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Mais qui a tué David Trezeguet?
Avant Domenech, David Trezeguet pesait 29 buts pour 55 sélections. Après 2004, l'ex-buteur de la Juve ne fut plus appelé que 16 fois. Parce qu'il sentait mauvais ? Ou que son foot était devenu caduc ? Julien Escudé, adversaire en club et compatriote, Jean-Pierre Papin, ancien buteur et Jonathan Zébina, ancien coéquipier, se penchent sur le cas.
« On ne le saura jamais et c’est un beau gâchis » . A la question de savoir ce qu’aurait donné l’équipe de France depuis 2004 si elle s’était construite autour de David Trezeguet plutôt que Thierry Henry, Jean-Pierre Papin déplore un rendez-vous manqué. « A l’époque, l’équipe de France cherchait quelqu’un pour mettre des buts. On en avait un tout près, à disposition, et on ne s’en est pas servi » , note le Ballon d’Or 1991.
Ce qui amène à poser une seconde question : mais pourquoi donc Raymond Domenech a-t-il laissé Trezeguet sur le bord de la route et fait de Thierry Henry son porte-flambeau ? Peut-être parce que le premier ne faisait pas assez rêver les foules ni les annonceurs. C’est l’hypothèse avancée par Julien Escudé, au marquage du Roi David lors de la défaite de Séville face à Hercules fin septembre (doublé de Trezegoal): « En dehors du terrain, David est très discret et pour le capitanat, c’est plus difficile. Thierry Henry, lui, était à l’époque à Arsenal, une équipe pleine de Français. Le football anglais est aussi plus couvert en France que le football italien. Au niveau de la répercussion médiatique et vis-à-vis des autres joueurs, on parlait plus des performances de Thierry » .
Henry, symbole de l’individualisation d’un sport collectif sur le plan médiatique, l’était aussi sur le terrain. Il n’y a qu’à regarder ses plus beaux buts pour s’en rendre compte : parce qu’il part de loin, qu’il galope et sème tout le monde, ses adversaires comme ses coéquipiers, Henry est souvent le seul joueur de son équipe à apparaître à l’écran au moment du geste final. Un but de Trezeguet, lui, ressemble plus à un plan de foule qu’autre chose ; il faut parfois scruter l’écran de très près pour s’apercevoir que c’est lui qui a marqué. « Henry, par un crochet ou un débordement, se créait ses propres occasions, confirme Escudé. Trezeguet, à l’inverse, ne va pas descendre prendre un ballon et tout de suite percuter les défenseurs. Il a besoin d’avoir des ballons dans la surface. Ce qui signifie qu’il lui faut l’équipe pour lui en amener. Il lui faut des centres au cordeau, des ballons qui traînent et des joueurs comme Rothen qui arrivent à se créer des espaces » . Or, problème. Même si Jonathan Zebina, qui fut le coéquipier de Trezeguet pendant six ans à la Juve, considère que « David n’a pas besoin de grand chose : un bon ailier à droite, un bon ailier à gauche, ça va pas plus loin » , Escudé est plus pessimiste : « Aujourd’hui c’est difficile de créer une équipe en fonction d’un joueur. Car s’il ne va pas bien un jour, l’équipe ne va pas bien. Le jeu de Thierry Henry allait plus dans le sens de l’évolution du football moderne. Henry se projette vite vers l’avant. Par rapport au jeu de la sélection, c’est ce que recherchait le sélectionneur. Il cherchait des joueurs à potentiel puissant, capables de se projeter très vite, comme Ribéry ou Malouda » .
Un constat qui a le don d’agacer JPP. « Aujourd’hui, l’équipe est fondée sur les trois attaquants, tance le dépositaire des célèbres papinades. On veut jouer en 4-3-3, jouer vite sur les côtés, mais quand il faut contrôler le ballon devant les buts et qu’on ne sait pas quoi en faire, c’est bien beau. Higuain, il a quoi de plus que Trezeguet ? Il vendange beaucoup plus. Quand tu as un buteur, tu fais l’équipe en fonction de lui, comme toutes les grandes équipes à l’époque, avec Van Basten à l’Ajax, moi à l’OM ou Emilio Butragueno à Madrid » . Sauf que Domenech avait-il justement les joueurs pour faire une équipe autour d’un buteur aussi spécialisé que Trezeguet ? A entendre le nom de Rothen cité spontanément en tant que pourvoyeur numéro un, on peut en douter. A la Juve, Trezeguet a réussi parce qu’il était entouré de Camoranesi, Nedved, Del Piero : des passeurs orfèvres capables de le servir dans le meilleur timing possible, mais aussi d’occuper le front de l’attaque sans aller lui marcher sur les pieds.
Alors qu’en France… « En France aussi !, s’insurge Papin. Quand tu vois Malouda jouer avec Drogba, quand tu vois Ribéry jouer avec Klose, t’en conclues que les joueurs pour amener le ballon, tu les as. Mais encore faut-il que ses coéquipiers aient envie de faire briller les autres. C’est peut-être cela la clé. Le profil de Trezeguet ne plaisait pas » . Un délit de sale gueule qui pousse Jonathan Zebina à reformuler le problème: « La question n’est pas de savoir ce que Trezeguet aurait fait, mais de savoir ce qu’on aurait fait si on avait eu un bon entraîneur. Ou juste un entraîneur normal » .
La meilleure interview de David Trezeguet est dans le prochain SoFoot, en kiosque ce vendredi.
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