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Mais qui es-tu, Jack Grealish ?
Ses récents exploits nocturnes ont fait la Une des médias britanniques. Mais à 19 ans, Jack Grealish, l'une des révélations de la Premier League, a d'autres soucis en tête. Sollicité par la sélection anglaise et la sélection irlandaise, le milieu d'Aston Villa n'a toujours pas fait son choix. Et ça commence sérieusement à en agacer certains.
Jack Grealish se souviendra de ses vacances en Espagne, à Tenerife. Enfin, surtout de leurs conséquences. Après avoir passé une nuit à dormir sur le bitume et probablement à décuver, le jeune Irlandais de 19 ans a eu le droit à sa photo en Une de tous les tabloïds britanniques en début de semaine. Son club d’Aston Villa a également prévu de le convoquer à une petite réunion. Mais si cet épisode a tant fait parler de l’autre côté de la Manche, c’est surtout parce que le cas Grealish est au cœur de nombreuses discussions depuis plusieurs semaines. Et pour d’autres raisons que pour sa faculté à tenir ou non l’alcool. Pour sa première année en Premier League, celui qui va fêter ses vingt printemps le 10 septembre prochain sort d’une saison plus que prometteuse avec Aston Villa. Apparu à 17 reprises en championnat, il a surtout profité d’un temps de jeu plus conséquent en fin de saison pour se montrer et confirmer des qualités évidentes comme milieu offensif ou ailier. Et comme toujours dans le football, lorsqu’un jeune joueur commence à se faire remarquer, se pose la question de son avenir international. Une question très loin d’être réglée concernant Jack Grealish, tiraillé entre la République d’Irlande, pour qui il joue depuis toujours, et l’Angleterre, son pays de naissance. Certes, le numéro 40 de Villa est loin d’être le premier joueur à devoir trancher entre deux sélections, mais choisir n’est pas toujours si facile. Ce n’est pas Nabil Fekir qui dira le contraire. Pour Grealish et ses cheveux gominés, l’équation semble même très difficile à résoudre. Compréhensible au vu de son parcours.
Notts County et George Best
Né à Solihull dans la banlieue de Birmingham, Grealish a appris à la fois de la culture anglaise et irlandaise. Si ses parents ont vu le jour en Angleterre, trois de ses grands-parents sont, eux, nés sur le sol irlandais. Anecdotique, ou pas, il a également passé sa jeunesse à jouer au football gaélique, très certainement le sport le plus populaire en Irlande. Mais à côté de ça, Grealish, qui a perdu à quatre ans son petit frère Keelan âgé de neuf mois, est un enfant de Birmingham, et plus particulièrement un enfant d’Aston Villa. Logique quand on sait que son arrière-arrière-grand-père, Billy Garraty, a remporté la FA Cup en 1905 sous la tunique des Villans, et que le père de Jack a commencé à l’emmener au Villa Park très jeune. Entré au centre de formation du club à six ans, ce pur droitier a fini par lâcher le football gaélique à quatorze piges pour se concentrer sur le football. Avec succès puisqu’il a tranquillement franchi tous les échelons jusqu’à son arrivée dans l’équipe première. Envoyé gratter de l’expérience du côté de Notts County en 2013-2014, en troisième division anglaise, Grealish a pour le moins convaincu avec 38 apparitions pour cinq buts et sept passes décisives à la clé. Et à un âge où certains jeunes sont baladés de prêt en prêt dans d’obscures divisions, l’Irlandais, lui, a été rapatrié au bercail dès la saison suivante.
Bien conscient qu’il détenait là une véritable pépite, Tim Sherwood, le manager de Villa, l’a d’abord utilisé avec parcimonie cette année avant de faire de plus en plus appel à lui lors des derniers matchs. Une marque de confiance alors que le maintien du club n’était pas encore acquis. Sa technique a fait un bien fou à une équipe en manque de véritables créateurs. Exquis balle au pied et particulièrement friand de crochets, celui qui porte ses chaussettes baissées comme un certain George Best est capable de faire la différence sur un geste et de trouver des décalages sur une simple inspiration. « Il pourrait jouer dans n’importe quelle équipe de Premier League, il est tellement fort » , s’enflammait même, fin mai, son compère de club Gabby Agbonlahor, dans des propos relayés par le Daily Star. Positionné en 10, Grealish avait régalé le public de Wembley lors de la victoire de Villa face à Liverpool (2-1) en demi-finale de la Cup. Une véritable démonstration, à tel point que Jordan Henderson et Joe Allen en auraient encore le tournis. Mais s’il s’est révélé en Angleterre, le petit Jack n’a pas pour autant lâché l’Irlande. Enfin pas encore.
