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Mais pourquoi Benzema dézone-t-il autant ?
Cela irrite, cela agace, cela rappelle l’Anelka version 2010. Depuis le début de l’Euro, Karim Benzema ne prend pas sa place dans la surface de réparation adverse comme le font les autres avants-centres. Le Galactique préfère gambader un peu partout, contourner, orienter, placer, donner, décaler. Du coup, Karim joue milieu offensif et la France se retrouve sans attaquant. Pourquoi ?
– Pour plaire ? Dans As, le Lyonnais déclarait il y a un mois : « Je veux être Ballon d’Or, je ne crois pas que je sois si loin de Cristiano Ronaldo ou de Messi. » Tiens, Messi et Cristiano jouent justement avec cette liberté de déplacement que semble affectionner Benzema. Pour plaire en 2012, il faut toucher le ballon, s’associer, montrer ses talents de passeur et de dribbleur, savoir frapper de loin et créer du jeu. C’est typique de notre époque : les bons attaquants sont les attaquants complets, et être un simple buteur ne suffit plus. Et puisque Benzema est un footballeur exquis et sait tout faire, il n’hésite pas à le montrer.
Dézoner lui permet d’arriver lancé sur le but, de prendre de la vitesse, de tenter des actions spectaculaires et d’être au cœur du jeu. Dans la dernière liste des nommés au Ballon d’Or, tous les attaquants (Eto’o, Forlan, Suarez, Rooney, Messi, Cristiano, Neymar, Agüero, Müller) jouaient en retrait ou décalés sur un côté. Dans le schéma à une pointe de Blanc, Benzema refuse ainsi de « zoner » comme les Higuaín, Falcao ou Gómez. Mais cette hypothèse reviendrait à ignorer la maturité d’un joueur qui a dit et répété qu’il veut prendre ses responsabilités, assumer son rôle de leader et (bien) porter le numéro 10. Du coup, si Karim dézone, c’est forcément pour aider l’équipe, n’est-ce pas ? – Pour faire mieux jouer les Bleus ? Il est aussi possible, tout simplement, que Laurent Blanc lui demande de dézoner. Et contrairement à ce que l’on peut croire, le Président a peut-être même des bonnes raisons de le faire. Benzema 2012 n’est pas Anelka 2010 : il y a une différence entre s’éloigner de la surface et tourner autour. Karim ne fuit jamais le jeu, il l’attire. Avec 12 tirs cadrés, il est d’ailleurs le deuxième joueur ayant le plus tiré derrière Cristiano (14 en 4 matchs). Quand Benzema ressort, c’est pour créer du mouvement, accélérer le jeu, libérer des espaces. Le Lyonnais en est à 121 passes tentées en trois matchs, plus du double de Gómez ou Torres. Un chiffre équivalent à celui de Thomas Müller (128)! Sans oublier que ses décrochages sont difficiles à gérer pour les centraux adverses.
Angel Cappa l’expliquait la semaine dernière à sofoot.com : « Décrocher est justement son point fort, car il complique le travail de marquage de l’adversaire. Ils ne peuvent jamais vraiment le situer. […] Benzema est comme Romario. Il sait disparaître de l’écran de contrôle du défenseur. Ses déplacements sont extrêmement intelligents. » Et ce n’est pas maladroit : depuis le début de la tournée des matchs amicaux, le Merengue est impliqué sur six des neufs buts marqués par les Bleus quand il était sur la pelouse. Par contre, dans le cas où Blanc ne lui demande pas de bouger autant, il semblerait que Benzema ait chopé le vieux (et mauvais) réflexe des attaquants brillants qui jouent aux côtés de créateurs plus faibles : essayer de tout faire soi-même. Prenons l’exemple de Torres et Gómez, qui jouent comme de vrais 9 : s’ils acceptent de toucher très peu de ballons par match, c’est peut-être parce qu’ils ont, eux, des génies pour le toucher à leur place…
– Pour faire passer un message à Blanc ?
Avec une seule faute subie en 256 minutes, Benzema a démontré qu’il n’aime pas évoluer au cœur des défenses adverses (Balotelli en a subies 7, Carroll 5). Si Benzema a préféré la Liga à la Premier League, c’est aussi parce qu’il aime le toque et la construction. À Lyon, Benzema a longtemps évolué derrière Fred. Au Real, il joue aux côtés d’un Cristiano qui assume le rôle de premier buteur de l’équipe, quand il ne joue pas sur le côté droit d’un Higuaín vivant pour le but. Faudrait-il se convaincre pour de bon que Benzema n’est pas un véritable avant-centre et qu’il dézone exagérément pour faire passer un message à Blanc ? À l’Euro, sponsor McDonald’s oblige, Karim est venu comme il est : comme une seconde pointe. Certes, Ancelotti a démontré à Paris qu’il était possible d’avoir une attaque de feu sans véritable avant-centre. Ribéry, Benzema et Ménez, tous les trois bons finisseurs, polyvalents et rapides, ont le profil pour un tel système, qui serait d’ailleurs meurtrier face à l’Espagne. Mais chez les Bleus, les permutations ne sont pas réciproques : Benzema va partout, mais ni Ribéry ni Ménez ne viennent jouer en pointe.
D’où le retour de l’option Giroud. Quand Olivier est sur le terrain, le jeu est plus concret, direct, vers le but, plus dangereux. Comme si sa présence dans la surface rappelait à tous nos bons dribbleurs que l’objectif reste de la mettre au fond. La solution que semble demander Benzema, qui adore avoir le jeu devant lui, c’est de jouer derrière le vrai numéro 9 des Bleus. Ce qui implique pour Blanc un jeu « trop » direct, moins de possession et de contrôle, et plus d’espaces derrière. Bien sûr, l’Espagne est un cas particulier et, samedi, les Bleus auront besoin de vitesse et de technique. Mais si la France est dos au mur, il faudra prendre des risques et sortir le « Desert Eagle » montpelliérain. Un projet de jeu est intéressant à moyen et long terme, mais en phase finale de l’Euro, la victoire est prioritaire sur le jeu. Et pour gagner, il faut des buts, et de la présence. M. Blanc, écoutez ce que les mouvements de Karim essayent de vous dire.
Par Markus Kaufmann
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