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Mais bordel, pourquoi les télés filment toujours leur directeur des sports en tribune?
Si Jean-Pierre Pernaut ne place jamais de dédicace à Nonce Paolini à la fin de son journal, les rencontres sportives sont elles l'occasion pour les réalisateurs de jeter un beau bouquet à leur hiérarchie avec des plans serrés du directeur des sports. Lumière sur un mystère franco-français.
Les potes viennent d’arriver avec l’indispensable pack de bières et des pizzas congelées à enfourner. À peine le temps de parler des tracasseries des uns, des autres ou des potes absents que c’est déjà l’heure de l’interview de sortie de vestiaires. Celle dans le tunnel avec les protagonistes principaux de chaque équipe. Les pizzas sont presque chaudes, et les culs déjà bien vissés dans le canap’… Bref, les deux équipes entrent sur la pelouse. Le match peut commencer, les premiers débats font rage. Rien ne perturbe cette première mi-temps d’un ennui sans nom. Mais un détail va retenir l’œil : cette image fugace, à l’utilité toute relative, d’un type en costard dans la tribune présidentielle. Qui est-il ? En quel honneur l’impose-t-on à la vue de centaine de milliers de personnes ? C’est un directeur des sports, pardi. Celui de la chaîne qui diffuse le match. Les hommes à la tête de ce qui passe sur votre écran pendant un peu plus de 90 minutes.
Salutation devenue manie, pas un responsable de grande chaîne française n’échappe à ces quelques secondes de mise en exergue. Claude Eymard, « M. foot » chez France Télévisions, assure néanmoins que rien n’est prémédité : « Sur les matchs dont je m’occupe, ce n’est pas réfléchi, ce n’est pas une volonté, il n’y a pas de demande de la part du directeur. C’est tout simplement le réalisateur qui, à un moment donné, fait un plan sur lui. Je pense même qu’il y a des matchs où Daniel Bilalian vient, et où on ne le cadre pas. Quand il est là, le plan n’est pas systématique. » Une attention gratuite, en somme. Le fait est qu’elle perdure depuis des années, et que les réal’ s’évertuent à filmer leur supérieur, même de manière impromptue. Inconsciente déférence ? L’intéressé n’y croit pas une seconde : « Les cahiers des charges font 200 pages, sur le nombre de caméras, de ralentis, de loupes… Plein de choses sont codifiées, mais ces plans ne dépendent que du libre choix du réalisateur » , insiste Daniel Bilalian. Le directeur des sports de France Télé, en poste depuis 2004, d’ajouter : « Dans la tribune présidentielle, on voit les présidents de club, de la Fédération et nous (les directeurs des sports). Heureusement que l’on ne nous met pas dans les virages (rires). Plus sérieusement, il n’y a pas de directive précise en ce sens (…) Il ne faut pas s’en cacher, c’est peut-être aussi un moyen de rendre hommage, sans parler de failloter, aux hommes qui se donnent du mal. Pour que nous obtenions les contrats et diffusions les évènements. Une façon de mettre en valeur, aux yeux du public, les responsables et les personnes grâce auxquelles la chaîne diffuse les matchs. »
Coucou, Franck !
Comme dans toute production audiovisuelle, le réalisateur est seul maître à bord. Ce ne sont donc pas des consignes, mais bien de la spontanéité. Jean-Jacques Amsellem, célèbre réalisateur français, confirme : « Je le faisais au temps de (Charles)Bietry, de (Michel) Denisot, d’Alexandre Bompard et donc maintenant de Cyril Linette (directeur des sports de Canal + depuis 2008). Chaque directeur des sports était montré quand il arrivait sur un événement. C’est une façon un peu élégante, un peu confraternelle de dire « On n’est pas juste assis derrière un bureau », pour montrer qu’on est actif. » D’ailleurs pour celui qui s’occupe des rencontres foot sur la chaîne cryptée, il n’y a pas matière à débat : « Parmi 500 ou 1000 commutes lors d’un match, ça ne représente que deux secondes. Il faut rester mesuré et relativiser ce cas de figure. On le fait peut-être une fois sur deux heures de retransmission, donc c’est plus anecdotique qu’autre chose. » En clair, le plan très bref du visage patronal n’est pas ce que le téléspectateur retiendra face aux crampons d’Aubameyang, au but de Zlatan, au brushing de Daniel Lauclair ou à l’épouse de Jean-Michel Aulas.
« Par exemple, les commentateurs peuvent parler des droits télé, du prochain match qui sera diffusé sur Canal, et là on peut profiter du fait que le patron des sports est là puisqu’il fait partie, quand même, de la programmation et des décisions qui nous concernent.(…) Cyril ne me demande jamais : « Tu filmes mon meilleur profil, tu ne filmes pas, tu me filmes deux, trois fois. » C’est un simple clin d’œil » , conclut Amsellem. Difficile de jeter la pierre à ces artistes de la mise en scène du foot. Qu’on se le dise, les directeurs d’antenne ne récoltent que le respect de leurs collaborateurs. Qui a dit que la télé était un monde de requins ?
Par Gaspard Manet et Pierre Girard