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Mais pourquoi les Algériens sont-ils aussi dingues de leur sélection ?

Par Chérif Ghemmour
6 minutes
Mais pourquoi les Algériens sont-ils aussi dingues de leur sélection ?

One-Two-Three ! Ultra festive, ultra visible et ultra audible, la passion délirante des supporters algériens pour leur équipe nationale n'en finit pas de fasciner (ou d'énerver). Que ce soit au pays, en France ou ailleurs, les débordements passionnels se répètent à chaque grande compétition (CAN, Coupe du monde). Explications d'un phénomène chaud bouillant…

Jeune nation méditerranéenne…

Allons à l’essentiel : le monde entier est foot. Bien avant les passions chauvines, c’est surtout l’amour pour ce sport génial universellement perçu comme un jeu qui rend toute l’Humanité maboule. Sur l’échelle de l’adoration illimitée pour ce jeu de balle, que ce soit dans la pratique et pour la ferveur populaire, l’Amérique du Sud et l’Afrique figurent au sommet. Et en Algérie, on joue partout au football et on ne parle que football ! Il était donc logique que ce pays émarge au rang des grandes nations de foot. D’abord au sens supportériste du terme, avec ses cohortes de suiveurs inconditionnels. Et on parlera ici des « Algériens » au sens large, c’est-à-dire ceux d’Algérie et puis tous les autres, les immigrés de la diaspora, très nombreux de par le monde, comme les Grecs, les Irlandais ou les Italiens. Ensuite, il y a aussi la très riche contribution des footballeurs algériens pour ce sport, qu’ils soient du bled ou d’ici. Les pionniers, ceux de l’équipe du FLN de 1958, tels Rachid Mekhloufi et Mustapha Zitouni (approché par le Real Madrid dès 1956), l’inoubliable Rabah Madjer, Zinedine Zidane (l’un des cinq-six meilleurs joueurs de tous les temps), voire enfin Karim Benzema… En finales de C1, la talonnade de Madjer et la volée de ZZ contre Leverkusen sont entrées dans l’anthologie des buts exceptionnels. Enfin, la splendide Algérie 1982, vaincue par la magouille austro-allemande, est aussi entrée dans le souvenir affectif parmi les illustres perdants magnifiques. En un mot comme en mille : le foot algérien a de quoi frimer ! Et ses supporters (et supportrices) d’en éprouver une fierté somme toute légitime…
Les Algériens se distinguent aussi par leur engouement inouï du fait que l’Algérie est une nation jeune. Indépendante depuis 1962, elle est animée de cet enthousiasme débordant et éprise des folles passions juvéniles avec les excès immatures qui vont avec. Au pays et ailleurs, les Algériens s’enflamment vite pour un joueur, pour un club ou pour la sélection, comme on s’entiche d’une passion amoureuse adolescente. On retrouve la naïveté de « l’amour qui durera toujours » avant chaque compète internationale avec la croyance tenace que « son » équipe nationale qu’on chérit tant ira jusqu’au bout et gagnera… Il ne faut pas perdre de vue non plus que si l’Algérien est « africain » , il est avant tout mé-di-te-rra-né-en ! Pas besoin de vous faire un dessin : question foot passionnel, l’Algérie c’est Naples, Marseille et Athènes multipliées par dix ! Tout pour l’excès, tout dans la démesure… Une démesure qui marche dans les deux sens, selon que son équipe gagne ou qu’elle perde. On parle du caractère « fataliste » des peuples arabo-musulmans (dont l’Algérie fait partie) et de leur soumission aux voies impénétrables du Destin (le mektoub). Ce sens un peu irrationnel de la destinée commande bien évidemment le foot. La victoire des siens s’accordant avec la volonté divine provoque les liesses les plus indescriptibles. En sens inverse, la défaite plonge des peuples entiers dans une tristesse infinie qui vire parfois au désespoir, à la honte, voire à la colère. Enfin, il faut savoir que le foot algérien est investi d’une multiple mission permanente : il représente à la fois un pays (l’Algérie), le Maghreb (comme le Maroc et la Tunisie), le Monde arabe et l’Afrique. Comme toutes les autres nations africaines, l’Algérie porte en elle le ressentiment d’un continent méprisé très longtemps par la Fifa au point d’avoir attendu 1982 pour avoir deux représentants en Coupe du monde (cinq actuellement)…

