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Mais qui dirige vraiment Madrid ?
Champions d'Europe et du monde, Ballon d'or, prix Puskás. Après une longue quête nourrie à coups de millions d'euros et de dizaines de cracks, le Real Madrid trône enfin sur le toit du football mondial. D'ailleurs, la couronne va merveilleusement bien à un Carlo Ancelotti tranquille et silencieux, et Florentino Pérez est certainement convaincu d'être à la place qui lui revient. Mais s'ils ont enfin gagné la Décima, les Meringues ne sont plus maîtres chez eux. Depuis mai 2013, Diego Simeone fait la loi à Madrid. Le Real peut-il bouleverser la hiérarchie ce soir ?
C’est l’histoire d’un boxeur qui mettrait au sol les compétiteurs les plus féroces, se relèverait des coups les plus durs et s’adjugerait la ceinture de champion du monde. Intraitable et imbattable dans le monde entier. Mais voilà, à la maison, le boxeur resterait incapable de battre son propre frère, pour des raisons psychologiques, mentales ou plus simplement pour une question de hiérarchie familiale. Le Real Madrid s’est relevé de trois éliminations consécutives en demi-finale de C1, a mis au sol le Borussia Dortmund et le Bayern Munich et a remporté la ceinture mondiale. Depuis, pourtant, le Real d’Ancelotti est incapable de battre l’Atlético de Simeone. Et si les deux clubs n’exhibent pas leur fraternité, ils ont bien la même mère : Madrid.
De 1999 à 2013, Madrid est blanche
De 1999 à 2013, le Real Madrid n’aura même pas eu à se soucier de cette domination citadine. Car cette victoire de l’Atlético de Ranieri à l’aube de l’an 2000, symbole de la saison démente de Jimmy Floyd Hasselbaink, est vite devenue lointain souvenir. Durant une douzaine d’années, Madrid vivra du blanc du Real, ses Ligues des champions et ses titres en Liga. Le Colchonero, lui, se lève le matin, descend prendre son café et doit marcher les yeux dans les pieds pour éviter de voir ces drapeaux blancs aux touches de violet. Lorsqu’il remporte la Ligue Europa, deux fois en 2010 et 2012, c’est presque en se cachant, puisqu’il s’agit de la seule compétition à laquelle le Real Madrid ne participe pas. Cet Atlético, c’est l’adolescent qui se prend pour un grand, mais qui se range sagement derrière ses épinards devant la hiérarchie familiale. De 1999 à 2014, Iker Casillas n’a tout simplement pas perdu un derby. Pour le Real, le derby madrilène aura été une sorte d’échappatoire pendant la quête de la Décima de 2003 à 2014.
Une façon de se rassurer contre son voisin pour oublier les frustrations de ses batailles allemandes (Bayern 2007 et 2012, Dortmund 2013), italiennes (Juventus 2003 et 2005, Roma 2008), anglaises (Arsenal 2006, Liverpool 2009) et françaises (Monaco 2004, Lyon 2010). Pendant 15 ans, le Real a parfois été humilié sur des terres lointaines, mais il avait toujours la plus grande chambre à la maison. Mais tout a changé le 17 mai 2013. Dans cette même grande chambre qu’est le stade Santiago-Bernabéu, l’Atlético débarque avec l’artillerie lourde. Falcao fait diversion, Diego Costa sort le bélier et le Real se fait enfoncer chez lui, bloqué face à une infinité de poteaux. Mourinho lègue au Real Madrid un brillant futur européen, Luka Modrić ou encore une belle plus-value de près de 60 millions d’euros sur la vente d’Ángel Di María. Mais il permet aussi la fin de la suprématie locale, comme un cadeau de départ empoisonné.
Diego Simeone, un tournant historique
Depuis, Diego Simeone a changé le cours de l’histoire. Quatre mois après la victoire en finale de Coupe du Roi, El Cholo remporte la première manche de Liga de la saison au Bernabéu (0-1). À l’époque, on assimile ces victoires à du caractère, de la force, sans plus. Une sorte de résistance de l’Atlético, destinée à périr face au talent du Real. Car en février 2014, le Real Madrid croit assassiner autoritairement les rêves du voisin : deux victoires 3-0 et 0-2 en demi-finale de Coupe du Roi. Mais la bête ne lâche pas : trois semaines plus tard, l’Atlético accroche un match nul 2-2 au Calderón. À Lisbonne, et donc pas à Madrid, c’est finalement Ancelotti qui gagnera le derby le plus important de l’histoire de la ville : 4-1 après prolongation. Mais 0-1 jusqu’à la 93e, et une sacrée frousse. Cette frousse qui, il y a cinq ans, aurait presque suffi au moral des Colchoneros.
