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Mais pourquoi diable les footballeurs aiment-ils tant les Feux de l’amour ?
Ce matin, Steve Mandanda, Moussa Sissoko et Samuel Umtiti auront certainement un autre sujet de conversation que le Bulgarie-France de samedi soir. Les trois internationaux suivent avec assiduité Les Feux de l’amour depuis leur plus jeune âge et sont loin d'être les seuls footballeurs dans ce cas. Mais pourquoi ? Et comment ? Tentative d’explication d’un des phénomènes les plus mystérieux du foot français.
Tout au long de sa carrière, Bernard Mendy aura été un « joueur voyageur » . Un sportif qui traverse les pays au gré des transferts. Et si aujourd’hui l’homme qui a terrassé Roberto Carlos au 100 mètres semble épanoui en Inde, il doit faire face à une vraie difficulté : celle du décalage horaire. Après l’entraînement, l’ancien Parisien a en effet pour habitude d’utiliser un somnifère un peu à part et introuvable en pharmacie : Les Feux de l’amour. « J’ai toujours suivi la série, que ça soit à Paris, en Angleterre ou au Danemark, affirme fièrement le latéral droit. Mais en Inde, c’est quand même plus compliqué. Il y a le décalage horaire déjà, et la connexion internet n’est pas terrible, du coup je fais une pause. » Il ajoute, presque coupable : « Mais j’avoue que je demande parfois ce qu’il s’est passé dans les derniers épisodes à ma femme quand elle est en France. »
Oui, Bernard Mendy est fan de la série diffusée aux États-Unis depuis 1973 et en France depuis 1989. Pour le vérifier, il suffit de mettre une pièce dans la machine : « J’adore Victor Newman. C’est le boss. C’est un chef de famille et il embrouille tout le monde. Quoi qu’il arrive, il sera toujours le maître de la série. J’aime bien Ashley Abbott, j’aime bien Neil Winters, mais mon personnage préféré c’est Victor, parce que j’aime sa manière de mettre à l’amende tout le monde avec sa fortune personnelle. Il va te faire de ces embrouilles… Par exemple, quand sa fille s’est mariée avec un membre de la famille Abbott, il a tout fait pour qu’ils ne se marient pas. Bon, ils se sont quand même mariés, mais derrière, il a fait la misère à son gendre. Il a aussi des déboires avec la justice, mais il s’en sort toujours parce qu’il ne lâche rien. Au tout début de la série, il s’entraînait pas mal à la boxe, il avait une carrure assez imposante. Les mecs avaient tous peur de lui. »
Si personne ne peut désormais douter de la sincérité de la démarche de Bernard Mendy, il ne faut pas croire qu’il est le seul footballeur à avoir développé une addiction pour ce programme : ces dernières années, Samuel Umtiti, Steve Mandanda, Younès Belhanda ou Moussa Sissoko ont tous avoué leur faible pour les aventures de Victor Newman. « On est quelques-uns à suivre, ça tombe pile à l’heure du repos après l’entraînement du matin, poursuit Mendy. Pour ma part, j’ai été bercé par ça durant mon enfance avec ma mère, mes frères et mes sœurs à Évreux. C’est quelque chose qui m’est resté. » Bercé par le bourdonnement des discussions tortueuses entre familles Abbott et Newman, la série serait un excellent moyen de s’endormir selon les joueurs. Sur le site de l’OM en 2014, Steve Mandanda justifiait ainsi sa passion en expliquant que Les Feux de l’amour – qu’il regarde depuis tout jeune – étaient un moyen de s’endormir pour lui, puisqu’il regardait à chaque fois un demi-épisode avant de sombrer. Mais est-ce le cas de tout le monde ? « Ah non, je regarde parce que j’aime bien, rétorque Bernard Mendy. Ça m’arrive de m’endormir devant, mais en général, je remets l’épisode là ou je m’étais arrêté lorsque je me réveille. »
Moussa Sissoko a rencontré une de ses idoles aux Bahamas
