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Mais qui es-tu, John Carver ?
Enlisé dans une série infâme de dix matchs sans victoire depuis début mars, Newcastle s'apprête ce dimanche à jouer sa survie dans l'élite face à West Ham. Une situation dramatique à laquelle n'est pas étranger John Carver, l'actuel manager des Magpies. Éternel adjoint, l'Anglais est devenu numéro un en janvier dernier et a, surtout, encaissé un flot inépuisable de critiques.
Des situations les plus désespérées surgissent souvent des héros. Ou plutôt de simples hommes que l’on a érigés en tant que tels pour raviver une flamme sur le point de s’éteindre. À Newcastle, là où la passion côtoie la plupart du temps la frustration, l’héroïsme est un terme qu’on utilise avec parcimonie. Car les plus grandes promesses précèdent les plus grandes déceptions. Lors de l’exercice 2008-2009, Alan Shearer, icône absolue des Magpies, mais dépourvu de diplôme d’entraîneur, est appelé en dernier recours pour extirper le club du Tyne and Wear de la zone de relégation à huit journées de la fin. Une tentative avortée puisque, malgré cette arrivée, Newcastle sombrera inéluctablement en Championship au terme de la saison. Six ans plus tard, le peuple geordie se retrouve de nouveau au bord du précipice. Et c’est désormais un homme d’une tout autre stature à la tête de l’équipe : John Carver.
Cinquante ans, les traits marqués, un embonpoint ostensible et un charisme jamais cultivé. Un manager, aussi et surtout, en souffrance depuis sa prise de fonctions en janvier dernier. Ce qui ne l’avait pas empêché, début mai, de polariser l’attention en tenant ces propos, alors que les Magpies viennent d’essuyer une huitième défaite d’affilée en Premier League (soit la pire série du club depuis 1977) : « Je continue de penser que je suis le meilleur coach de la Premier League. C’est ce que je pense. Si j’ai les bons outils, je peux faire mon travail. En ce moment, je fais au mieux de mes possibilités et cela va continuer comme ça lors des trois prochaines semaines. » Une sortie médiatique que les observateurs du Royaume n’ont pas manqué de railler. Parce que Newcastle, qui pointe seulement à une longueur du premier relégable, s’apprête à jouer sa survie lors de l’ultime journée. Et parce que John Carver ne présente pas franchement le profil du sauveur.
Enfant du peuple et fan inconditionnel
Dans sa traditionnelle chronique au Daily Telegraph, Gary Neville livrait, début mai, son ressenti sur la situation actuelle des Magpies : « John Carver est un manager émotif, et Newcastle est un club très émotif. » Si l’entraîneur anglais prend tant son job à cœur, c’est parce qu’il est un enfant du peuple. Né à Newcastle upon Tyne en 1965, John William Carver a vite succombé aux caresses du ballon rond et aux charmes du club de Newcastle United. À seize ans, considéré comme l’un des talents les plus prometteurs de la ville, il rejoint les Toons. Mais l’aventure ne dure que deux ans et le gamin n’est pas conservé. Sa carrière en tant que joueur professionnel, Carver va l’écrire à Cardiff avant qu’une blessure au genou ne vienne prématurément briser ses doux rêves à seulement vingt ans. Mais toujours porté par son amour du football, le gaillard continue de pratiquer en semi-professionnel avec Gateshead tout en passant ses diplômes d’entraîneur à Newcastle.
