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Mais pourquoi organise-t-on des conférences de presse ?
On y envoie toujours l’adjoint sur Football Manager. On n’en comprend pas réellement l’intérêt quand on voit ce qui en ressort la plupart du temps. Pourtant, la conférence de presse fait désormais partie intégrante du football. À Clairefontaine, on en planifie une par jour en ce moment, Coupe du monde oblige. Mais pour quoi faire et quoi dire au fond ?
Elles sont désormais entrées dans les habitudes. À Lyon, Paris, Marseille, Nice ou Bordeaux, mais surtout en équipe de France dans cette période de préparation à la Coupe du monde, les conférences de presse sont devenues la norme pour établir une relation entre le coach ou les joueurs et les médias. On entre, on s’installe, on attend, on pose nos questions et on s’en va. Tout est cadré, bien réglé et quasiment minuté. Pourtant il n’en a pas toujours été ainsi. « Quand j’étais jeune journaliste dans les années 70, on était six ou sept à pouvoir réaliser des sujets sur l’équipe de France en montant dans leur chambre le soir après le dîner, en fumant une cigarette dans leur chambre, affirme Philippe Tournon, aujourd’hui chargé des conférences de presse des Bleus. Maintenant, la différence est médiatique : on a huit caméras, cinq radios et cinquante journalistes de presse écrite à chaque conférence. Les contingences logistiques n’ont plus rien à voir et les contraintes sont telles qu’on est obligés de prendre des dispositions qui ne facilitent pas ce contact qu’on pouvait avoir avec les joueurs. Ce n’est pas une question d’encadrer, de censurer ou de fliquer, ça n’a rien à voir ! C’est juste de la logique. »
1998, le basculement
Le changement de cap intervient en 1998. Après la victoire en Coupe du monde, l’équipe de France est entrée dans une nouvelle ère et a vu se multiplier chaque année le nombre de journalistes présents aux conférences de presse. « En 1998, je me souviens que certains joueurs restaient longtemps devant la presse, raconte Patrick Dessault, ancien journaliste à L’Équipe. Par exemple, Emmanuel Petit adorait passer du temps avec quatre ou cinq journalistes, en petit comité. Mais de quatre ou cinq, on est passé à trente journalistes. La multiplication des sites internet et des journalistes a rendu cette proximité impossible. » Frédéric Laharie, journaliste pour Sud Ouest, confirme : « Des collègues qui ont couvert les Mondiaux 82 et 86 me font halluciner quand ils me racontent leurs histoires. Ils prenaient le café le matin avec les joueurs, ils discutaient avec eux autant qu’ils voulaient… Ce qui a changé, c’est 1998. Le football a débordé dans les pages société, les pages people… À partir de là, tout ce que dit le footballeur prend une résonance incroyable. » Les journalistes arrivés après 1998 n’ont, eux, connu que ce monde régenté par le planning des conférences de presse. De quoi regretter le bon vieux temps où le football n’intéressait pas grand monde en France.
« Les joueurs ont une certaine méfiance »
De fait, aujourd’hui, les relations entre le coach ou les joueurs et les médias ont pris une autre tournure. Un éloignement s’est opéré, rendant parfois difficile le travail de Philippe Tournon : « Journalistes et joueurs sont de moins en moins attirés l’un vers l’autre. Il y a cette pression médiatique qui fait que certains sont un peu méfiants. Ça n’est pas toujours justifié, mais on peut quand même le comprendre. Dans certains médias, on peut même dire que certains cultivent l’agressivité. Les joueurs se sentent constamment sous la loupe et en accusation. Les notes, la cote, les tops, les flops… Cela conduit à une susceptibilité des joueurs devant la presse. Il suffit d’une mauvaise note ou un titre mal interprété pour occasionner des« les journalistes sont tous des connards ! » Dans ce contexte, je dois parvenir à booster le moral de l’équipe en leur disant d’aller à la conférence, si possible sans traîner les pieds et faire la tronche. » En suivant l’exemple de la Norvège, ils devraient finir par s’y rendre en courant.
« Le plus inquiétant, ça reste le contenu »
La conférence de presse existe donc pour répondre à une obligation logistique. Là où les journalistes étaient une petite dizaine il y a de ça quelques années, ils sont aujourd’hui plus d’une cinquantaine. Difficile, dans ces conditions, d’imaginer des entretiens individuels ou par petits groupes, « à l’ancienne » , café en main. Aujourd’hui, télés, radios et titres de presse écrite sont donc regroupés par souci pratique. Le problème, c’est que la conférence de presse a un peu aseptisé le discours des joueurs, qu’on cadre pour éviter le moindre dérapage. « Aujourd’hui, la Fédération n’a qu’une hantise, c’est qu’un clash recommence avec les médias, affirme Frédéric Laharie.C’est pour cela que tout est contrôlé. Je pense qu’il y a tout de même une volonté d’ouverture en termes de fréquence des conférences. Mais le plus inquiétant, ça reste le contenu. Quand on voit un Raphaël Varane ou un Lucas Digne en point presse, c’est de la langue de bois, du formatage. Ils sont vraiment préparés pour ça. C’est de la non-communication : ils apprennent à parler sans rien dire. Finalement, on n’a plus trop envie de les écouter et de s’intéresser à leur profil. »
« Ça ne va pas aller dans le bon sens puisque la sollicitation des médias sera de plus en plus importante en nombre d’après moi, conclut Patrick Dessault. Les conférences de presse continueront d’exister puisqu’elles sont obligatoires, mais c’est le contenu qui va en pâtir. On va en arriver à ce que des joueurs répondent par « oui » ou « non » aux questions… Pour eux désormais, il faut en dire le moins possible. » Pour vivre heureux, vivons muets ?
Paul Arrivé et Antoine Donnarieix