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Mais, en fait, c’est quoi le « QI Football » ?
Un joueur bête, on lui passe tout du moment qu'il est intelligent sur le terrain. Du moment que son QI football et largement supérieur à son QI tout court. Mais en fait, c'est quoi l'intelligence de jeu, tant recherchée par les coachs ?
« Le football d’aujourd’hui est un football physiquement très fort, techniquement également. Mais la grande différence de niveau entre les équipes réside dans l’intelligence de jeu. Nous voulons travailler et jouer comme une équipe. Cela implique le développement de l’intelligence des joueurs. » Il y a une semaine, le directeur technique du PSG, Carles Romagosa, a été clair sur les ondes de RMC. Pour que le Paris Saint-Germain passe un cap au niveau européen, il faut soit faire travailler le ciboulot de ses joueurs, soit en recruter d’autres dotés d’un « QI football » au-dessus de la moyenne. Alors, à un moment où une grande partie de l’opinion publique considère le footballeur comme un être dénué d’intelligence, c’est quoi le QI Football ? Qu’est-ce que c’est, un joueur de foot intelligent ?
De l’intelligence du corps
Le courant de pensée le plus en vogue chez les chercheurs estime qu’il n’y a pas qu’une seule sorte d’intelligence. « La théorie des intelligences multiples est plus ou moins acceptée par tout le monde » , explique Pierre Parlebas, sociologue et théoricien de l’éducation physique et sportive contemporaine. En 1983, c’est le psychologue américain Howard Gardner qui émet cette hypothèse. Le quotient intellectuel serait alors en fait capable de mesurer une seule facette de l’intelligence, l’intelligence logico-mathématique. En réalité, il en existe au moins huit autres : les intelligences musicale, spatiale, sociale, verbale, intra-personnelle, existentielle, naturaliste et corporelle. « En France, on a souvent tendance à mettre en avant l’intelligence verbale et à considérer que quelqu’un qui ne s’exprime pas bien est un abruti. Alors que c’est juste qu’il développe une autre forme d’intelligence que celle-ci » , explique le professeur de la Sorbonne.
Bien évidemment, c’est l’intelligence corporelle qui est sollicitée par le football, comme par tous les sports. Et particulièrement l’intelligence motrice. « C’est facile de repérer un footballeur qui en a dans la tête. Le joueur intelligent, c’est celui qui anticipe, qui voit en avance ce qui va se passer, celui qui a lavistacomme on dit. C’est Zidane, c’est Platini. C’est celui qui voit le jeu, qui organise une équipe. » Cette capacité à anticiper repose sur des qualités essentielles. La première est l’empathie, à savoir la facilité à se mettre à la place des autres. Si le joueur arrive à deviner ce que va faire son partenaire ou son adversaire, il pourra faire le bon choix. « Si on veut aller plus loin, il faut que le joueur essaie de deviner ce que devine l’adversaire, pour pouvoir feinter et le mettre dans le vent » , explique Pierre Parlebas. La deuxième qualité requise est le fait de réussir à décoder les comportements de ses partenaires et de ses adversaires. On appelle ça la sémiologie de la motricité.
L’intelligence collective
Le joueur intelligent doit donc être capable d’analyser les signaux envoyés par les autres joueurs. Un appel tranchant dans l’intervalle peut être interprété comme un « passe-moi la balle, je suis démarqué » , mais il peut aussi avoir pour but d’attirer des défenseurs pour démarquer un autre partenaire. Au passeur de comprendre et de faire le le bon choix en fonction de l’espace, de temps, et de la rapidité de ses potes. Mais à une époque où le football est de plus en plus basé sur la puissance physique et la vitesse, les footballeurs seraient-ils devenus moins malins ? « Au contraire, je trouve que la construction du jeu d’une équipe s’est améliorée avec le temps. C’est plus élaboré qu’il y a 40-50 ans. Avant, dès qu’un défenseur avait la balle, il pensait à la dégager, pas à la relancer. Il n’y a pas d’incompatibilité entre la puissance et l’intelligence. Regardez Ronaldo, il arrive à combiner les deux. Son problème à lui, ce n’est pas qu’il mise que sur son physique, c’est l’individualisme » , juge Pierre Parlebas.
Car l’intelligence ne se situe pas juste au niveau de l’individu, il faut prendre en compte l’ensemble. Le football est avant tout un sport collectif. Donc, la forme d’intelligence la plus primordiale au sein d’une équipe, c’est l’intelligence collective, le fait que les interactions soient fluides. « La créativité individuelle est aisée mais le plus difficile reste la créativité collective » , disait Arrigo Sacchi. Les joueurs les plus malins sur un terrain se sont toujours mis au service du collectif, car si l’équipe toute entière est créative, le résultat est bien plus probant. « Cette dynamique de groupe est très importante. Et au-delà de la motricité, les liens affectifs entre les joueurs entrent en compte. L’intelligence relationnelle compte. Une équipe qui s’entend bien, à condition qu’elle soit déjà forte techniquement, jouera mieux. Ce sera plus fluide, et cette fluidité fera gagner le dixième de seconde nécessaire à une passe parfaite » , tranche Pierre Parlebas. L’amitié affichée entre Messi, Suárez et Neymar serait donc une raison de la réussite des trois individualités, n’en déplaise à Cristiano Ronaldo.
Une génération bête ?
Le problème actuel du football est la tendance qu’ont les joueurs à vouloir tricoter, à vouloir faire la différence tout seul. Laurent Blanc en faisait déjà l’amer constat dans les colonnes de France Football lorsqu’il était sélectionneur de l’équipe de France. « Ce qui nous manque, c’est de l’intelligence de jeu, c’est une qualité de plus en plus rare dans le football. C’est mieux que des joueurs capables d’exploits individuels. Depuis que je suis entraîneur ou sélectionneur, il y a très peu de joueurs qui viennent taper à ma porte pour parler et échanger football. C’est une évolution à l’image de celle de notre société, de plus en plus individualiste. Je trouve que le foot devient de plus en plus égoïste. On s’intéresse d’abord à ses stats, à son match plutôt qu’à celui de l’équipe » , regrettait l’actuel entraîneur du PSG. Et comme souvent, pour remédier à ce mal, la solution vient de l’éducation, de la formation. Au lieu de former des Florian Thauvin obsédés par le un contre un, formons les joueurs au sein du collectif. Histoire d’avoir un peu d’Antoine Griezmann.
Par Kevin Charnay