Parmi tous les joueurs interrogés, un fan ressort plus que les autres. « Moussa Sissoko est celui qui est le plus à fond. Lui, je ne pense pas qu’il s’endorme devant sa télé » , balance Bernard Mendy. Depuis l’Angleterre, le milieu de Tottenham ne dit pas le contraire : « J’aime bien regarder des séries commeThe Walking Dead,Breaking BadouPrison Break. Mais c’est vrai queLes Feux de l’amour, c’est vraiment ma série numéro 1. » Après l’entraînement avec ses coéquipiers de Tottenham, Sissoko fonce chez lui chaque jour pour être devant sa télé. Et le récent changement d’horaire de la série (programmé à 11 h au lieu de 14 h sur TF1) n’a pas de quoi lui faire peur : « Franchement, ça ne change rien. C’est tout de suite disponible en replay sur le site de TF1, du coup dès que je rentre de l’entraînement, je me mets sous la couette et je lance mon épisode. Ça me repose. »
Tout meilleur joueur de la finale du dernier Euro qu’il est, Moussa Sissoko avoue avoir un faible pour la moustache de Victor Newman. Mais un personnage est grimpé dans son estime il y a un an, lors des vacances d’été. « J’ai croisé par hasard l’acteur de Billy Abbott (l’acteur Billy Miller, ndlr) en vacances aux Bahamas, à la salle de sport. Je l’ai vu entrer, je lui ai dit bonjour, on a discuté, je lui ai dit que j’étais un passionné des « Feux » et que je regardais tout le temps. Il a été impressionné » , frime l’ancien Toulousain.
Surtout, Les Feux de l’amour est une série qui se partage. À distance ( « On s’envoie des vidéos avec Steve Mandanda lorsqu’on est posé devant » , glisse Sissoko), mais aussi en personne. Lorsqu’ils se croisent à Clairefontaine en 2014 – Mendy pour une blessure, Sissoko avec l’équipe de France – les deux hommes vivent ainsi leur passion au grand jour : « Les kinés nous chambraient tout le temps par rapport à ça, se rappelle Mendy. Après manger, ils nous disaient de nous grouiller parce que ça allait être l’heure desFeux.Du coup, on faisait exprès d’avoir nos soins tôt pour pouvoir regarder. » Et si ce n’était pas possible ? « On commençait par le massage plutôt que par l’athlétique. Il y avait des télés dans le centre médical. »
Ma famille d’abord
Comment expliquer cette passion contagieuse ? Comme ils en parlaient avec TF1, Mandanda, Sissoko et Umtiti ont tous commencé à regarder l’émission quand ils étaient petits avec leurs parents ou leurs grands-parents. « C’est juste une hypothèse, mais beaucoup de footballeurs viennent de milieux sociaux populaires qui sont en général plus enclins à regarder ce genre de soap operas » , analyse Clément Combes, chercheur en sociologie à l’université de Grenoble qui a réalisé en 2013 une thèse sur l’analyse de la consommation des séries par le public (La pratique des séries télévisées : une sociologie de l’activité spectatorielle). « Ils ont été élevés avecLes Feux de l’amour, et c’est devenu une empreinte qui reste. C’est quelque chose qu’on retrouve dans toutes les pratiques culturelles : il y a des choses avec lesquelles on grandit et qui restent des marqueurs forts, comme la musique qu’on écoutait durant notre adolescence » , poursuit le sociologue.
Se mettre devant Les Feux permettrait ainsi au footballeur de se plonger dans quelque chose de rassurant, qui rappelle des bons souvenirs. Clément Combes : « C’est presque la madeleine de Proust. Je regardeLes Feux de l’amour, même si ce n’est pas très bien, parce que ça me rappelle les moments agréables, notamment en famille. Surtout que souvent, on sait que les joueurs professionnels sont des individus qui n’ont pas vraiment eu d’enfance ou d’adolescence, qui ont été éloignés de leur famille assez tôt. Peut-être qu’ils sont plus sensibles que d’autres à ça. » Bernard Mendy confirme cette théorie : « Vous savez, les footballeurs peuvent être très sentimentaux.Les Feux de l’amour, c’est une émission de mère ou de grand-mère. Vu qu’on est très attachés à nos mères, on regarde ça ! » Malgré les chambrages de ses coéquipiers à Tottenham et en équipe de France, Moussa Sissoko continue lui en tout cas de vivre sa passion au grand jour. Et c’est bien là l’essentiel.
Par Brice Bossavie
Tous propos recueillis par BB sauf ceux de Steve Mandanda extraits du site officiel de l'OM