L’EN, ou l’âme de l’Indépendance…

Mais la grande particularité de la passion foot algérienne, c’est que son football est consubstantiel à son histoire politique. L’équipe d’Algérie fut un vecteur diplomatique essentiel de sa lutte pour l’Indépendance. Tout le monde connaît l’histoire du « Onze de l’Indépendance » , de cette fameuse « Équipe du FLN » qui dès avril 1958 représenta une nation luttant pour s’arracher à la tutelle colonisatrice de la France. On ne s’attardera pas sur l’épopée politico-sportive bien connue de ces diplomates en crampons, mais il faut en retenir l’essentiel : l’équipe d’Algérie est une équipe éminemment « politique » . Ses origines depuis 1958 portent le sceau de la lutte, du sacrifice, de la peur, de l’espoir et de la fierté d’un peuple combattant. Voilà pourquoi la sélection nationale impose à tous les Algériens respect et soutien quasi absolus : on ne plaisante pas trop avec l’histoire, avec la guerre, avec les morts. Ce sentiment de gravité s’est atténué avec le temps mais il est encore prégnant aujourd’hui. D’ailleurs en Algérie, on ne dit pas vraiment « les Fennecs » en parlant de la sélection. On dit plutôt « l’EN » (L’Équipe Nationale) ou « la Khadra » (la Verte), deux appellations qui renvoient aux couleurs, au drapeau, à la Guerre Patriotique. L’EN est l’équipe de tous les Algériens, voilà pourquoi elle n’a pas exactement de stade attitré (même si le Stade du 5 juillet d’Alger reste son enceinte historique) et joue un peu partout dans les grandes villes du pays. À ce propos, tous les grands stades algériens portent eux aussi des noms en rapport avec la Guerre d’Indépendance : Stade du 19 mai 1955 de Annaba, Stade Chahid Hamlaoui de Constantine (un chahid est un martyre de la Guerre d’Algérie).

Le caractère « sacré » de l’équipe d’Algérie tient donc pour beaucoup à son essence politico-sportive, au même titre que toutes les autres nations africaines. En Afrique décolonisée, l’équipe nationale de football a constitué et constitue toujours un facteur d’unité et d’unification, au regard de tous ses pays souvent pluriethniques. Et il se trouve qu’en Algérie, trois événements foot ont accompagné précocement l’Indépendance au point de figurer dans la mémoire collective du pays. En janvier 1963, il y eut le premier match international de l’EN sur son sol et son premier succès, face à la Bulgarie (2-1). Puis vint la victoire sensationnelle de janvier 1964 contre la grande RFA de Uwe Seeler (2-0, Boubekeur arrêtant même un pénalty). Enfin, le 17 juin 1965 à Oran, se déroula le match de prestige contre le grand Brésil de Pelé et Garrincha (0-3). Le lendemain, le coup d’État du Colonel Boumediene renversa le président Ben Bella, instigateur de la venue de la Seleção à Alger… Il se raconte que le fameux slogan « One-two-three/ Viva l’Algérie » a également une explication politique. Lors d’une rencontre amicale Algérie – Sheffield United jouée à Oran (3-1), les supporters algériens avaient scandé pour la première fois ce « One Two Three… Viva l’Algérie ! » en réponse au slogan « Un Deux Trois/ Vive le roi ! » lancé par les Marocains lors de la crise du Sahara occidental (cet épineux différend diplomatique est source de tensions parfois graves entre Rabat et Alger). Le surinvestissement foot des supporters algériens déborde dans les rues, sur le Net (via les forums) et sur les réseaux sociaux. Quand l’EN joue à l’étranger, les assoces locales organisent spontanément les déplacement de supporters. Et quand ça ne suffit pas, c’est le gouvernement algérien lui-même qui aide au financement de charters de supporters. C’était le cas à Khartoum, pour les qualifs victorieuses au Mondial 2010 contre l’Égypte (1-0). C’est également le cas au Brésil en juin 2014…

Dans cet article :
National : La chute des gros, la rébellion des mals-classés
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Par Chérif Ghemmour

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