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Mais qui es-tu, Jonas Hector ?
Titulaire indiscutable sur le flanc gauche de la défense allemande, Jonas Hector, 26 ans, est le plus méconnu des joueurs allemands. Et pour cause, il y a quelques saisons encore, il évoluait dans le club amateur de son village de la Sarre. De ce parcours atypique, le défenseur du 1. FC Cologne a gardé un certain goût pour la discrétion.
Pas de compte Instagram, pas de page Facebook, pas de fil Twitter, pas de story Snapchat. À tout juste 26 ans, Jonas Hector n’est pas vraiment à l’image des gens de sa génération. « J’estime que ce qui est privé doit le rester » , confie-t-il volontiers lorsqu’on lui pose la question de son absence sur les réseaux sociaux. Cette attitude contraste énormément avec celle des stars allemandes qu’il côtoie depuis maintenant deux ans. Au milieu de Mesut Özil, Jérôme Boateng et Toni Kroos, qui ne peuvent pas passer une demi-journée sans se prendre en photo, Jonas Hector détonne. Même lors des entraînements de la Mannschaft, les photographes accrédités semblent l’éviter, comme s’il leur avait demandé au préalable de ne pas le shooter. Cette discrétion quasi maladive fait du latéral gauche l’un des secrets les mieux gardés d’Europe. Ceux qui suivent la Bundesliga n’en disent que du bien, les autres ne savent même pas qu’il existe. Une situation qui ne gêne aucunement l’intéressé, toujours aussi surpris d’en être arrivé là, puisqu’à l’âge de 20 ans, il n’était encore qu’un joueur amateur parmi tant d’autres. « Il y a quatre ans, je regardais l’Euro à la télé avec mes amis, je n’étais pas encore pro. Je ne pensais évidemment pas que je jouerais un jour en équipe nationale » , explique-t-il ce jeudi dans les colonnes de Kicker. Aujourd’hui, Jonas Hector est loin des soirées chips-bière-télé avec ses potes. Nouveau chouchou de Joachim Löw, il va passer son début d’été 2016 sur le flanc gauche de la défense allemande. Loin, très loin de son village natal de la Sarre.
There’s no place like home
Jonas Hector a grandi dans un ces nombreux villages où l’on peut voir la France de sa fenêtre et qui possède même un joli pont de l’amitié franco-allemande. Aujourd’hui Land de la République fédérale allemande, la Sarre, petit territoire collé à la Lorraine et au Luxembourg, a été à plusieurs reprises un territoire occupé par la République française, notamment entre 1919 et 1935, mais aussi entre 1946 et 1957. De ces diverses périodes d’occupation reste donc un goût immodéré pour la langue française (40% des habitants du Land la comprennent) et… c’est à peu près tout.
À la différence de l’Alsace avec l’Allemagne, la Sarre n’a plus beaucoup de liens avec la France, et ses jeunes habitants passent moins la frontière que leurs voisins. À Auersmacher, où Jonas Hector a passé toute sa vie avant de filer à Cologne, on vit à l’allemande, bien que la frontière soit juste de l’autre côté de la Sarre. Ici, comme dans le reste du pays, le football joue un rôle prépondérant, et les 2578 habitants du village sont presque tous concernés par la vie du club : le SV Auersmacher, qui évolue aujourd’hui en 6e division.
C’est là que Jonas Hector a joué jusqu’à l’âge de 20 ans. Un club qui compte pour la famille Hector : le père y a longtemps été entraîneur, notamment chez les jeunes, le frère en est actuellement le président et la mère gère l’événementiel. Un club qu’il aurait pu ne jamais quitter, bien que durant son enfance, son talent fut déjà bien visible. « Jonas était meilleur que les autres, il était toujours surclassé. Quand il était en âge de jouer avec les U8, il jouait en U10, etc. Il était plutôt raffiné, dans son style. Et ça faisait la différence » , raconte Manfred Berger, vice-président du SV Auersmacher.
À la sortie de l’adolescence, alors que l’équipe première monte en Oberliga (l’équivalent de la 4e division), quelques clubs commencent à s’intéresser à Jonas et à son frère Lukas. Bochum, Fribourg et même le Bayern Munich, où ils effectuent tous deux un essai pour intégrer l’équipe réserve, se penchent sur eux. Sans succès. Il faut dire que Jonas Hector a longtemps été réticent à l’idée de partir de chez lui. « Le 1.FC Saarbrücken est venu me chercher à un moment, mais je n’avais pas envie de changer quoi que ce soit. J’étais bien avec mes amis, à jouer au ballon » , révélait-il dernièrement dans les colonnes du magazine 11 Freunde.