Un vent pour l’Irlande
Convoqué en sélection irlandaise depuis ses quinze ans, il a même été élu, en mars dernier, joueur irlandais de l’année chez les moins de 21 ans. Une belle récompense qui en dit long sur le talent du bonhomme, mais qu’il traîne aujourd’hui comme un boulet. Car si ce soir-là, Grealish s’était évidemment félicité de recevoir un tel prix, il avait aussi tenu à rappeler son sens des priorités : « J’ai parlé à Noel King en début d’année (manager des moins de 21 ans irlandais, ndlr) et je lui ai dit que je prenais une année sabbatique en sélection pour me concentrer sur mon club » . Tout en ajoutant : « Je fais une bonne saison avec Villa et j’espère que l’an prochain, je jouerai de nouveau avec l’Irlande » . Même s’il n’était pas encore clamé haut et fort, son choix semblait alors de plus en plus se porter sur le maillot vert.
Alors, quand, en mai dernier, Martin O’Neill, le sélectionneur irlandais, l’a appelé pour affronter… l’Angleterre et l’Écosse, cela semblait écrit. Grealish allait enfin prendre une décision et donner son feu vert à l’Irlande. Mais pas du tout. L’enfant de Birmingham a gentiment décliné la proposition. Excuse invoquée ? Une fin de saison à jouer avec Villa et un besoin de concentration. Une explication en partie acceptable si l’on prend en compte le fait que Grealish était alors en pleine opération maintien avec son club et que la finale de la FA Cup approchait à grands pas. Mais cette réponse a surtout mis en évidence l’incertitude d’un Grealish visiblement paumé. Et ce stop adressé à la sélection irlandaise a alors étrangement ressemblé à un vent que mettrait un jeune lycéen à une jolie fille en attendant de voir s’il ne peut pas s’arranger un coup avec une autre. Agent double, le Grealish ?
Une contre-attaque anglaise
Comme on pouvait s’y attendre, les Irlandais n’ont pas forcément très bien accueilli la nouvelle. Et certaines voix se sont élevées pour demander au staff irlandais d’arrêter son forcing auprès de Grealish et de ne pas le convoquer à l’avenir. Parmi eux, Kenny Cunningham, ancien capitaine de l’Irlande et 72 sélections à son actif. « Personnellement, je ne l’appellerai plus. Tu prends la décision de jouer pour ton pays avec ton cœur, pas avec ta tête, déclarait-il en mai dernier sur les ondes de la radio irlandaise Newstalk. Tu n’as pas besoin de neuf ou dix mois pour réfléchir à ta décision ni de peser les avantages et les inconvénients de ton choix. Ce n’est pas une décision basée sur la logique. » Sur Twitter, la légende du rugby, Brian O’Driscoll, y est aussi allé de son petit commentaire : « Il devrait déjà savoir. Ça doit être dans ton ADN. »
De son côté, le staff de la sélection britannique, jusqu’alors assez discret sur le sujet, mais pas pour autant inactif en coulisse, a décidé de ne plus cacher son intérêt pour le joueur. Le 21 mai dernier, en conférence de presse avant les matchs contre l’Irlande et la Slovénie, Roy Hodgson, le sélectionneur des Three Lions, s’était exprimé sur le sujet Grealish : « Gareth Southgate (manager des moins de 21 ans anglais, ndlr), Aidy Boothroyd (manager des U20, ndlr) et Dan Ashworth(directeur technique de la Fédération anglaise, ndlr) sont régulièrement en contact avec lui, avec sa famille et ses conseillers. Donc il est conscient que s’il veut jouer pour l’Angleterre, nous serons très heureux de l’accueillir. La décision lui appartient. » Un appel du pied bien évidemment accompagné d’une salve de compliments : « C’est un joueur très talentueux. Il est capable de jouer dans des petits espaces, il est très doué techniquement et il semble jouer sans crainte. Je pense aussi qu’il est très fort mentalement. Il montre des qualités à son âge qui, pour moi, en feront un très bon international. » En attendant, Jack Grealish a choisi la voie du silence. Aucun commentaire, pas un seul mot. Dans des propos relayés par The Irish début mai, papa Grealish avait déclaré que son fils « allait finir la saison, partir en vacances, avant de se pencher ensuite sur son avenir international » . Attention Jack, tu vas vraiment finir par épuiser ton quota d’excuses.
Par Rodolphe Ryo