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Mais où sont les Portugais de Suisse ?

Par Sébastien Lavoyer (Zwölf), avec Steven Oliveira
Mais où sont les Portugais de Suisse ?

La sélection suisse est composée de joueurs d’origines camerounaise, italienne, espagnole, kosovare, bosniaque... Mais c’est un fait : aucun footballeur aux racines portugaises n’a jamais défendu les couleurs de la Nati. Une anomalie qui pose question, puisque au pays de Roger Federer, les Lusitaniens sont le troisième contingent de population immigrée.

C’est un match particulier qu’a vécu la Suisse face à la Serbie lors de la dernière rencontre de phase de poules de cette Coupe du monde. Une victoire forte en émotions pour certains joueurs de la Nati d’origine albanaise du Kosovo qui avaient forcément coché depuis longtemps cette rencontre face au rival serbe. Ce huitième de finale du Mondial face au Portugal aurait pu, lui aussi, être singulier pour les hommes de Murat Yakın. Finalement, il le sera seulement pour le peuple suisse. Car avec 260 000 représentants, les Portugais constituent le troisième contingent de population immigrée, après les Italiens et les Allemands. Accessoirement, ils ont aussi une passion démesurée pour le football. Cet engouement, cumulé avec le total d’individus présents sur le territoire, s’est vérifié dans les données publiées par la fédération suisse (ASF) en juillet dernier : aucun groupe de population d’origine étrangère n’a plus de footballeurs licenciés que les Portugais. Avec environ 16 500 adhérents, ils devancent les Italiens et, de loin, les Allemands. Pourtant, ils n’ont laissé aucune trace ou presque dans le foot professionnel helvète. En 2020, seuls trois joueurs d’origine portugaise évoluaient en Super League. En Challenge League (D2), ils étaient onze. Dans les équipes nationales (U19, U21 et A), seuls Ricardo Azevedo (Saint-Gall) et Filipe de Carvalho Ferreira (Grasshopper) partagent des origines avec les champions d’Europe en titre. Et alors que des joueurs originaires d’Italie, d’Espagne, du Kosovo ou de Turquie ont déjà usé leurs crampons pour la Nati, l’absence de Lusitaniens s’y fait encore aujourd’hui cruellement ressentir, bien qu’ils soient présents en masse dans le pays depuis les années 1980.

Saudade et communautarisme

Alors, qu’est-ce qui explique que les Portugais du football suisse soient restés si transparents jusqu’à présent ? S’agit-il d’un potentiel honteusement inexploité ? « En ce qui concerne les détections, l’origine de la personne ne joue aucun rôle », explique Patrick Bruggmann, qui officie à la fédé suisse en tant que directeur technique. Une fonction qu’il a auparavant occupée au sein des Young Boys de Berne et du Servette de Genève. Selon lui, « la sélection des joueurs s’opère sur la base de leurs capacités. Ceux qui savent jouer au foot, nous les voulons dans notre réservoir. Le passeport suisse ne devient important que lorsque se pose la question d’une sélection en équipe nationale. » Dit autrement : pour la fédération, seul le talent compte. Mais le talent seul a rarement produit des stars. L’un des facteurs centraux du développement d’un joueur – et cela a été prouvé au cours des années, voire des décennies – c’est la personnalité. Ce que recherchent Bruggmann et ses adjoints, c’est une « motivation intrinsèque », donc des joueurs qui veulent poursuivre leur développement, qui se fixent des objectifs et travaillent pour les atteindre, sans que leurs parents, leurs proches, leur agent ou quiconque n’aient besoin de les pousser ou ne les mettent sous pression. Évidemment, l’environnement culturel peut jouer un rôle en ce sens. Mais l’environnement direct est encore plus important, qu’il s’agisse des parents, de la famille, du cercle d’amis et même de l’école.

Les Portugais qui viennent en Suisse ont une mission précise : ils viennent pour travailler. Revenir vers ses racines un jour est dans la tête de la plupart d’entre eux.

Depuis 2010, entre 2100 et 3900 Portugais sont naturalisés suisses chaque année. Cependant, seule une très petite minorité d’entre eux est prête à abandonner son passeport d’origine dans la foulée, car la plupart sont venus en Suisse avec la ferme intention de rentrer au pays un jour où l’autre, comme a pu le faire le père de Bruno Fernandes, parti seul travailler au pays du fromage lorsque ce dernier était jeune pour subvenir aux besoins de sa famille. Une hypothèse qui se vérifie par le recul constant du nombre de Portugais résidant sur le territoire helvétique depuis cinq ans. « C’est une différence majeure avec la plupart des gens qui sont arrivés en Suisse en provenance des Balkans. Ils ont fui la guerre. Le retour n’est pas une option, relève Isabel Bartal, sociologue lusitano-suisse, installée au pays de Federer depuis 1984. Les Portugais qui viennent en Suisse ont une mission précise : ils viennent pour travailler. Revenir vers ses racines un jour est dans la tête de la plupart d’entre eux. » Cette saudade a des conséquences, car selon Bartal, chef de projet d’une étude publiée par l’État intitulée La population portugaise en Suisse, celui qui ne voit pas son avenir en Suisse s’intègre et apprend la langue moins bien. « Ce que l’on constate dans le cadre du football peut être transposé dans la société en général : les Portugais sont à peine visibles dans l’espace public », regrette cette spécialiste de la diaspora lusitanienne. Pour illustrer cela, elle prend l’exemple des établissements tenus par des Italiens, des Espagnols ou des Turcs, tous des restaurants fréquentés par le grand public. En revanche, elle déplore que les magasins et bars des Portugais s’adressent le plus souvent à leurs compatriotes.

