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Mais où va l’Atlético ?
Quatrième de Liga, l’Atlético reçoit Liverpool mardi pour un huitième de finale aller de Ligue des champions réunissant deux entraîneurs en quête du même ingrédient : l’intensité. Problème : Diego Simeone est aujourd’hui à un tournant de son histoire madrilène, similaire à celui connu par Jürgen Klopp lors de sa dernière saison à Dortmund, et peine à renouveler stylistiquement un effectif qui sous-performe comme rarement. Explications.
Un jour, en 2011, Diego Simeone s’est assis à une table, quelque part à Mar del Plata, chez lui, en Argentine. À ses côtés, son fils, Giuliano, et sous son nez, un petit-déjeuner : du lait, des croissants, du jus. Puis, le Cholo a pris la parole : « Gio, l’Atlético m’a appelé. Ils me proposent de devenir leur entraîneur, mais je ne sais pas quoi faire. » Réponse du fiston ? « Papa, tu vas diriger Falcao ? Tu vas jouer contre Messi ? Contre Ronaldo ?(…)Eh bien si tu réussis, tu ne reviendras pas. » Simeone avait alors 41 ans et n’avait pas encore construit son modèle unique : de jeu, de victoire, de vie. Voilà ce que l’Argentin a fait de l’Atlético, un club qui n’avait plus soulevé la moindre Liga depuis 1996, qui avait passé deux ans par la Segunda Division au début des années 2000 et qu’il a ramené avec les muscles contractés vers les sommets. À sa manière, soit en jouant toujours de la même manière – en 4-4-2 ou en 4-2-3-1 -, avec de l’intensité, du cœur et des couilles. En abordant, aussi, chaque match couperet comme l’aventure d’une vie. Ainsi, Diego Simeone a remporté la Ligue Europa au bout de sa première saison avec un bilan monstrueux (treize victoires, un nul à Rennes, une défaite à Udine), a enchaîné ensuite avec une victoire en Supercoupe d’Europe face à Chelsea et une autre en finale de la Coupe du Roi, puis avec une finale de C1, en 2014, précédée par une Liga historique… Où allait-il s’arrêter ? Bonne question, car dans la foulée, Simeone a su faire naître la version 2.0 de son Atlético, symbolisée par Antoine Griezmann, et avec laquelle le Cholo a été chercher une deuxième finale de C1, en 2016, et une nouvelle Ligue Europa, en 2018, sans jamais sortir du podium en Liga. La rupture n’était pas pour tout de suite, impossible. Mais pour quand ?
« Le cholismo exprime un courant de pensée »
La question a longtemps été posée : jusqu’où Simeone peut-il emmener l’Atlético, jusqu’à quand l’Argentin va-t-il enchaîner les saisons exceptionnelles, sans travestir son modèle et en maintenant son approche ? Les Colchoneros avaient survécu aux départs d’Agüero, Forlán, De Gea, Falcao, Courtois, Filipe Luís, Diego Costa et Miranda, mais résisteraient-ils à ceux de Griezmann, Juanfran, Godín et Gabi ? Le foot a des limites, les ressources humaines aussi, la fatigue physique et mentale, encore plus. Par conviction, l’Atlético s’est longtemps refusé au craquage financier, et ce, malgré le fait que le club madrilène est la treizième meilleure institution du monde en matière de revenus. Qu’est-ce qu’être supporter de l’Atlético ? « Un esprit » , comme l’explique le sémioticien espagnol Rayco Gonzalez au Blizzard et au Guardian : « Les ennemis politiques, les diffuseurs TV, les acteurs et d’autres figures emblématiques se sont progressivement proclamées cholistas. Dans un contexte de crise économique et politique, le cholismo exprime un nouveau courant de pensée. » Une vision avec laquelle il ne faut pas jouer, ce que Diego Simeone sait mieux que personne, et pourtant, l’été 2019 a marqué un tournant dans l’histoire de l’Atlético : une promesse de dix-neuf ans a été recrutée contre un chèque de 126 millions d’euros (!), ouvrant ainsi la porte à Jorge Mendes, et d’autres paris risqués ont été faits (Lemar en tête). L’Atlético serait finalement devenu un club de son temps, un club qui dépense sans compter et qui s’autorise à s’écarter de la vision de ses propres supporters. Étrange.
