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Mahamé Siby : « Il y a dix mois, je ne pensais plus au foot »
Le 23 juillet dernier, Mahamé Siby, 26 ans, décollait d’un gazon de Malmö pour disputer un duel aérien anodin au milieu d’un match d’Allsvenskan face à l’IK Sirius. Puis le natif de Bobigny est retombé sur le sol et a vu le début de son aventure suédoise changer de couleur. Dix mois plus tard, le "Général" a fait son retour dimanche. Un miracle.
Comment vas-tu ?
Bien, très bien même. Cela fait maintenant dix mois que je me suis fracturé la hanche, et honnêtement, la tête va bien, le corps va mieux. Je suis content.
Que gardes-tu, dix mois plus tard, de ce match contre Sirius ?
Déjà, que quasiment tous les spécialistes que j’ai vus pensaient que je ne pourrais plus rejouer au foot. Leur premier objectif était de tout faire pour que je ne sois pas handicapé. Après le match contre Sirius, je suis resté paralysé du côté gauche pendant dix jours et pour être franc, il y a dix mois, je ne pensais plus au football. Grâce à Dieu, à de la patience et à un miracle de la nature, j’ai finalement pu petit à petit retrouver mon corps, mais les premiers mois ont été très, très, très durs.
Tu venais d’arriver à Malmö, ce n’était que ton troisième match…
Et tout s’arrête d’un coup. Tu arrives dans un nouveau pays, dans un club qui a investi pas mal d’argent sur toi et au milieu d’une saison, donc tu sautes les vacances et la préparation, tu dois vite te mettre dans le bain pour t’intégrer, puis après seulement deux bons matchs et le bout d’un troisième… Mentalement, il faut l’encaisser, et aujourd’hui encore, j’ai ce sentiment d’inachevé. Je pense que les supporters de Malmö l’ont aussi. Ils veulent me revoir vite sur un terrain, car ils restent forcément sur leur faim à mon sujet.
Au-delà du sentiment d’inachevé, il y a aussi des images à digérer, non ?
Le moment de la blessure a vraiment été horrible, terrible. Je ne me souviens pas de tout ce qu’il s’est passé. Certaines images se sont progressivement assemblées, mais au départ, je n’avais que le souvenir de la douleur. Du moment en lui-même, je n’avais que des flashs. Maintenant, le film est un tout petit peu plus net : je me revois sauter, être au sol, parler avec un mec, voilà. C’est du saccadé. Ça n’a pas été évident à gérer, mais ma famille et mes potes sont vite venus me voir.
Comment t’es-tu retrouvé ici, en Suède ?
Je suis un mec ambitieux et l’été dernier, j’ai eu plusieurs options, dont celle de rester à Strasbourg. Le président et le coach voulaient me garder, mais je voulais un statut un peu plus important que celui qu’ils me proposaient, même si c’était un statut plus qu’honorable : joueur de rotation important, qui aurait du temps de jeu en Ligue 1… Moi, j’ai un rêve de jeune, qui est de jouer la Ligue des champions, ce que Malmö, qui est en plus un club historique, m’a proposé, donc quand j’ai eu cette possibilité, je n’ai pas hésité longtemps.
Qu’est-ce que tu connaissais de la ville ?
Quand on pense à Malmö, on pense à Zlatan, mais quand on arrive, on se rend vite compte que ce n’est pas le mec le plus aimé de la ville. (Rires.) Il est même détesté. Sinon, je savais juste que Malmö était un club historique, ambitieux, qui joue l’Europe tous les ans, et c’est ce que je recherchais. J’ai aussi discuté avec Ismael Diawara, qui joue ici depuis l’été 2021 et que j’ai connu quand j’ai été appelé avec le Mali il y a deux ans. La vie, c’est aussi des challenges. C’était soit rester dans ma zone de confort en France, soit faire ce saut. J’ai décidé de le faire.
Ceux qui te connaissent ont compris ton choix ?
Tous les coachs que j’ai eus dans ma carrière et que j’ai eus au téléphone m’ont dit que j’ai fait un super choix. Tous : Thierry Laurey, Julien Stéphan, Olivier Guégan… Même les présidents Ferracci et Keller m’ont poussé à foncer. Ceux qui sont un peu plus déconnectés du monde du foot se sont un peu plus questionnés, mais quand je leur ai expliqué le pourquoi du comment, ils ont aussi compris.
Pour bien t’imprégner, tu es allé voir des matchs avec les supporters. C’était comment ?
Incroyable. J’ai trop envie de le refaire. Depuis que je me suis blessé, j’ai vu pas mal de matchs en loge présidentielle, mais j’ai du mal à supporter mon équipe tout en restant calme. J’étais là, je sautais et à un moment donné, je me suis dit que je n’étais pas à ma place et j’ai eu envie d’aller avec les cinglés. Et j’y suis allé, en octobre, face à Värnamo. Il y a eu 0-0, mais c’était fou. Il n’y avait aucun calcul dans ma démarche. Je l’ai fait parce que j’avais vraiment envie de le faire. Je suis arrivé tranquillement, puis les supporters m’ont reconnu et m’ont mis à l’avant de la tribune, avec le capo. Dingue.
🗣 Siby, Siby, Siby! 🎶 pic.twitter.com/i6xajMQp0A
— Malmö FF (@Malmo_FF) October 12, 2022
Malmö est l’étape la plus haute de ta carrière, mais tu n’es pas arrivé tout de suite dans le monde pro. Est-ce qu’il y a un moment où tu as cessé d’avoir en tête ce type de club, ce rêve de Ligue des champions dont tu parlais tout à l’heure ?