En 1992, il se voit ouvrir les portes de la Toon Army où il est chargé de l’encadrement des jeunes. Six ans plus tard, le manager de l’équipe première, Ruud Gullit, le nomme assistant dans son staff. Une chance inouïe pour un homme resté profondément attaché à son club de cœur. « Je pense que c’est le meilleur club de foot au monde, s’épanchait-il, fier, en décembre dernier. Que ce soit ou non un grand club avec des trophées, cela n’a pas d’importance. À mes yeux, c’est le meilleur club. » Olivier Bernard, qui l’a connu cinq saisons à Newcastle (2000-2005), ne dit pas autre chose. « C’est quelqu’un qui est vraiment marqué Newcastle, presque un fanatique, corrobore l’ancien latéral français. Il a fait toutes ses classes au club. Après un match, il va au pub voir ses copains. C’est l’ami de tout le monde. On pourrait même le considérer comme un fan typique prêt à en venir aux mains, parce qu’on lui dit que Newcastle est l’équipe la plus nulle. Si on dit quelque chose de mal sur le club ou la ville, il ne sera pas d’accord. Et il va vous le dire tout de suite, car il est très direct. C’est vraiment un passionné. »
Bobby Robson, sa plus grande influence
Cette passion parfois exacerbée, parfois excessive, John Carver l’a toujours eue. Et c’est ce qui a séduit feu Bobby Robson lors de son arrivée chez les Magpies, en 1999. Sous l’égide de l’éminent coach britannique, il a été promu entraîneur adjoint. Surtout, il a viscéralement été influencé par son management très paternaliste et très humain. « Que ce soit dans le travail ou en dehors, je l’ai vraiment apprécié. C’est un homme qui a le goût du travail, qui connaît très bien le football et avec un grand cœur, souligne Laurent Robert, qui a arboré le maillot de Newcastle durant quatre ans (2001-2005). Il ne lâche jamais rien. C’est ça le caractère de John Carver. Je l’ai connu comme adjoint à Newcastle, puis comme entraîneur à Toronto (2008-2009, ndlr). Là-bas, ça rigolait beaucoup à l’entraînement. Tous les joueurs prenaient beaucoup de plaisir. On ne pouvait que bien travailler avec lui. »
Ces qualités-là, le technicien de cinquante ans les a héritées de celui qu’il estime comme son mentor. À l’aube de son premier match avec la Toon Army, après le départ d’Alan Pardew pour Crystal Palace, il n’avait d’ailleurs pas oublié de rappeler combien Bobby Robson continuait encore aujourd’hui de l’inspirer. Chaque jour. « Je suis catholique et je crois que Bobby Robson me regardera d’en haut, je le pense vraiment. Il sera sur le terrain avec nous. Je ne m’arrête jamais de penser à Sir Bobby et j’ai commencé à lire son autobiographie. (…) Quand il m’a donné son livre, il m’a dit : « Tu dois réaliser comment ce club est grand. Si tu as l’opportunité de l’entraîner un jour, n’aie pas peur de cela, savoure et saisis cette chance. » Il m’a vraiment vu comme un futur manager de Newcastle. Je vais donc saisir cette occasion. » Mais le rêve de revêtir le costume de manager général s’est vite transformé en cauchemar éveillé.
Excellent adjoint, mais médiocre numéro un ?
Depuis son intronisation à la tête de Newcastle en janvier dernier, John Carver affiche un bilan catastrophique en championnat (2 victoires, 4 nuls et 12 défaites). À dix longueurs de la zone de relégation lors de sa prise en charge, les Magpies ont depuis sombré. Inévitablement. Une chute libre dont l’Anglais ne peut se départir, lequel a clairement montré ses limites en tant que numéro un après avoir occupé le poste d’adjoint durant plusieurs années. « Honnêtement, c’est un adjoint parfait qui est proche des joueurs, confie Sébastien Carole, qui l’a côtoyé comme adjoint et coach intérimaire à Leeds United (2006). Il effectuait les séances d’entraînement. À l’époque, Kevin Blackwell était un manager avec un sacré tempérament et qui gueulait pas mal. Carver était là pour calmer un peu tout ça et expliquait les décisions du manager. C’est un bon coach, très professionnel, très qualifié et qui va faire progresser les joueurs, mais pour être manager, je ne suis pas persuadé qu’il ait les épaules pour gérer un groupe et ses ego. Avant qu’il ne devienne entraîneur intérimaire, c’était un bonheur. »
Les chiffres traduisent d’ailleurs ses difficultés lorsqu’il occupe le poste d’intérimaire ou d’entraîneur principal. En 67 matchs disputés à Newcastle, Leeds, Toronto et Sheffield United, il ne comptabilise que 25,37% de succès. « C’est un genre de Jean-Louis Gasset, on va dire » , résume en souriant pour sa part Laurent Robert. Plus à l’aise dans l’ombre, Carver a eu du mal à apprivoiser la lumière. Sa communication en public a notamment été ouvertement critiquée. Outre sa déclaration où il affirme être le « meilleur coach de Premier League » , il a défrayé la chronique début mai en assurant que son défenseur Mike Williamson avait délibérément écopé d’un carton rouge lors de la débâcle à Leicester (3-0). Une remarque personnelle, inopportune, qui illustre le style direct et sans ambages d’un coach ne maîtrisant pas tous les rouages du métier. « Le connaissant plutôt bien, je sais que c’est l’honnêteté qui le dessert aujourd’hui. Comme on dit, il n’a pas le« poker face », atteste Olivier Bernard. Il ne sait pas faire cela. Ce qu’il dit aux médias, c’est ce qu’il ressent. Il est un peuold fashion. » Un homme décrié donc, loin de faire l’unanimité auprès de ses joueurs, mais toujours en mission : « Ce match contre West Ham est le match le plus important que ce club a connu dans son histoire depuis très, très longtemps. » Quatre-vingt-dix minutes au cours desquelles John Carver a encore le temps de jouer les héros.
Par Romain Duchâteau