. Les arrestations sont toujours arbitraires, et la prison locale, « Playa Negra » , souffre d’une triste réputation. Du jour au lendemain, des membres du gouvernement deviennent personnes non grata et, inversement, certains proches du président sont des anciens exilés qui autrefois manigançaient des coups d’état depuis l’étranger. Les footballeurs nationaux ne sont pas épargnés par les fantaisies du régime. En octobre dernier, John Meta Johnson, équato-guinéen issu d’une minorité ethnique ayant fui la précédente dictature de Macias, décide de rentrer au pays. Il obtient son visa, entame les démarches pour acquérir sa carte d’identité et est convoqué par Henri Michel pour un stage avec la sélection à Bata. De retour à Malabo, il est arrêté par la police, pourrit deux mois en prison sans être traduit devant aucun juge, puis est soudain relâché. Un grand classique en Guinée-Équatoriale.
La répression est néanmoins davantage portée sur les immigrants étrangers, force vive du pays mais la plupart du temps sans papiers. Simpliste, la tactique a un air de déjà vu. « Quand le gouvernement stresse un peu et trouve que sa propre population commence à trop râler, un ministre tient un grand discours en portant toutes les fautes sur les immigrés, de préférence les camerounais » explique ainsi Samuel Denantes. « D’ailleurs, quand Brice Hortefeux est venu en Guinée-Équatoriale pour expliquer qu’il fallait que les africains arrêtent de venir en France, le ministre de l’intérieur équato-guinéen a répondu quelque chose comme« Mais vous savez, on est tout à fait d’accord, c’est incroyable tous ces étrangers qui viennent ici et envahissent la ville ». C’était complètement hallucinant » .
Le frisson Teodorin
Jusqu’ici tout va bien pour Obiang et sa clique. Sauf que le jour où la Guinée-Équatoriale ne pourra plus s’appuyer sur le pétrole et le gaz, qui représentent un modique 99% des exportations, on ne donne pas cher de la peau du pays. Sans éducation, sans formation, avec un système universitaire sans queue ni tête qui s’arrête à la licence, le niveau national de compétences techniques frôle le zéro absolu. Du coup, Teodoro claque pour le moment ses biftons pour faire venir des mecs du monde entier. La Guinée-Équatoriale est ainsi devenue une sorte de village global improbable. Les pilotes d’avions et les marins qui assurent la liaison île-continent sont ukrainiens. La garde présidentielle est composée de marocains dirigés par des israéliens. Les autoroutes sont construites pas des serbes, des philippins travaillent dans le para-pétrolier, les chinois sont partout. Pour la CAN, des français construisent les stades, des espagnols gèrent l’attribution des accréditations et des sud-africains traînent à droite et à gauche. Et la sélection nationale n’échappe pas à la règle. « Ils n’ont aucun joueur en fait » explique sous couvert d’anonymat un international absent de la compétition pour blessure. « La plupart de ceux qui jouent en guinée ce sont pas des guinéens. Moi par exemple, je suis sénégalais en fait, mais il y a aussi des brésiliens, des espagnols, des camerounais. Ils n’ont pas de joueurs mais comme ils ont gavé de tune, ils vous donnent 10 000 euros pour faire la CAN. Moi, ils m’ont contacté, je ne sais pas comment ils ont fait, comment ils ont trouvé mon numéro, mais ils m’ont proposé beaucoup de fric, alors je suis devenu guinéen ! Ils font toujours comme ça… » .
En attendant, l’argent du pétrole qui se déverse à grands flots devrait garantir une organisation correcte de la compétition et il n’est pas exclu que Teodoro ait réservé à l’Afrique quelques délires dont il a le secret. En espérant seulement qu’il ne sorte pas trop son fils « Teodorin » , capable à tout moment d’envoyer une tornade sur Sim City. Jet Seter fou furieux, viré de la Sorbonne, accusé de trafic d’héroïne aux États-Unis, anciennement maqué avec la rappeuse Eve qui l’a viré pour des prétendues tendances cannibales, le garçon est assurément ingérable. Dernièrement, il essayait de redorer son image en distribuant des tôles aux paysans dans le cadre du programme national contre les toits en chaume. Reste seulement à espérer que l’envie ne lui prenne pas de se pointer au stade.
Par Pierre Boisson