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Mais qui es-tu, Intermarché ?
L’affaire ne cesse de prendre de l’ampleur depuis l’annonce de la longue blessure de Neymar. Touché face à Strasbourg le 23 janvier dernier, ce serait même la star brésilienne qui aurait provoqué Moataz Zemzemi à le blesser, en l’appelant volontairement « Intermarché » pour l’humilier. Et si tout cela n'était pas de la provocation ? Et si l'auteur de ce geste s'appelait réellement Intermarché ? Enquête sur les traces d'un homme qui n'a fait que son travail : faire passer son adversaire à la caisse.
Le calme avant la tempête. Tout se passe bien, du moins en apparence, au 40-42 quai du Point du Jour à Boulogne-Billancourt en ce lundi soir de fin janvier. Un lundi soir qui voit rentrer chez eux les derniers travailleurs pour profiter un peu de leur famille. Un lundi soir qui voit les lampadaires briller de mille feux, pour éclairer une Seine apaisée comme rarement à cette période de l’année. Un lundi soir qui aurait pu, qui aurait dû même, tomber dans l’oubli d’un mois déjà suffisamment agité sur la planète football. Un calme plat qu’a pourtant décidé de balayer d’un revers de la main Bertrand Latour. Sur les coups de 23h, sur le plateau de L’Équipe du soir, le journaliste de RTL balance une bombe sans même s’en rendre compte au sujet de Neymar. « Il a quand même dit au mec qui a fait la faute sur Neymar(…)apparemment, il a quand même appelé un mec Intermarché tout le match pour se moquer de lui » , assène le chroniqueur, pensant fermer définitivement le bec de Didier Roustan.
@SuperCazarre c’est une blague ? Je suis MDR pic.twitter.com/dwmQ2FR7nE
— JV5Coldplay (@JulienVilela5) 28 janvier 2019
Latour fait alors référence à cette scène du 23 janvier dernier lors de PSG-Strasbourg, où Neymar aurait provoqué le jeune Moataz Zemzemi. Avant de subir le retour de flammes du défenseur strasbourgeois, et de voir encore une fois sa saison tronquée au plus mauvais moment. Défendre David contre Goliath, Zemzemi contre Neymar, la jeune pousse contre la star richissime, l’attitude de Bertrand Latour peut alors se comprendre. Sauf que ce soir-là, le nom de Zemzemi ne s’est jamais trouvé sur la feuille de match. Neymar ne s’est pas trompé, et n’a en aucun cas voulu se moquer de qui que ce soit. Car c’est bien Intermarché, le vrai, le redouté, qui s’est dressé en face de lui.
Le Prénom
Pour comprendre l’antagonisme entre les deux hommes, il faut remonter au 23 janvier 1969. Moins d’un an après Mai 68, le jeune Martin Termarché voit le jour à Oberhausbergen. C’est dans cette bourgade de la banlieue de Strasbourg que Martin coule des jours heureux et tape dans ses premiers ballons. Son terrain de jeu préféré ? Le marché d’Oberhausbergen, où Martin s’amuse à viser tous les dimanches midi les clients les plus maladroits. « Il ne pouvait pas s’empêcher d’enquiquiner son monde » , se souvient sa pauvre mère. « À tel point qu’on était obligé de l’interdire de marché tous les dimanches pour pas qu’il ne fasse de bêtises. C’est de là que nous est venue l’idée de l’appeler « Intermarché ». Interdit de marché, quoi. »
Un surnom que Martin adopte, au point de ne plus vouloir se faire appeler que comme cela. « Cela me rappelle mon enfance, ma vie à Oberhausbergen et à quel point je me sens alsacien » , expliquera « Intermarché » à l’été 1987 au moment de signer son premier contrat professionnel pour le Racing Club de Strasbourg. Alors que le club végète en D2, l’arrivée d’Intermarché va totalement chambouler le quotidien du club du Bas-Rhin. Numéro 10 dans le dos, troisième mousquetaire d’un trio offensif composé de l’Argentin Fran Prix et du Croate Ćaleta-Carrefour, Intermarché enchaîne les prestations de haut vol et aide le Racing à remonter en première division dès sa première saison. « On n’avait jamais vu un joueur faire une telle première année ici » , souffle le président de l’époque Daniel Hechter. Une belle histoire qui durera seize ans, jusqu’à ce qu’Intermarché ait envie de s’exporter à l’international. Et plus précisément au Brésil.
Le combat d’une vie
Lorsqu’il débarque à Santos « pour s’offrir un dernier challenge » , Intermarché est accueilli comme il se doit par son nouveau club des Corinthians. Dans l’une des formations les plus populaires du pays, il se fait une place au soleil dans le onze de départ. Un statut qui lui attire la sympathie du groupe de supporters des Gavioes da Fiel, et qui le conforte dans son idée de briguer la mairie de São Paulo, avec pour slogan « Todos unidos contra a vida querida » (Tous unis contre la vie chère, N.D.L.R.). Un échec qui n’entame pas pour autant le moral d’un homme qui vit alors sa meilleure vie. « J’ai découvert ici une joie de vivre et une simplicité qui n’existe pas en Europe. Merci au sympathique peuple brésilien pour son accueil » , déclare-t-il même dans une interview à O Globo en 2006. Trois ans plus tard, à l’âge de 40 ans, Intermarché se sait sur la fin et dispute alors ses derniers matchs avec le club de Mogi Mirim. Face à Santos, pour sa « der » , il est méchamment taclé par un jeune phénomène qui s’en va, sans prendre de ses nouvelles, inscrire son premier but en professionnel. « Neymar Jr est peut-être un crack, mais il ne faudra pas qu’il vienne chouiner quand il s’en prendra une » , lâche alors entre deux sanglots un homme blessé qui digère mal le fait de devoir mettre fin à sa carrière de cette manière.
Sauf que les années passent, et que la rage ne faiblit pas. Intermarché retourne alors en Alsace, et prépare en silence sa vengeance. En août 2017, quelques jours après la signature de Neymar au PSG, il se rend dans le bureau de Marc Keller pour lui demander une dernière faveur : « Laissez-moi jouer un dernier match pour faire mes adieux au Parc des Princes. » Keller ne promet rien, mais ne ferme pas non plus totalement la porte. Ce n’est que deux ans plus tard, alors que l’homme commence à perdre espoir, qu’il reçoit le fameux coup de fil qu’il attend depuis si longtemps : « Bonsoir, c’est Thierry Laurey. » Intermarché le sait : lancé dans sa course à l’Europe, le Racing a besoin de sang neuf pour disputer la Coupe de France. Au Parc, au moment de mettre ses trois coups de pied dans la jambe du Ney’ avec le n°7 habituellement porté par Moataz Zemzemi, Intermarché est aux anges. Durant la totalité de la rencontre, il a observé Neymar tenter d’alerter l’arbitre sur le fait que quelque chose n’allait pas, que l’ancien des Corinthians, désormais âgé de 50 ans, était revenu avec la seule envie d’en découdre. Personne ne l’a cru évidemment. Et puis Neymar est passé à la caisse, la tête basse. Car le roi des petits espaces n’arrivera jamais à la cheville du petit prince des grandes surfaces.
PS: Pour ceux et celles qui n’auraient pas suivi l’histoire et qui prennent tout cet article au premier degré : en réalité, Bertrand Latour s’était fait avoir par un tweet du compte parodique Super Cazarre qui avait inventé cette histoire de Neymar qui chambre un joueur de Strasbourg en l’appelant « Intermarché » comme le sponsor floqué au-dessus de son numéro…
Par Andrea Chazy