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Mais où va le mouvement ultra ?

Par Guillaume Fleury, Antoine Aubry et Quentin Blandin
15 minutes
Mais où va le mouvement ultra ?

Les incidents de Nice-Saint-Etienne posent de nouveau la question de l’avenir du mouvement ultra. L’occasion de revenir sur la situation des ultras en France, sur laquelle So Foot s’était penchée le mois dernier.

Les violences survenues à l’Allianz Riviera hier après-midi rappellent que certains ultras, prompts à dénoncer le traitement injuste dont ils seraient victimes, savent très bien tendre le bâton pour se faire battre. Après ces tristes incidents, les ministères de l’Intérieur et des Sports ont aussitôt rappelé que « la fermeté et l’intransigeance doivent continuer à guider la lutte contre le hooliganisme » , Frédéric Thiriez allant jusqu’à envisager la fin des déplacements de supporters.

Il est absolument nécessaire de sanctionner les auteurs de ces actes de violence – et de le faire par des mesures judiciaires et non simplement administratives. Manuel Valls et Valérie Fourneyron ont donc raison de souhaiter que « les responsables des heurts de ce jour soient rapidement identifiés, afin qu’ils répondent de leurs actes devant la Justice » . Mais il est absolument nécessaire aussi de s’interroger sur la politique de lutte contre le hooliganisme, qui à force de mettre la pression sur les ultras, parfois à raison mais parfois de manière injustifiée, a conduit à radicaliser certains, comme le cas des Green Angels stéphanois le prouve bien. Il faut réprimer les comportements graves, mais il faut aussi proposer autre chose aux supporters qui demandent à s’impliquer dans la vie de leur club et qui ne sont aujourd’hui guère écoutés par le monde du football. En somme, associer répression des violences à une prévention beaucoup plus importante qu’actuellement, ce qui permettrait de renouer le dialogue entre certains supporters et les institutions sportives et d’éviter certains dérapages qui auraient pu, hier, s’avérer dramatiques.

Pierre Ménès évoquait récemment la nécessité d’un Grenelle des supporters. On ne peut que lui donner raison. Mais cela suppose que certains ultras sortent de leur posture de victimes et se rendent compte que si la fin de leur mouvement est peut-être proche, c’est aussi parce qu’ils prennent un malin plaisir à creuser leur propre tombe. Il y a un mois, So Foot avait analysé cette situation complexe des ultras français. Elle est aujourd’hui plus d’actualité que jamais. C’est pourquoi nous avons décidé de publier de nouveau cet article.

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Texte original tel que publié il y a plusieurs mois :

À écouter de nombreux ultras français, la cause est étendue. Leur style de supportérisme va disparaître du fait d’une répression disproportionnée qui s’appliquerait à leur encontre et condamnerait leurs formes de soutien, organisées et spectaculaires. Certes, les autorités sportives et publiques tiennent à reprendre en main les virages que les ultras s’étaient appropriés ces dernières années et ne leur font donc aucun cadeau, allant bien au-delà de la lutte contre les violences. Pour autant, les nombreux débordements dans lesquels des ultras ont été impliqués depuis le début de la saison conduisent à se demander si certains ultras ne sont pas pris dans une logique radicale les amenant à se suicider avant d’être assassinés…

Chaudes retrouvailles

En tout cas, certaines retrouvailles ont été animées. Les ultras nantais ont célébré leur retour à Rennes en dérobant dans le stade de la route de Lorient une partie du tifo préparé par le Roazhon Celtic Kop, la veille de la rencontre entre les deux équipes. Un vol revendiqué au travers d’une banderole sans équivoque : « RCK, ton tifo bandes ne cachera pas ta misère » . En réaction, une trentaine de membres du RCK envahissent le terrain avant le match afin de se confronter aux Nantais massés dans le parcage visiteur. Tout ça sous l’œil du public et des caméras de télévision.

Autre retour, celui du derby lorrain. Cinq ans et demi après le dernier affrontement entre Metz et Nancy, la soirée n’a pas manqué de piquant. Un stade plein, un tifo dans toutes les tribunes, une ambiance survoltée et des visiteurs également bouillants ! Arrivés en retard du fait, selon le principal groupe ultra nancéien, d’une mauvaise organisation du club et de la police, ils se sont fait remarquer dès leur entrée à Saint-Symphorien en échangeant moult projectiles (drapeaux, pétards et autres joyeusetés) avec les pensionnaires de la Tribune Est voisine ou en les lançant vers les joueurs adverses. Bilan ? Un match arrêté à deux reprises et une intervention des CRS dans les gradins.