La difficile évolution du jeu
Étrange et complexe à vivre, car Simeone traverse actuellement sa saison la plus compliquée depuis son arrivée à Madrid. Sportivement, d’abord, puisque l’Atlético est actuellement quatrième de Liga, compte certes autant de défaites que le Barça (quatre), mais s’avance souvent sans jeu, sans envie, sans cette patte qui faisait des Colchoneros un ensemble capable de subir sans craquer et de piquer en retour. Un aperçu avait déjà été donné lors du huitième de finale retour de la dernière C1 face à la Juventus (défaite 3-0 après avoir remporté la manche aller 2-0), plusieurs confirmations ont été vues cette saison : à Eibar (2-0), au Bernabéu (1-0), à Leganés (0-0) ou encore plus, surtout, lors de l’élimination en Coupe du Roi face au CD Leonesa (2-1). À León, contre un club de troisième division, l’Atlético a reculé dangereusement, et Diego Simeone a de nouveau cherché, en vain, la bonne formule. L’enjeu de l’après-Griezmann était là : l’Argentin devait faire évoluer sa façon de jouer, ce qu’il a essayé de faire en n’hésitant plus à faire évoluer son système (il a testé la défense à trois, un losange au milieu avec Lemar en 10), histoire de profiter au maximum de latéraux offensifs (Trippier, Lodi). Reste qu’en six mois, l’Atlético n’a pas réglé son problème majeur : trouver une variété dans ses situations offensives derrière un milieu toujours aussi compact et qui évolue un cran plus haut que par le passé. Tout semblait pourtant sur la table : des latéraux dotés d’une qualité de centre rare, deux buteurs fins (Morata et Diego Costa), un Partey en pleine confirmation…
L’échec du réalisme
Mais cela doit absolument être suivi de réalisme. Là est le hic de l’Atlético 3.0 de Simeone, qui sous-performe offensivement comme jamais sous les ordres du Cholo. Cette saison, les Colchoneros n’ont inscrit que 25 buts en 24 journées de Liga, soit autant qu’Alavés (14e), et affichent ainsi la douzième attaque du championnat. Cela s’explique par les nombreux problèmes physiques connus par le trio Costa-Morata-João Félix, mais aussi par l’incapacité des joueurs offensifs de l’Atlético à convertir leurs opportunités. Cette saison, le club madrilène est la septième équipe de Liga qui tire le plus au but (11,8 tirs/match), la onzième qui cadre le plus (3,8 fois/match) et affiche surtout un bilan xG terrible, puisque les Colchoneros devraient compter douze buts de plus cette saison (et pourraient donc être dauphins du Real). L’Atlético est en effet l’une des équipes d’Europe qui sous-performe le plus offensivement, et ce, alors que Simeone, qui peine à trouver le rôle idéal à João Félix (que Simeone trouve aussi encore trop tendre), n’a jamais possédé une équipe aussi peu lisible, bien que toujours aussi « solide » défensivement (deuxième meilleure défense du pays, mais déjà neuf buts encaissés sur coups de pied arrêtés !). Surtout, un chiffre interpelle lorsqu’on connaît l’Atlético sous Diego Simeone : seuls deux joueurs de l’effectif ont disputé plus de 80% des minutes jouées cette saison en Liga par le club (Oblak et Saúl, utilisé pour boucher tous les trous), preuve définitive que l’Argentin peine à trouver son onze type. Interrogé il y a quelques mois sur l’entraîneur qu’il admire le plus, Simeone, qui s’apprête à voir partir son adjoint historique (Germán Burgos), ne s’était pas planqué et avait nommé Klopp, un homme qu’il s’apprête à défier mardi soir pour la première fois de sa carrière et qui était, il y a cinq ans, dans la même situation que lui lors de sa dernière saison à Dortmund. Après de nombreux succès, l’actuel coach des Reds avait estimé qu’il était alors temps pour lui de changer d’air et de céder son poste. À l’heure où l’Atlético peut « gagner et perdre contre n’importe qui » , Diego Simeone en est aussi à ce point : cet aller-retour européen contre le champion d’Europe, qui est reparti de sa dernière visite au Wanda Metropolitano avec la C1 sous le bras, pourrait filer de nouvelles réponses. Une si belle histoire ne peut se terminer aussi dramatiquement. Et, une nouvelle fois, Simeone ne demandera qu’une chose non négociable : des efforts.
Par Maxime Brigand