Mais en 2014-15, l’Atlético est revenu encore plus déterminé. Depuis la finale, Ancelotti n’a pas su piéger Simeone. Une défaite en août dans l’autre finale, la Supercoupe d’Espagne (1-1 et 1-0), une nouvelle déroute en Liga au Bernabéu en septembre (1-2) et enfin la défaite de la Coupe du Roi la semaine dernière au Calderón (2-0). L’Atlético a perdu la Ligue des champions et la Coupe du Roi, mais a gagné la Liga et la Supercoupe. Cela fait deux titres partout. Au total, en comptant les doubles confrontations comme un seul résultat, et sans compter le match actuellement en cours, cela donne 4 victoires, 1 nul et 2 défaites pour les hommes de Diego Simeone. Mais si les résultats sont importants, le jeu et l’équilibre psychologique entre les deux équipes ont peut-être encore plus d’impact. Et c’est ce qui pourrait vraiment inquiéter le Real Madrid avant le match capital de ce soir : l’Atlético sait mieux jouer les derbys que le Real.
L’équilibre parfait
Carlo Ancelotti avait du flair pour le derby milanais. Face à lui, aucun entraîneur de l’Inter n’a réussi à s’en tirer avec un bilan positif : Hector Cuper (3V, 1D, 2N), Alberto Zaccheroni (1V), Roberto Mancini (5V, 4D, 1N) et José Mourinho (1V, 1D). Mais à Madrid, Simeone connaît mieux les murs de la ville. Le schéma classique des derniers derbys est le suivant : au-delà des plans de jeu tactiques, l’Atlético entre sur le terrain avec une intensité insurmontable, tente de pousser le Real Madrid à l’erreur, avec certaines prises de risques, et prend plus ou moins rapidement l’avantage (Mandžukić à la 2e minute en Supercoupe, Tiago à la 10e en Liga, Godín à la 36e en C1). Une force que n’a pas eu le Real Madrid depuis février dernier. Par la suite, les hommes d’Ancelotti se retrouvent avec un ballon et des contre-attaques adverses à gérer. Exactement comme au coup d’envoi ce soir au Bernabéu. Mais dans cette structure hiérarchique si spéciale, les deux clubs n’ont jamais été autant à leur place, comme s’ils avaient tout partagé : Madrid pour l’Atlético, le reste du monde pour le Real.
Le Real Madrid s’est toujours voulu international, ou plutôt universel. Aujourd’hui, l’équipe d’Ancelotti est championne du monde et d’Europe, a gagné le Ballon d’or et le prix Puskás (James Rodríguez) et a fait l’unanimité dans le jeu avec un milieu un peu croate, un peu allemand, un peu colombien et un peu espagnol. Plus au sud de la ville, l’Atlético Madrid aussi vit une période d’osmose entre son identité en dehors du terrain et ce que les joueurs produisent chaque semaine sous le leadership de Diego Simeone. Une équipe faite de sang et de larmes, carnivore et brillante à sa façon, construite non pas sur une majorité de canteranos, mais sur des bonnes affaires optimisées (Arda Turan, Courtois, Godín, Miranda, Filipe Luís, Juanfran, Diego Costa), et qui, surtout, a su faire descendre le Real de son nuage. C’est l’éternelle figure résistante de cet Atlético sentimental condamné à vivre dans l’ombre d’un ogre mondial, et donc condamné à survivre. Peut-être parce que pour gagner un derby, bien au-delà du jeu, de la qualité technique et du plan tactique, il faut le sentir. Et même plus, il faut le ressentir. Forcément, ce Real Madrid interstellaire s’est éloigné de ses murs et de ses inquiétudes locales. Ce Real Madrid est un peu ailleurs. L’Atlético Madrid, lui, est plus que jamais chez lui. Et ça, le Real Madrid ne peut l’accepter.
Par Markus Kaufmann
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