L’excitation du derby peut déraper

Étonnant ? Pas vraiment selon le sociologue Ludovic Lestrelin, auteur de L’autre public des matchs de football : « De manière générale, les matchs disputés contre des équipes géographiquement proches sont des moments attendus par les supporters parce que le sens du football, ce qui fonde sa popularité, tient à sa territorialité. La proximité attise la rivalité : le proche est celui qui nous ressemble et c’est aussi celui que l’on aime à détester. Construire une identité, cela passe aussi par la négation, le rejet, être contre. En France, les derbys sont une affaire d’honneur et de suprématie au niveau régional car il n’y a pas de véritables derbys au sens premier du terme, opposant deux équipes d’une même ville. Les ultras sont particulièrement sensibles à ces rencontres car ils construisent une cause qui est celle de défendre les couleurs de leur ville. De plus, en raison des courtes distances, les derbys sont l’assurance de mobiliser un nombre important de supporters pour effectuer le déplacement et envahir le territoire adverse. Cela génère donc une tension fondamentalement plaisante pour les supporters radicaux. »

Mais parfois, le côté excitant du derby débouche sur des faits beaucoup plus graves. La guerre entre Lyonnais et Stéphanois, qui fait rage depuis le vol d’une partie de la banderole des Magic Fans par des indépendants du virage sud lyonnais, tourne à la vendetta et aux règlements de comptes au domicile ou sur le lieu de travail de certains supporters.

Toujours les fumigènes

Au-delà des violences, le vieux serpent de mer des fumigènes continue à empoisonner les relations des ultras avec le monde du football. Pour les ultras, l’utilisation d’engins pyrotechniques est un élément essentiel de leur « culture » . Pour les autorités, ce sont des engins dangereux qu’il faut éradiquer des stades. Dès lors, l’usage de fumigènes et autres artifices est devenu un moyen de résistance pour de nombreux ultras, à l’encontre de ce qu’ils appellent le « football moderne » .

Ainsi, l’ouverture du nouveau Kop Sud à Geoffroy Guichard à l’occasion de la réception du Sporting Club de Bastia a donné lieu à un allumage massif de torches par les Green Angels . Magnifique pour certains, stupide pour d’autres. En tout cas, le communiqué de la direction du club dénonce le « comportement inconscient de certains supporters, par ailleurs incompatible avec les principes défendus par le club » et annonce la suppression des « droits et accès accordés habituellement » aux Green Angels lesquels ont récemment dissous leur structure associative.

SOS Ligue 2 contre Thiriez

Une stratégie aussi employée du côté de Niort. Pas vraiment ravie d’une banderole sortie par des fans niortais, la direction du club n’a pas caché sa colère et a menacé ses propres supporters. La banderole en question ? Un message hostile à beIN Sport. Au-delà du cas niortais, le collectif SOS L2 a relancé ses actions en début de saison. Après avoir obtenu l’an dernier le décalage des matchs au vendredi 20h, il espérait poursuivre les discussions avec la LFP sur les horaires des matchs. En l’absence de réponse de la Ligue, SOS L2 a envoyé une lettre recommandée à Frédéric Thiriez. Initiative que le président de la Ligue de football professionnel n’a que très peu goûtée. Dans une missive envoyée à tous les présidents de Ligue 1 et de Ligue 2, l’homme à la célèbre moustache n’a pas hésité à ordonner aux clubs d’interdire tout message pouvant être hostile à la LFP et/ou à beIN Sport. La réponse de SOS L2 ne s’est pas fait attendre, le collectif ayant décidé de porter plainte contre le Président de la Ligue.

Des supporters très encadrés

Si Frédéric Thiriez se montre intransigeant, c’est aussi le cas de la direction de clubs comme le FC Nantes qui a annoncé vouloir interdire les descentes de supporters vers le bas de la tribune lors des buts de leur équipe. Une décision de la direction ? Pas vraiment explique le FCN dans ce communiqué : « Le mouvement de foule spontané sur chaque but marqué par notre équipe (cette déferlante qui part du haut de la tribune Loire pour s’arrêter aux grilles niveau pelouse) inquiète à juste titre les responsables publics de la Sécurité et des Secours (Préfecture, Police, Pompiers, Médical) lesquels nous ont ordonné d’y mettre fin. Nous ne pouvons accepter qu’il y ait des blessés parmi les supporters… Pour des raisons évidentes de sécurité, cette pratique doit cesser dès ce samedi 05 octobre. À défaut, nous serions contraints d’instituer la vente des places dans la tribune Loire en position assise et numérotée » .

