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Mais qui es-tu « La Gazette des transferts » ?
Reine absolue des prédictions fantaisistes, spécialiste des Unes sensationnalistes et annonciatrice régulière de mercatos abracadabrantesques, La Gazette des transferts, éditée par le controversé groupe Lafont Presse, est une revue du genre lunaire. Voilà qui donne envie de se pencher sur une publication qui reste encore aujourd'hui un sacré mystère d'édition.
Le sommaire du dernier numéro, daté de décembre 2019, est presque sobre. On se demande si Moussa Dembélé sera transféré à Manchester United au mercato hivernal, on nous apprend que « Kita rêve de Gameiro » ou encore que « Le Real est plus proche d’Eriksen que de Pogba ». Un paquet de projections et de supputations évidemment sans lendemain, même si on a déjà vu La Gazette des transferts pousser le bouchon des pronostics beaucoup plus loin, quand il s’agit de s’enflammer sur le mercato. Moqué sur internet pour son art discutable de la prédiction et son amour immodéré pour les titres tapageurs, le magazine a su se forger une petite légende sur les forums et sujets consacrés au football.
Comme sur le site Jeuxvideo.com, où on se bidonne allègrement sur les couvertures les plus fantaisistes de la publication. Pour ne citer que les plus savoureuses, on peut citer celle qui annonce « Kaká au PSG » (suivi de la mention « le milieu de terrain brésilien retrouve Ancelotti, son ancien entraîneur à l’AC Milan »), cette Une qui prétend que « L’OM est à fond sur Suárez » , ou encore une autre qui annonce pêle-mêle « Pedro au PSG, Essien vers le LOSC, Ménez à la Juve, Ben Arfa à la Roma » . Pas besoin de sonder les arcanes du football business pour savoir ce qui se trame derrière ce bazar-là : si le mercato est pour certains une usine à fantasmes, La Gazette des transferts a manifestement fait sien l’art de les imprimer sur papier glacé.
Fantasy football
En voilà donc un drôle de magazine, qui fait des siennes depuis plus de dix ans. Le premier numéro du titre remonte à mai 2008. Au menu : Gourcuff en couverture, qu’on annonce très proche de l’OM, accompagné des mentions « Drogba à l’Inter, Monaco discute avec Materazzi » ou encore « Chelsea relance Henry. » Dans ses pages, le titre suppute, envisage, sans annoncer catégoriquement les mouvements sur le mercato pronostiqués en couverture. Pas de désinformation ici, même si le procédé peut sembler un tantinet trompeur.
Reste qu’on se marre souvent au moment de découvrir les Unes du titre, qu’on peut schématiquement présenter comme le petit frère d’une autre publication sobrement titrée Le Foot, créé en 1992. Aujourd’hui mensuelle, cette dernière, a fêté en septembre son 414e numéro, et a également fait des pronostics sur les transferts une de ses spécialités maison. En atteste la dernière Une du magazine, qui titre « Aouar à Paris : le Lyonnais préfère le PSG » . Rien de surprenant là-dedans : les deux publications sont aujourd’hui coordonnées par le même rédacteur, un certain Stéphane Désenclos. Au programme : pas mal de papiers courts ponctués de quelques interviews, mais aucun reportage à l’horizon. Rien de bien approfondi là-dedans, mais rien de scandaleux non plus.