Changement de ville, changement de poste
En 2010, alors que l’Allemagne s’apprête à casser des briques lors de la Coupe du monde en Afrique du Sud, Jonas Hector voit sa vie changer lorsqu’il est découvert par un scout du 1. FC Cologne. « C’est notre scout en Sarre qui m’a contacté – à l’époque, Jonas était milieu offensif. Je suis venu voir, et il m’a beaucoup plu, je me suis dit que ça pouvait être un bon renfort pour notre équipe réserve, c’est-à dire nos U21 » , raconte Stephan Engels, à l’époque chargé du recrutement du club rhénan. « Le but était de faire jouer Jonas avec les U21, mais si nous l’avons fait venir, c’est parce que nous étions convaincus qu’il pourrait aller au-delà » , ajoute-t-il. On est alors en janvier, et Jonas Hector, surpris par cette offre, hésite longtemps. Bientôt âgé de 20 ans, il ne se voit pas forcément changer de vie à cet âge. Mais face à une telle opportunité, il finit par accepter tout en imposant une condition : qu’il puisse finir la saison avec son club de toujours. « Peut-être que ça aurait été bien d’avoir six mois d’adaptation » , concède Hector, toujours dans 11 Freunde. « Mais je ne voulais pas partir d’Auersmacher du jour au lendemain. »
Si Jonas finit par accepter cette proposition et partir loin de son cocon familial, c’est sans doute que le « FC » , bien qu’étant une grosse structure, n’est pas une machine à stars et prend soin de ses joueurs. « Je pense que Jonas a choisi Cologne parce que c’est le club qui lui a laissé la plus forte impression, à lui ainsi qu’à sa famille. Le club a montré qu’il le voulait vraiment, et je pense qu’il a dû se laisser séduire par l’ambiance familiale qui y règne » , explique Manfred Berger. Au sein de la réserve, Jonas Hector impressionne très vite. Puis un jour, lorsqu’un de ses coéquipiers se blesse, il accepte, à la dernière minute, de dépanner au poste de latéral gauche. Un poste qu’il n’a plus quitté depuis. Et quand on lui demande ce que représentait ce changement de poste pour lui, Hector répond que sa position sur le terrain est une chose qui lui est « bien égale » . Dans son ancien club, personne n’a été surpris qu’il réussisse aussi bien à ce nouveau poste. « Jonas Hector pouvait jouer à chaque poste. Il jouait milieu avec mon mari, mais ça lui arrivait de jouer ailleurs. Quand on faisait des tournois en salle, il allait souvent dans les buts. Et il était bon » , se souvient la femme d’Emil Poklitar, entraîneur de Jonas Hector des U15 aux U17.
À l’été 2012, après deux ans passés chez les U21, Hector intègre l’équipe première de Kölle et signe son premier contrat pro. Le club évolue alors en 2. Bundesliga. Avec Timo Horn, gardien formé au club, Jonas Hector devient un des piliers de l’équipe et un des grands artisans de la remontée dans l’élite, en 2014. Quelques mois plus tard, la retraite de Philipp Lahm aidant, il reçoit sa première convocation en équipe nationale après n’avoir joué qu’une dizaine de matchs en première division. Lui qui n’avait jamais pensé atteindre un tel niveau se voit contre toute attente propulsé titulaire de l’équipe des Weltmeister dès son premier match. Depuis, Jonas Hector est indéboulonnable. En 2015, il est le joueur qui a joué le plus de minutes avec l’Allemagne (714), loin devant les cadres supposés de l’équipe.
L’exception qui confirme la règle
Cette ascension fulgurante rend évidemment fier tout son village, mais aussi une grande partie du foot amateur allemand. Des 23 joueurs présents à l’Euro, Jonas Hector est le seul à ne pas être passé par un gros centre de formation. Dans un football teuton qui mise de plus en plus sur ses grosses institutions et sur la précocité de ses joueurs, Hector fait réellement figure d’exception. Pour beaucoup, c’est ce parcours atypique qui a forgé sa personnalité quelque peu déroutante pour le grand public. « Il vient d’un petit club amateur, d’un village, au contraire de beaucoup de pros qui ont fréquenté les centres de formation. Et je pense que ça l’a forgé : il est dans sa bulle » , explique Manfred Berger. À Cologne, ainsi qu’en équipe d’Allemagne, tout le monde loue sa simplicité. « Jonas est quelqu’un qui a une très bonne mentalité. Il a beau être arrivé en équipe nationale, il reste quelqu’un de très modeste. Il est très à l’écoute, il fait ce qu’on lui dit, il a toujours envie de progresser » , résume Stephan Engels. Pour Hector, qui a passé la première partie de son diplôme d’entraîneur une fois son bac en poche, la réflexion est la base du jeu : « Je réfléchis beaucoup quand je joue. Quand on se place bien ou qu’on fait le bon appel, ça permet de mieux gérer ses efforts. J’ai toujours aimé le jeu en soi. » Cette volonté de toujours bien faire ne passe pas inaperçue au sein de la Mannschaft, une équipe où presque tous les joueurs sont des stars depuis leurs 18 ans. Bien souvent, la discrétion et la modestie de Jonas Hector sont d’ailleurs prises à tort pour une expression de sa supposée timidité. « Jonas n’est pas timide, loin de là. Il estime qu’il n’a pas besoin de parler de lui partout, tout le temps » , assure Manfred Berger. La vie de star n’intéresse pas le latéral gauche, qui avoue sans soucis qu’il ne possède toujours pas « de voiture de sport » .
Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’a pas de caractère. Sur le terrain, il n’hésite pas à haranguer ses coéquipiers, pourtant parfois bien plus expérimentés que lui. Pour son premier entraîneur, Silvia Dressel, son succès n’est finalement pas un hasard. Sa soif de victoire a toujours été immense, et ce, depuis sa tendre enfance. « À la fin des entraînements avec les petits, je mettais les faibles d’un côté, les forts de l’autre, et je jouais avec les faibles. Je faisais en sorte que ça se finisse en match nul, pour que personne ne soit triste à la fin de la séance, raconte-t-elle avec le sourire. Mais Jonas n’était pas content. Une fois, il est venu et il a dit qu’il ne jouerait pas. Puis sa mère est venue, pour savoir quel était le problème. En fait, Jonas ne voulait pas que je joue, pour avoir une chance de gagner le match.(rires) » Aujourd’hui, toute la région regarde avec émoi les aventures d’un gars bien de chez eux, qui n’hésite pas à prendre du temps pour revenir chez lui, va aux matchs du SV Auersmacher et s’intéresse à ce que font les jeunes du club. Si, aujourd’hui, ses potes de chambrée sont des stars du Bayern Munich, Hector ne s’en émeut guère. Car comme le dit Silvia Dressel avec fierté : « En fait, c’est comme s’il n’était jamais parti. »
Par Sophie Serbini, à Cologne