Un communiqué qui s’inscrit dans un contexte où les mesures restrictives se multiplient à l’encontre des supporters. Le week-end du 23 août a ainsi donné lieu à de multiples arrêtés préfectoraux. Le préfet de Corse du Sud a commencé en interdisant à tout supporter de Nice de se déplacer à Ajaccio pour assister au match opposant le Gym à l’ACA. Comme ce n’était pas suffisant, le ministre de l’Intérieur Manuel Valls en a remis une couche en publiant un arrêté stipulant l’interdiction de tout « déplacement individuel ou collectif, par tout moyen, de toute personne se prévalant de la qualité de supporter du club de l’OGC Nice ou se comportant comme tel (…) entre les communes du département des Alpes-Maritimes, les ports de Marseille et de Toulon, les aéroports de Marignane et de Hyères, d’une part, et la Corse, d’autre part » . La préfecture de Loire-Atlantique s’est également fendue d’un arrêté interdisant « à toute personne se prévalant de la qualité de supporter du club du Paris Saint-Germain ou se comportant comme tel, alors qu’elle est démunie de billet, ainsi qu’à une personne ayant appartenu à une association de supporters dissoute du Paris Saint-Germain, d’accéder au stade de la Beaujoire (Nantes) » dix jours avant la confrontation entre Canaris et Qataris. Arrêté identique à celui publié le 7 août par la préfecture de l’Hérault avant le match Montpellier-PSG. Pour les fans de la capitale, ça en devient routinier après de similaires interdictions lors d’un match des féminines, à Valenciennes ou lors de France-Australie au Parc.

Si certains déplacements risqués nécessitent un encadrement approprié, ces nombreux arrêtés posent néanmoins question quant à l’atteinte aux libertés individuelles et collectives, surtout lorsqu’un juge déclare qu’ « aller au stade ne constitue pas une liberté fondamentale » . Une préoccupation qui a poussé l’avocat Pierre Barthélémy à contester l’arrêté à Nantes et à souligner qu’aucune distinction n’est faite entre les différents types de dissolution des groupes parisiens (juridique, autodissolution décidée collectivement,…) et que les justifications présentées par la préfecture ne reposent sur aucune base solide.

Des frictions avec la police

Sur le « terrain » , les forces de l’ordre n’ont pas toujours fait preuve de grande délicatesse envers les ultras. À Toulouse, après une fouille poussée et prolongée, des supporters niçois sont entrés en parcage en retard et en chantant, sans réaliser qu’un hommage à Brice Taton, supporter toulousain assassiné par des hooligans serbes il y a 4 ans, était en cours. Si les vives tensions entre les deux bords se sont calmées à la mi-temps après une clarification entre leaders de chaque groupe, la soirée était loin d’être terminée pour les Niçois. Alors qu’ils attendaient l’ordre de départ sur le parking adjacent au parcage visiteur, ces derniers auraient été chargés par les CRS. À Lens, c’est le bus transportant les supporters messins de la Horda Frénétik qui s’est trompé de trajet, laissant les 50 visiteurs assez loin du parking leur étant dévolu. Pendant que la police tente de leur faire faire demi-tour, un Messin à la traîne se fait chaparder un tambour par des Lensois. Évidemment, l’ambiance se durcit, des amabilités sont échangées entre des ultras qui souhaitent retourner en arrière et leur escorte pas vraiment bien organisée. Cinq policiers auraient été blessés dans la bousculade. Rebelote au moment d’entrer dans le stade. Ça chauffe avec les stadiers et une nouvelle empoignade où se mêlent fans grenats, membres de la sécurité et CRS éclate. Un « beau chaos » selon un témoin. Sans oublier les soupçons pesant sur la police quant aux vols dans des cars de supporters stéphanois et bastiais à Monaco.

Les effets pervers de la politique répressive

Si l’organisation des forces de police est manifestement en cause lors de certains incidents, la responsabilité des ultras est également clairement engagée dans les nombreux débordements qui ont émaillé le début de saison. Au Havre, une bagarre a opposé les Barbarians locaux et des Lensois à la fin de la rencontre du 14 septembre. Une dizaine de fans monégasques ont été attaqués par des ultras rémois. Dès lors, si la survie du mouvement ultra est clairement en cause, s’agit-il d’une tentative de « meurtre » avec préméditation de la part des instances publiques et sportives ? Ou plus simplement d’un suicide collectif ?

