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- 34e journée
- Eibar/FC Séville
Mais qui es-tu Gaizka Garitano ?
Alors qu'il a relancé un interminable débat sur les différentes identités espagnoles, Gaizka Garitano reçoit de nombreux soutiens. Plus que cet imbroglio, l'entraîneur basque se révèle un ovni de la Liga, ancien étudiant en journalisme et poète improvisé à ses heures perdues, qui rame dans le même sens qu'un Eibar qu'il a mené vers les sommets.
« Il se passe quelque chose ? » , « Oui, il se passe clairement quelque chose, nous ne comprenons pas » . Passablement exaspéré par la frustration pesante de deux journalistes andalous, bien incapables de comprendre ses réponses énoncées en basque, Gaizka Garitano ne prend pas le temps de conclure sa conférence et claque la porte. « Almería est depuis six ans en première division. Quand est venu Barcelone, les premières questions ont été posées en catalan et ensuite en castillan. Je ne comprends pas d’où vient cette attitude » : le chef de presse d’Almería, étonné et gêné, tance bien les gratte-papier locaux, mais le mal est fait. À cette scène ubuesque, propre à l’Espagne et ses multiples identités, font suite des déclarations solidaires d’autres entraîneurs originaires d’outre-Pyrénées. « Il ne manquerait plus qu’il ne puisse pas répondre dans sa langue » , ironise ainsi Luis Enrique. Alors que cette scène a relancé un inextinguible débat autour des différentes langues du Royaume de Philippe, qui se cache derrière le costume de l’entraîneur d’Eibar ? Un ancien étudiant en journalisme, pas peu fier de ses origines, entre autres.
« J’aurais fait de la poésie improvisée »
La carrière de joueur de Gaizka Garitano se résume à une carte de l’Euskadi. « Vous devez comprendre qu’à part mes années à Ourense et à Lleida, j’ai toujours vécu ici, au Pays basque, raconte-t-il dans un entretien au journal Publico. Je suis un mec basque, basque comme les plus anciens, avec cette manière d’être. Je suis quelqu’un de sérieux, identifié à ma région. » Une région dont il connaît les moindres recoins, sa carrière de joueur l’ayant mené de Bilbao à San Sebastián en passant par Vitória. Mis à part quelques sorties en Liga avec la Real Sociedad, ce rugueux milieu de terrain ne connaît que les prés de seconde et troisième divisions. S’il n’avait pas rencontré le ballon rond, idem, il n’aurait jamais quitté sa région natale : « Si je ne m’étais pas dédié au football, j’aurais été un « bertsolari » (un poète basque, ndlr), c’est de la poésie improvisée. Au Pays basque, il y a des championnats debertsolariqui comptent 15 000 participants. Cela raconte comment je suis » . Pour sûr, avec ses « huit noms basques » , comme il aime à le rappeler, une carrière à la Bruce Springsteen basque, et « ses chansons qui ont marqué ma vie » , ne lui aurait guère déplu.
Hormis le football professionnel, Gaizka Garitano dispose également d’un diplôme universitaire. Et pas n’importe lequel : « J’ai étudié le journalisme à l’université de Lejona pour me former. Mais dès que j’ai commencé le football, je n’ai plus ouvert les journaux, parce que je fuis les critiques et les flatteries. Je sais que les deux choses peuvent m’affaiblir » . Ce profil si atypique ne peut donc que s’unir à un club hors normes. Un temps joueur d’Eibar, entre 2001 et 2005, il intègre sitôt la fin de sa carrière le staff des Armeros en tant qu’entraîneur adjoint. Une nouvelle expérience à la tête de la réserve plus tard, il prend en main la destinée de l’équipe première en 2013. Autrement dit, le début du miracle. En deux saisons, et malgré un tout petit budget, Garitano mène sa troupe, à l’effectif toujours aujourd’hui quasi inchangé, de la Segunda B jusqu’en Primera. Pour autant, lui déteste donner dans l’image du David contre Goliath : « Nous avons un hiver de dix mois, un vieux stade, une ville passionnée… Mais que personne ne se trompe avec nous. Nous ne vivons pas de la terre. Et nous n’avons pas non plus un jeu direct comme celui de l’Atlético » .
Licenciement économique et poids des mots
Malgré la découverte du haut niveau et du polissage qui va de pair, Garitano ne change pas d’un iota. Il n’en oublie pas ses convictions personnelles et ne mâche pas ses mots. Quitte à ce que cela lui revienne comme un boomerang. Ainsi, il plaide « pour un référendum pour l’indépendance du Pays basque » et rappelle « qu’Eibar part en Liga avec un désavantage parce que c’est un bon payeur » . La situation économique du football espagnol, plus qu’un étonnement, lui renvoie des relents de déjà vu : « Ici, nous promettons peu, mais nous payons, car nous prenons en compte les familles. Ma propre famille a souffert des impayés dans le football. J’ai vécu un licenciement pour motif économique à Alavés, une faillite à la Real… » Mais ce qui l’étonne le plus en Liga, c’est le poids des médias et de la parole délivrée. « En Primera, tout a une grande importance, tout est magnifié. Pour cela, le plus étrange, entre guillemets, est l’exposition publique. Mais c’est comme ça, il faut l’accepter » , regrette-t-il à demi-mot dans les colonnes du Pais. A contrario, ces quelques paroles en basque ont elles l’air de mal passer.
Par Robin Delorme, à Madrid