- Foot et coronavirus
Mais au fait, c’est quoi un bon huis clos ?
Le coronavirus a gagné la première bataille, mais pas la guerre. Plus que jamais au goût du jour, le huis clos suscite son lot de fantasmes, de craintes et d’angoisses depuis la nuit des temps. De la littérature en passant par le droit et le théâtre.
L’incident s’est déroulé dans le bunker, scène de la « Mission 1 : Alerte sous Blossac » . Scénario : « Un rapport officiel des autorités françaises révèle l’existence d’un entrepôt militaire secret destiné à stocker une nouvelle arme de destruction massive.(…)Votre équipe de démineurs est envoyée pour résoudre le problème. » Alexandre Pot s’en souvient parfaitement, il était ce jour-là devant ses écrans de retour, casque sur les oreilles, en train de suivre l’avancée d’une équipe de cinq joueurs dans son Escape Game « Huis Clos » , à Poitiers.
« Je me suis déjà retrouvé avec des joueurs qui démontaient des ampoules dans la panique, remet-il, mais ça, jamais. À la recherche d’indices, un des types nous a dégondés une armoire de 200kg attachée au mur avec des vis. Tout le placo arraché. Le pire, c’est qu’en sortant, il nous a dit« j’ai pas forcé »… » Joseph Rouletabille, du Mystère de la chambre jaune, ou Détective Conan peuvent vous le dire : les huis clos rendent fous, et pas seulement les Golgoths. Les footballeurs aussi.
Lino Ventura en arbitre…
Une certitude : sur un terrain comme en fiction, le huis clos « provoque une tension automatique » , comme l’explique l’écrivaine française Dominique Manotti, qui a publié depuis 1995 une douzaine de romans noirs, dont trois mettant en scène le commissaire Daquin. Les essentiels tiennent en peu de lignes : « En principe, au moins deux personnages qui ne peuvent s’échapper et, souvent, un cadavre quelque part. Bon, ici c’est onze contre onze, je ne l’ai jamais lu, mais ça peut se faire. » L’intéressée déconseille toutefois l’introduction d’un macchabée sur la pelouse de PSG-Dormund, car « ça détournerait l’attention du public » , mais glisse le secret de tout bon huis clos : éviter les temps de pause. « La pause est la possibilité pour le lecteur de se dire : « tout ça n’est pas crédible » et, dans le cadre d’un match de foot, les arrêts de jeu pour blessures et les fautes sont un désastre. Il faut éviter les coups francs. On fait avaler n’importe quelle situation de départ si on gère la tension. » Même un coronavirus et une grippe surprise de Mbappé, pourtant éléments de scénario aussi improbables que la tempête foudroyante des Dix Petits Nègres d’Agatha Christie ou l’Adolf du Prénom.
Puisqu’on en parle : sur les vitres géantes du manoir de l’île du Nègre comme sur celles du bureau de l’inspecteur Antoine Gallien, aka Lino Ventura devant Michel Serrault dans Garde à vue, il pleut. « La pluie contribue à l’isolement, explique Bernard Werber, auteur en 2003 du huis clos Nos amis les humains, où un homme et une femme se trouvent enfermés dans une cage par des extraterrestres. Ce serait bien qu’il pleuve sur le stade, pour la tension. » Le crime de l’Orient Express, Fenêtre sur cour, Le Prénom, Robinson Crusoé… Le huis clos, de fait – mauvaise nouvelle pour Paris – est souvent scène de drame. « L’idée c’est le confinement, la prison, l’impossibilité de fuir un cauchemar. Il doit être impossible à un esprit logique de s’en sortir, et je verrais difficilement une comédie s’y construire » , confirme l’auteur de la trilogie des Fourmis. Une version nuancée par Alexandre Pot depuis son escape game, pour qui « on peut aussi imaginer que vous avez fait une soirée, vous vous réveillez complètement arrachés et quelqu’un a perdu la clé. Ce serait marrant. Après, j’ai vu des individualités avoir un coup de génie et résoudre une énigme, mais qui ont planté leur équipe en prenant le lead et donnant de mauvaises instructions. Le plus important reste la communication, bien plus que les qualités physiques. »
… et Balkany comme témoin
Quid du public ? C’est le propre du huis clos : il n’y en a pas. Un élément qui peut, d’après Emmanuel Pierrat, avocat au Barreau de Paris, modifier le verdict d’un match. « Prenez le procès Balkany : clairement, il n’aurait pas du tout eu la même saveur et éventuellement le résultat que l’on connaît s’il n’y avait pas eu de public. Balkany a fait son show rapporté par la presse parce qu’il s’adressait à ses électeurs au-delà du public physiquement présent dans la salle ! Pareil pour l’affaire Lelandais, qui accable de jour en jour le personnage. Ce sont des spectacles improvisés. Et dans les deux cas, on peut dire que le regard du public compte pour beaucoup. Sincèrement, je pense que ces procès ne donnent pas le même résultat qu’un procès classique. En ce sens, je comprends totalement les supporters qui disent que sans eux, le résultat d’un match peut être faussé. »
Les matchs allers de Coupe d’Europe ne pourraient se satisfaire d’un retour ennuyeux, tout comme un bon procès s’étire en longueur à la manière de celui du petit Grégory, où « le nombre de retournements périlleux concernant Murielle Bolle, ça peut être vu comme une remontada » , glisse Pierrat. En somme, pour qu’un match à huis clos fonctionne au mieux, son scénario doit être complexe, tendu, si possible se jouer sous la pluie, si possible sur une île, si possible avec un meurtre. À raison d’environ 80 matchs concernés à l’échelle française, sans compter les coupes nationales, européennes, et les pays étrangers, qui peuvent faire grimper la masse potentielle à 400, voilà qui va donner une sale météo pour les mois à venir. Et surtout, beaucoup de boulot pour Rouletabille.
Par Chad Akoum et Théo Denmat
Tous propos recueillis par CA et TD