Le fait qu’ils aient deux boulots relève davantage de la norme que de l’exception. Il reste donc peu de temps pour accompagner les enfants à l’entraînement. Et puis, comme je le dis toujours, si la Suisse est encore propre, c’est parce que ce sont les Portugais qui la nettoient.

Mais pourquoi les Portugais restent-ils en marge du football, leur sport préféré ? Toujours selon Bartal, la raison principale réside dans le fait que la participation des parents occupe une place centrale, tant dans le sport que dans l’éducation. « Le fait qu’ils aient deux boulots relève davantage de la norme que de l’exception. Il reste donc peu de temps pour accompagner les enfants à l’entraînement. Et puis, comme je le dis toujours, si la Suisse est encore propre, c’est parce que ce sont les Portugais qui la nettoient. » Comme une grande partie des membres de la communauté lusitanienne de France, 80% des Portugais résidant en Suisse sont originaires du nord du pays. Une région longtemps minée par des infrastructures inexistantes et un faible niveau d’éducation. Les parents de Nelson Ferreira n’ont jamais eu de machines à billets. Originaires de Ruivaes, à environ une heure au Nord-Est de Guimarães, ils ont fui la sinistrose de leur région natale pour s’installer aux pieds des Alpes à la fin des années 1980. Nelson n’est arrivé qu’une fois que ses parents avaient trouvé un emploi et une maison. C’est donc à l’âge de huit ans qu’il débarque dans l’Oberland bernois. Et à Unterseen, sur le Bödeli, entre les lacs de Thoune et de Brienz, il a trouvé un nouveau chez-lui. Moins d’un an après son déménagement, il intégrait le FC Bâle. Sa carrière a pris fin à l’été 2019, après plus de 400 matchs disputés en Super League. Un record dans l’élite pour un joueur d’origine portugaise, loin devant Carlitos (passé par Bâle et le FC Sion). Ferreira a également connu la signification qu’a le travail pour nombre de ses compatriotes venus s’installer en Suisse avec une idée : upgrader leur statut social, celui-là même qu’ils affichent fièrement lorsqu’ils passent leur été au pays. « Pour mes parents, il a toujours été clair que je devais d’abord terminer une formation avant de me consacrer pleinement au football », relate Ferreira. Ce dernier a donc appris le métier de parqueteur avant de défendre les couleurs du FC Interlaken, du FC Lucerne ou du FC Thoune.

Zurich contre Zurique

En regardant le cas d’Emanuel Mendes Carvalho, on comprend que Ferreira n’est pas complètement à côté de la plaque. Mendes, 25 ans, né en Suisse, occupe la fonction de directeur sportif du Benfica Clube de Zurique, en D4 suisse. Il existe des dizaines de structures similaires qui ferraillent dans les championnats amateurs, la plupart du temps en Romandie. Pour elles, le football est un hobby. Retrouver ses compatriotes après le boulot suffit à la plupart des adhérents. Et si jamais un talent pur venait à émerger, rien n’indique qu’il ne finisse par signer dans un club de Super League, un championnat considéré beaucoup moins sexy que le championnat portugais par beaucoup de Lusitano-Suisses. Rien qu’au Benfica Clube de Zurique, une dizaine de jeunes joueurs ont ainsi effectué un test dans un grand club portugais sur la décennie écoulée, confie Mendes. « L’été prochain, le fils d’un collègue va même tenter sa chance au sein de l’académie du Sporting. » S’il valide son essai dans le club formateur de Figo et Cristiano Ronaldo, le gamin sera pris en charge par ses grands-parents, pendant que ses géniteurs resteront en Suisse. Il ne sera alors pas le premier joueur né en Suisse à préférer la patrie de ses ancêtres.

C’est notamment le cas du jeune Eder Januario Iria – jeune milieu de terrain du PSG qui est né à Genève et qui est international U16 portugais – ou de Diogo Monteiro, défenseur central du Servette et ancien capitaine des U17 portugais. Né à Rothrist en Suisse, Diogo Costa, l’actuel gardien du Portugal, n’a jamais hésité à défendre les couleurs lusitaniennes. Les choses auraient-elles été différentes si sa famille n’était pas retournée vivre au Portugal lorsqu’il n’avait que 8 ans ? Probablement pas. Le mal du pays fait partie de l’identité des Portugais de Suisse. Cette saudade, le fait d’aspirer à quelque chose d’inatteignable, est profondément ancrée dans leur culture. Et c’est dans les mélodies du fado, cette musique mélancolique typiquement portugaise, qu’on la retrouve le mieux représentée. Viendra à coup sûr le moment où les Portugais finiront par céder aux sirènes de la patrie. Et à ce moment-là, les Portugal-Suisse n’auront pas la même saveur.

Xherdan Shaqiri, fort une fois tous les deux ans
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Par Sébastien Lavoyer (Zwölf), avec Steven Oliveira

Tous propos recueillis par SL.
Article publié dans le So Foot numéro 187 en juin 2021 et mis à jour.

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