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Mai 1919 : quand le Chili galérait vraiment
C'est un peu la crise parce que le double tenant du titre continental est mal embarqué pour la Russie. Mais il fut un temps où ça allait vraiment mal pour le Chili. Très mal.
Autant le préciser d’entrée : les problèmes actuels du Chili – 5e au classement des éliminatoires du Mondial 2018 à cinq points de la Seleção, première, avec un nouveau sélectionneur légèrement contesté, dépassé et des joueurs moins motivés – sont des problèmes de riche comparés à ceux de 1919. Un mois de mai d’hiver sud-américain durant lequel la Roja a dû se rendre au Brésil pour la Copa América. Une époque où on jouait encore avec un short jusqu’aux genoux, une ceinture pour le tenir et une chemise à manches courtes. Une époque où l’avion coûtait un rein et où l’équipe, majoritairement composée d’agriculteurs et de menuisiers, devait se payer et donc logiquement penser ses déplacements un an à l’avance. Une époque où l’on pouvait mourir, littéralement, sur le terrain. Une époque où le football était encore amateur, en somme.
Mauvaise bouffe et manque de sommeil
Au moment de la Première Guerre mondiale, il faut également savoir que la Copa América avait un rythme régulier et se jouait tous les ans, pas comme aujourd’hui, où les temps d’attente entre chaque tournoi n’ont absolument aucune logique mathématique. Tout ça pour dire que le tournoi devait avoir lieu en 1918, mais qu’une solide épidémie de grippe a contraint les organisateurs à reporter la compétition à l’année suivante. Ce qui nous amène donc à mai 1919 et à un événement auquel seulement quatre équipes sont invitées : l’Argentine, l’Uruguay, le Brésil et donc le Chili.
Sauf que les joueurs sélectionnés sont toujours aussi fauchés et qu’ils ne peuvent toujours pas se payer l’avion. Ils se rabattent donc sur un mauvais bus qui met plusieurs jours pour se rendre de Santiago jusqu’à Buenos Aires (1400 kilomètres tout de même) avec de la mauvaise bouffe et des sièges tout aussi sommaires. Une fois arrivés dans la capitale argentine, ils prennent un bateau pour se rendre à Rio, ce qui rajoute encore de la fatigue au manque de sommeil. Et sans aucune surprise, les Chiliens débarquent à Copacabana dans le coaltar. Vraiment.
Pelé avant Pelé
Sans aucune surprise non plus, la Roja prend rouste sur rouste durant le tournoi. Au stade Laranjeiras, là où tous les matchs ont lieu, ils encaissent un premier 6-0 contre le Brésil, avec un triplé d’Arthur Friedenreich, un homme qui aurait, selon la légende, marqué plus de buts que Pelé dans sa carrière. D’où son surnom « Pelé avant Pelé » .
@OldFootball11 This match was played at the beautiful Estádio das Laranjeiras that hosted the Copa América in 1919. pic.twitter.com/LLjS5Tso2g
— Viejos Estadios (@ViejosEstadios) 3 novembre 2016
Pour leur deuxième partie, les choses vont un peu mieux, mais le tableau d’affichage fait toujours aussi mal aux yeux, 2-0 pour l’Uruguay. Le Chili ne gagnera pas la Copa América, c’est désormais certain. Il jouera la dernière place contre l’Argentine lors du dernier match, mais un nouvel incident va finir de lui plomber le moral. Après une sortie anodine sur un de ses attaquants, Roberto Chery, le gardien uruguayen à béret se bousille l’hernie et mourra quelques jours plus tard à l’hôpital. La Roja, déjà mal en point jusque-là, va complètement s’effondrer lors de sa dernière confrontation. Fessée 4-1 contre l’Albiceleste. La finale, elle, sera finalement remportée par le Brésil au bout d’une prolongation à rallonge contre l’Uruguay, grâce à leur premier Pelé.
Voyage à dos de mule
La gueule de bois chilienne aurait pu s’arrêter là. Mais non. Parce que les cuites et les hivers sud-américains durent plus longtemps qu’ailleurs. À Mendoza, les joueurs se retrouvent coincés parce que le train n’est pas en état de traverser le nord du pays, frappé par une violente tempête de neige. Et toujours aussi fauchés, ils choisissent cette fois-ci la solution la plus économique : la mule. Un voyage de quarante jours, forcément bien plus dangereux et bien plus compliqué qu’à l’aller. Mais finalement, tout le monde arrive à destination, sain et sauf, sans aucun incident majeur à déplorer. Juste une fatigue extrême. Heureusement pour eux, la prochaine édition, celle de 1920, a lieu à Viña del Mar, au Chili. Comme quoi, Arturo Vidal, Claudio Bravo et Alexis Sánchez pourront toujours se rassurer en se disant qu’il y a toujours plus profond que le fond.
Par Ugo Bocchi