ACTU MERCATO
Mahrez, enfin
68 millions d'euros dans le compte en banque de Leicester, et voilà Riyad Mahrez devenu l'un des joueurs africains les plus chers de l'histoire. Manchester City récupère là un joueur que le club draguait à grands battements de cils depuis bientôt deux ans. Et qui, promis, répond à une logique sportive.
Le Beacon Park est un endroit idéal pour promener son chien. Au cœur de ses 35 hectares de luxuriants jardins, l’endroit est équipé d’un golf, de plusieurs aires de jeux avec frisbees de location, de divers terrains de tennis et de football, d’un bowling, d’un petit étang pour faire du pédalo, et même de chemins en terre pour les ânes qui servent de montures aux enfants. Beacon, donc, situé à quelques minutes de marche du centre-ville de Lichfield en Angleterre, est en toute logique l’endroit de balade favori du labrador de Craig Shakespeare, un certain Alfie.
Onze ans, le vieux pépère. Un âge tout à fait respectable pour une si grosse bête. Fut une époque, apercevoir le duo se promener au milieu du parc était chose commune, bien que synonyme de trouble périodique pour le club de Leicester. Après la prise de fonction de l’Anglais en tant que coach principal des Foxes, en février 2017, il avait en effet pris l’habitude de louvoyer au cœur de la verdure pendant ses intenses périodes de réflexion.
Un casse-tête silencieux
La plupart d’entre elles, il faut le dire, concernaient Riyad Mahrez. Un type convoité à l’époque par à peu près la moitié de la Premier League – Arsenal et Manchester City en tête de liste – après une saison dantesque à 17 buts et 11 passes décisives. Le meilleur joueur de l’année passée veut se barrer, et, profitant d’une convocation en équipe nationale, est autorisé par la Fédération algérienne à louper un match de qualifications au Mondial 2018 pour aller discuter modalités. « On avait compris qu’il voulait partir, il nous l’avait formulé clairement. Mais les propriétaires demandaient un prix réaliste » , expliquait Shakespeare il y a peu. À l’époque, c’est déjà 70 millions minimum. Alors Mahrez retourne à Leicester la queue entre les jambes. « Il est revenu à l’entraînement après la fermeture du marché… et nous l’avons appelé Tom Hanks, comme dans le film Le Terminal. » Dans la bobine de Spielberg, l’acteur américain occupe en effet le rôle d’un apatride forcé de vivre dans l’aéroport JFK de New-York pendant 18 ans.
Le surnom lui colle bien, au Riyad. Car voilà près de deux ans que ce drôle de voyageur est cloîtré entre les murs d’un club qu’il souhaite quitter sans que l’envie ne soit visiblement réciproque. Après être passé à deux doigts de conclure un deal avec les Gunners en août 2016, un nouveau train était passé devant ses yeux en décembre 2017 alors que les Sky Blues offraient 65 millions et un joueur en échange pour l’attirer à City. La goutte de trop à l’origine d’une grève d’entraînement de deux semaines qui lui vaudra 272 000 euros d’amende. Sans oublier une remontrance de Guardiola qui ne goûte pas la bouderie, et ces mots de Jamie Redknapp dans une chronique pour le Daily Mail : « Il risque de ruiner sa réputation et son héritage à Leicester. Aussi difficile que cela puisse être, il doit rester un joueur d’équipe, continuer à s’entraîner dur et tout donner pour la cause. S’il continue ses performances, les grands clubs reviendront à la charge cet été. » Bingo.
Logique sportive… Si, si
C’est donc tombé un mardi 10 juillet, au coup de sifflet final d’un France-Belgique que le bonhomme, finalement ameuté pour 67,8 millions, a probablement suivi de l’Etihad Campus. « Manchester City serait un bon club pour n’importe qui, mais c’est du passé, confiait-il pourtant au retour de son épisode gréviste. Je suis parti quelques jours, car j’avais besoin de réfléchir. C’est derrière moi. Se remettre à en parler, c’est revenir au mercato, et moi, j’essaye d’aller de l’avant. » Mahrez voulait partir, on ne l’a pas laissé le faire, alors qu’il aurait légitimement pu viser mieux que la huitième place des Foxes en championnat cette saison. Toujours correct, ou presque. Pas un scandale, ou presque. Alors que Ranieri, Shakespeare puis Puel lui ont successivement fermé la porte au nez, et que le gamin continuait d’aligner les bonnes performances au cœur d’un collectif dépouillé de ceux qui avaient fait son sel. Douze buts et onze assists cette saison en PL, quand même, après un exercice 2016-2017 plus timoré (six buts, quatre passes dé).
Que l’on ne s’y trompe pas : ce transfert, certes cher – mais qu’est-ce que signifie cher aujourd’hui dans le football ? –, répond à une logique sportive. Guardiola voulait « doubler les postes » comme on dit, et manquait d’un quatrième joueur de couloir aux côté de Sané, Silva et Sterling (suppléés à l’occasion cette saison par Brahim Diaz et Gabriel Jésus). Surtout, David Silva commence à peser ses 32 ans et pourrait être remplacé par son homonyme au cœur du jeu. Et puis, si on peut affaiblir la concurrence… Alors voilà sous les caméras de la chaîne personnelle du club la première rencontre entre le poulain et son nouveau mentor, quelques minutes après une photo officielle claquée avec maman Mahrez et des déclarations élogieuses : « Les voir évoluer, même de loin, était un plaisir. » Les regards s’évitent, chacun est penché sur ses chaussures comme deux amoureux sur le point de s’embrasser, et puis Pep brise la glace : « It was a long trip, uh ? »
Par Théo Denmat
Propos de Craig Shakespeare tirés du Telegraph