Pour le sociologue Ludovic Lestrelin, le durcissement progressif de la répression est une des raisons de l’affaiblissement du mouvement ultra. « Pour pacifier le spectacle du football, la politique de contrôle du supportérisme s’est étendue d’un point de vue spatial et temporel, explique-t-il. Les mesures ne visent plus seulement les agissements qui se déroulent dans les stades mais aussi à leurs abords, voire dans un périmètre géographique plus important encore, avant et après les matchs. Cette politique de contrôle passe aussi par des logiques proactives symbolisées par l’instauration d’interdictions « préventives » (interdictions administratives de stade, interdictions de déplacements, restrictions de la libre circulation) fondées sur l’anticipation : on cherche à éviter qu’un incident futur ne survienne en empêchant à un supporter considéré comme potentiellement violent de venir au stade. Les sanctions sont prises selon l’appréciation des agents de sécurité publics et privés. Par exemple, la première étape du processus d’IAS est le rapport de police. Ajoutons à cela que les actes pris en considération ne constituent pas nécessairement des faits pénalement répréhensibles. Comme ces agents ne sont pas dotés du don de prescience, cela pose donc des problèmes sérieux, notamment des risques d’arbitraire. Les décisions peuvent toucher des individus violents, et c’est tant mieux, mais elles peuvent aussi sanctionner des individus n’ayant pas commis de délit. »

Ces interdictions de déplacements et autres sanctions administratives, associées aux sanctions collectives du type dissolution ou suspension des activités des groupes, mettent à mal la dimension de logique associative, essence même du mouvement. « Un groupe ultra, ce n’est pas qu’une bande d’amis poursuit Ludovic Lestrelin. Être ultra, c’est valoriser l’organisation, la structuration et la hiérarchisation du groupe : on planifie et répartit des tâches, on a un local, les adhérents sont encartés, etc. Être ultra, c’est donc vouloir vivre le match de manière radicale, vanter un mode de vie un peu à la marge, mais en fait, c’est aussi un modèle qui s’inscrit dans des formes finalement très conventionnelles d’organisation et de lien social. La décision récente de renoncer au statut associatif prise par les Green Angels (de Saint-Étienne, ndlr), un des groupes historiques de la scène ultra française, est assez lourde de symbole » .

Ultra-suicide ?

Cette logique répressive ne semble pas avoir les effets escomptés vu les nombreux incidents de ces dernières semaines. Car si certains se lassent des bâtons mis dans les roues et se rangent, d’autres, quand ils ne tournent pas vers la mouvance hooligan encore plus « underground » , paraissent vouloir partir en beauté. Plusieurs groupes déjà menacés par une dissolution, comme les Ultramarines de Bordeaux, n’hésitent pas à craquer de multiples torches malgré les risques qui planent au-dessus de leurs têtes. Ludovic Lestrelin développe : « On le sait, la perception de l’injustice peut être un moteur puissant de mécontentement mais aussi de tension voire de radicalisation de l’action, bien loin de la volonté initiale d’apaisement des stades. Bref, on a là tous les ingrédients d’un cercle vicieux… »

Pourtant, des exceptions existent comme par exemple la reformation d’une association ultra à Nice pour « remplacer » la Brigade Sud Nice disparue en 2010, preuve que les dés ne sont pas définitivement pipés pour les ultras et que les structures associatives peuvent encore s’exprimer. Malheureusement, malgré une manifestation nationale l’an dernier à Montpellier, les ultras français peinent à s’organiser collectivement. « Pour pouvoir faire évoluer le rapport de forces avec des autorités, faire valoir des revendications voire des droits, mais aussi pour avoir une visibilité, conquérir des soutiens, en somme modifier des équilibres, il faut pouvoir se mobiliser, note Ludovic Lestrelin. Or toute mobilisation dépend de tout un travail préalable de représentation orchestré par des acteurs organisés. C’est ce que font les syndicats depuis le XIXe siècle. Le travail de représentation permet aussi d’agir sur l’image, la perception via tout un travail auprès des médias et du grand public. Des formes de représentation tendent à se mettre en place, le Collectif SOS Ligue 2 ou la manifestation organisée à Montpellier il y a un an sont des exemples, mais cela reste timide car structurellement, l’univers du supportérisme est un milieu conducteur mais segmenté. Conducteur, au sens électrique, car il y a dans cet univers des ingrédients favorables à de la mobilisation : forte cohésion au sein de groupes, conscience collective, routines organisationnelles, etc. Mais segmenté car coupé des foyers de décision et atomisé de par les rivalités entretenues entre les différents groupes. Si les groupes français veulent modifier le rapport de forces qui leur est très défavorable actuellement, alors ils doivent s’engager dans ce travail tout en faisant leur aggiornamento sur la question de l’usage de la violence » . Mais le mouvement ultra français est-il vraiment prêt à faire son examen de conscience et à définir clairement ses priorités ?

A lire : L’interview de Franck Berteau, auteur de Le dictionnaire des supporters. Côté Tribunes : « Le mouvement ultra touche peut-être à sa fin »

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