En 2009, Lafont Presse, le groupe qui édite les deux publications, avait aussi lancé Le Quotidien du foot, une tentative de proposer un journal qui traite quotidiennement du sport roi. Un titre qui n’est plus disponible en kiosques aujourd’hui, mais qui aurait pu avoir fait quelques écarts embêtants il y a quelques années. Mi-octobre 2009, le site Calciomio, spécialisé dans l’actualité du foot italien, affirme que « Le Quotidien du foot, du groupe Lafont Presse, s’est permis de plagier pas moins de six articles de Calciomio. C’est-à-dire plus de la moitié de ses informations liées au Calcio ». Calciomio ne s’est pas privé pour étayer ses dires : « Sur la page dédiée au Calcio, sur onze articles, ce sont donc six articles qui ont été copiés, imités, voire grossièrement copiés puis collés par le journal « Le Quotidien du foot ». Pour preuve, notre erreur de frappe dans l’article sur Ménez : « Paix’ avec deux guillemets différents. L’auteur du copier-coller ne l’a pas noté puisqu’on retrouve la même erreur dans la page Calcio du « Quotidien du foot ». De même « Antonoo Di Natali » dans un autre article, la faute de frappe sur le nom du buteur de l’Udinese est reprise par « Le Quotidien du foot ». »
Lafont la forme
Le mensuel Le Foot comme La Gazette des transferts semblent quoi qu’il arrive s’inscrire en partie dans la lignée du groupe qui les édite, à savoir Lafont Presse, une firme unique au sein du paysage médiatique français. Créé en 1984 par Robert Lafont, qui est toujours aux manettes de l’entreprise, cet éditeur de presse magazine revendique une boulimie créative qui semble au premier regard économiquement kamikaze. À en croire le site internet de Lafont Presse, l’éditeur propose aujourd’hui « plus de 80 magazines diffusés en kiosque ». Démentiel, lorsque l’on sait que le groupe compterait autour d’une vingtaine de salariés, si on en croit Le Monde. De fait, Lafont Presse table massivement sur des rédactions déléguées – des journalistes ou structures indépendantes – pour noircir les pages de ses magazines. Une stratégie décentralisée qui aurait pu valoir à la firme quelques soucis récurrents. En janvier 2019, le Youtubeur Sylvain Szewczyk consacrait une vidéo fort bien documentée à Lafont Presse, où il ciblait notamment l’un des anciens titres du groupe, JeuxVidéo Revue, lancé en 2018 et qui n’est plus publié aujourd’hui. Le vidéaste pointait alors que de nombreux articles du magazine n’étaient que de vulgaires copiés-collés d’articles de sites de divers médias comme Melty, Gamekult, Le Monde ou encore GQ.
En août 2019, c’est une autre publication de Lafont Presse, Le Magazine de l’aviation, qu’on a vu placardisée sur Twitter. Des internautes reprochaient notamment au titre d’avoir photocopié le contenu de divers sites web spécialisés. « À l’époque, j’avais regardé les comptes de cette boîte, ça me faisait marrer de voir qu’elle était bénéficiaire, ce qui est rarissime dans le milieu de la presse, se souvient le journaliste François Krug, auteur d’un article pour Le Monde en 2015 sur le fondateur de Lafont Presse, savoureusement titré « Robert Lafont, éditeur version copier-coller » . « Les coûts de production du groupe sont hyper faibles, parce qu’il embauche peu de journalistes et comme on y fait peu ou pas de terrain, pas besoin de faire du reportage ou de payer des photographes. »
Allez, un nouveau petit tour dans le fabuleux monde des magazines @_lafontpresse. Ici, « Le magazine de l’aviation » , qui vous fait payer près de 10 euros pour du copier/coller de communiqués de presse. pic.twitter.com/H5Z1iKaDu0
— Raphael Grably (@GrablyR) August 20, 2019
Lafont Presse, dont le chiffre d’affaires tournerait autour de 14 millions d’euros en 2019, semble de fait avoir mis sur pied une usine à contenus hyper prolifique, sans que les écarts rédactionnels identifiés dans certains de ses magazines ne lui soient rédhibitoires. « Je pense que, finalement, personne dans le milieu de la presse ne s’intéresse vraiment à leurs canards, théorise François Krug. Ces journaux ne menacent personne, ils ne font pas des chiffres de vente très impressionnants. Ils font dans le quantitatif. En additionnant les ventes de ses dizaines de publication, l’entreprise s’y retrouve financièrement. »
Lafont de commerce
« On peut aussi penser que, l’idée, c’est de s’afficher dans les kiosques à côté de titres qui ont une certaine notoriété, ce qui peut aussi donner envie aux lecteurs d’opter pour les publications de Lafont Presse, poursuit le Youtubeur Sylvain Szewczyk. C’est aussi pour ça qu’ils se spécialisent dans absolument tous les domaines. Lafont Presse édite aussi bien des magazines de sport que des titres d’aviation, de train, de santé, et ce sont souvent des publications qui ne dépassent pas trois, quatre numéros. » Ce qui n’est néanmoins pas le cas de La Gazette des transferts et de Le Foot, qui ont respectivement publié 104 et 414 numéros et semblent s’appuyer sur une poignée de rédacteurs en interne, qui travaillent à l’élaboration et l’écriture de leurs contenus. Même si la méthode a probablement ses limites. Depuis le 13 décembre 2019, on n’a en tout cas plus vu de nouveau numéro de La Gazette des transferts en kiosque, alors que la publication du titre avait adopté un rythme trimestriel. Il semble cependant encore un peu tôt pour enterrer le facétieux magazine, qui, depuis onze ans et des poussières, prouve qu’il est au moins aussi tenace que la rumeur qui annonçait un retour imminent de Didier Drogba à l’OM.
Par Adrien Candau
Tous propos recueillis par AC