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- Brésil/Chili
Mais ils sont où, les envahisseurs du Maracaña ?
Avant le match entre le Chili et l'Espagne, le 18 juin à Rio, 88 supporters chiliens ont tenté de pénétrer dans l'enceinte du mythique Maracaña sans billet avant d'être arrêtés par la sécurité. Depuis, ils ont été invités à quitter le pays. Certains ont décidé de rester malgré tout.
Tout le monde s’est mis à pousser d’un coup. Ils étaient là depuis plusieurs heures avec deux choses en tête : hurler « chi-chi-chi/le-le-le » le plus fort possible et acheter une place au marché noir pour voir leur équipe nationale mettre fin au règne espagnol sur le football mondial. « On voulait tous entrer dans le Maracaña, reconstitue Alberto, assis sur un transat, la gueule au soleil sur un parking du centre-ville. C’était super compliqué, les places étaient beaucoup trop chères. Ces fils de putes de Brésiliens essaient de nous enculer parce qu’ils savent qu’on est le pays le plus développé d’Amérique du Sud. Je connais un mec qui a payé 2000 dollars. » Avec leurs homologues argentins, les Chiliens se passent le mot : en forçant un peu, il n’est pas impossible de faire le mur. Deux jours plus tôt, une trentaine de supporters argentins s’étaient offert le match de leur équipe contre la Bosnie en escaladant les grilles du Maracaña. Le 18 juin, 88 Chiliens passent par la salle de presse, courent dans les tunnels et volent vers les tribunes. Sauf que la police aussi s’est donné le mot. Paolo, la trentaine, raconte en marchant le long de l’Avenida Atlantica qui borde la plage de Copacabana : « La police nous est tombée dessus. Ça a un peu cogné parce que les barras bravas ont joué les durs et ont serré les poings, les flics ont fait la même chose. Ils nous ont sortis. » Paolo n’a pas été compté dans les statistiques, pour une raison simple : « J’ai fait le mec sympa, j’ai dit aux keufs que je m’étais retrouvé là sans le vouloir, ils m’ont laissé partir, ces cons. » Pour les autres, direction la cellule du stade, où les fraudeurs subissent le traitement des ceux qui enfreignent la loi. Les bras dans le dos, assis à même le sol. Consolation : au milieu des captifs, un poste de télévision retransmet le match.
Au coup de sifflet final, les autorités brésiliennes tranchent : les 88 Chiliens sont « invités à quitter le territoire sous 72 heures. » Dans son bureau avec vue sur l’océan, au 7e étage du 344 de la Praia do Flamengo – l’adresse du consulat chilien à Rio -, Merced De Lemos Urtubia détaille la procédure : « Ce n’est pas une expulsion en soi, car quand tu es expulsé, tu ne peux plus revenir dans le pays. Si tu invites quelqu’un à manger chez toi et qu’il met les pieds sur la table, tu l’invites à partir. S’il ne le fait pas, tu appelles la police. » Des 88, la plupart ont quitté la table et sont rentrés dans leur pays par leurs propres moyens. 38 en avion, les autres en bus. « Il n’y avait pas que des barras bravas qui ont forcé l’entrée. De manière assez surprenante, il y a aussi beaucoup de gens lambda qui ont juste suivi le mouvement. Surtout, personne n’était connu des services de police. On sait que 60 sont déjà arrivés au pays » , reprend Mme De Lemos Urtubia. Les 28 restants ont décidé d’attendre le dessert. « On a perdu leur trace » , confesse la diplomate.
Looking for the Chilenos
Chercher 28 Chiliens dans Rio n’est pas une entreprise facile. Et pour cause : début juin, plus de 600 voitures ont pris le départ de Santiago avec drapeaux sur le toit, tambours dans le coffre, et Pisco dans la boîte à gant. « Le voyage a duré 14 jours, on est passé par l’Argentine et le Paraguay avant de débouler au Brésil. 14 jours et 14 nuits de fête » , euphémise Matias, en prenant son petit-déjeuner sur une paillotte de Copacabana – une bière fraîche. Lui-même a fait partie des assaillants du Maracaña, mais a préféré la ruse à la force, et n’a pas terminé sa soirée au poste. « J’avais payé mon premier billet pour le match de l’Australie. Quand j’ai vu la gueule de la sécurité, j’ai regretté. Moi, je suis un hincha de Colo-Colo, je ne paye jamais pour voir les matchs : dans tous les stades, il y a une faille. » Pour entrer dans le Maracaña, voilà la marche à suivre, selon Matias : « Pour la première porte, on te demande de montrer ton billet. Il suffit d’agiter un ancien billet. À la deuxième porte, il y a une grille sous laquelle tu peux ramper. C’est à la troisième porte que les choses se compliquent un peu : il y a un garde. Moi, j’ai attendu qu’il regarde à droite, tu fonces, tu sautes par-dessus le mur. » Une gorgée de bière, et une promesse : se faire tous les autres matchs de la Roja sans payer.
Des 28 disparus, Matias dit ne rien savoir. Un indice, cependant : « Certains sont partis à Saõ Paolo, mais il y en a quelques-uns qui sont encore dans les caisses parquées au Sambodrome. » Le Sambrodome, une route de quatre voies entourées de tribunes en béton où défilent les chars lors du carnaval de Rio, ressemble à un festival de musique, sans musique. Des Argentins, des Chiliens, des Colombiens, des Uruguayens ont planté là leur tente et installé un campement, disons, sauvage. Alex, les pieds noircis par la crasse, oriente à nouveau les recherches : « Ils en ont rien à foutre de se faire choper, ils sont restés ici pour profiter du pays. C’est quand même dingue, ici, ce sont les femmes qui viennent chercher les hommes. Ceux qui ont décidé de ne pas partir se plaquent à Lapa. » Lapa, un quartier essentiellement dédié à la fête coincé entre Santa Teresa et le centre où se croisent en ce moment les buveurs de tous les pays. Bien vu : rien ne ressemble plus à un supporter bourré qu’un autre supporter bourré.
Par Pierre Boisson, Swann Borsellino et Lucas Duvernet-Coppola, à Rio de Janeiro