Je suis quelqu’un qui ne confond pas ses rêves et ses objectifs. Parfois, quand tu es jeune, tu peux avoir le rêve d’être astronaute, puis tu grandis et tu te rends compte que ça peut être compliqué. Moi, quand j’étais petit, mon rêve était d’être footballeur. Je me disais que ça pouvait être accessible avec la potion magique dont tout le monde te parle : le travail, la passion, la patience, tout ça… Sauf que je n’ai jamais eu la chance d’entrer dans un centre de formation et avec le recul, je pense que ça a été une opportunité, car en me formant au bitume, j’ai développé une autre mentalité. Mon jeu en est un reflet, je pense : je suis un bosseur, un acharné, un type qui ne lâche pas le moindre centimètre… J’ai la dalle, quoi. Maintenant, est-ce que j’ai douté ? Quand, à 19-20 ans, tu vois des jeunes de ton âge dans des clubs pros et que toi, tu joues dans un club amateur, que tu es dans la street, à Bobigny, forcément, tu t’interroges. Ok, tu joues à un très bon niveau, parce que tu es en N2 ou N3, mais…
Mais à ce moment-là, tu penses avoir le niveau pour passer une tête au-dessus ?
Ça, je m’en suis rendu compte quand on a joué contre des réserves de clubs pros, que des mecs avaient mon âge et que j’étais performant. Là, je me suis dit que j’allais y arriver, et ça s’est accéléré jusqu’à ce que je signe à Valenciennes à l’été 2018.
Est-ce que tu as compris pourquoi on ne t’avait pas repéré avant ?
Quand j’étais plus jeune, j’étais très petit et très frêle, mais quand je dis très petit et très frêle, c’est vraiment très petit et très frêle. (Rires.) C’est difficile à croire quand on me voit aujourd’hui, mais j’ai longtemps été le plus petit de mes équipes, le plus maigre… J’étais très bon techniquement, mais physiquement, il y avait ce hic, et ça m’a fait défaut alors que pas mal de clubs s’intéressaient à moi. Je crois que j’ai fait des tests dans tous les clubs : le PSG, Rennes, Auxerre… À chaque fois, c’était : « Très bon, mais trop lent, trop frêle… »
Ça ne t’a pas gonflé ?
Je ne me suis surtout pas menti à moi-même. Je me suis dit que si j’avais d’autres qualités fortes, on m’aurait pris. C’est ce que je me suis répété : si mes qualités fortes n’arrivent pas à masquer mes défauts, c’est que mes qualités fortes ne sont pas si fortes, donc j’ai travaillé deux fois plus et mon corps a fini par se développer. Je suis devenu un athlète et j’ai ensuite pu tout casser. Je pense d’ailleurs que si j’avais fait un centre de formation, je n’aurais pas percé.
Pourquoi ?
Dans ma génération 1996, à Bobigny, on était six top joueurs. Sur les six, cinq ont été en centre de formation, j’étais le sixième. Aujourd’hui, ils jouent tous en N2 ou en N3 et je suis le seul qui joue en pro. Il y a plein de joueurs qui ne sont pas passés par un centre et qui n’ont rien à envier à ceux qui sont passés par un centre. Je suis même très heureux de ce parcours.
Parce qu’il t’a permis d’avoir une adolescence « normale » ?
De ouf. Je ne regrette rien du tout. À 18-19 ans, j’ai pu côtoyer aussi bien des gars du quartier que des gars du même âge qui étaient dans le monde pro. Quand ils rentraient, ils disaient toujours : « Ah, je suis content de rentrer… » Toi, tu es en face et tu réponds : « Mais tu ne sais pas à quel point j’aimerais être à ta place ! » Comme je dis toujours, eux sont des fleurs qui ont été arrosées tous les jours, mais qui ont fané plus vite que moi. Moi, je suis un arbre qui a mis du temps à pousser, à qui on a donné une goutte d’eau par mois, mais je suis toujours là. Ce n’est que mon avis : parfois, tu arrives dans un centre de préformation à 12 ans, et à 16 ans, tu as donc déjà passé quatre années où on t’a bourré la tête du lundi au vendredi. Moi, on ne m’a pas bourré le crâne, et je crois que c’est la plus belle chose qui me soit arrivée. J’ai pu vivre, profiter, faire mes erreurs, apprendre… Je me mets dans la peau d’un jeune qui est dans un centre de formation aujourd’hui, qui a 15 ans, qui voit sur les réseaux sociaux des vidéos de ses potes du quartier qui s’amusent, ça peut l’affecter psychologiquement. En définitive, je pense que le centre est fait pour un certain type de personnes, qui ont besoin d’un cadre, et que d’autres joueurs peuvent en ressortir brisés.
Tu avais quand même une alternative en cas d’échec ?
Au niveau des études, j’ai été au bout. J’ai fait un bac pro optique. Je voulais faire un truc utile et un bon métier. Opticien, c’était parfait. J’ai été en alternance pendant deux ans, j’en garde des bons souvenirs et j’aurais pu avoir cette vie, mais à 22 ans, il y a eu Valenciennes.
Comment as-tu mesuré le gap entre Bobigny et Valenciennes en matière de niveau ?
Je suis d’abord passé par la réserve et la première semaine, je me suis dit : « Ok, les mecs sont vraiment forts. » Ils étaient plus techniques, meilleurs tactiquement, ça m’a bluffé. Heureusement pour moi, au bout de deux semaines, je me suis mis au niveau, en étant bête et discipliné, et ça s’est réglé, notamment au niveau tactique. Et j’ai aussi pris facilement 15 kilos. (Rires.)
Tu as explosé les tests physiques, non ?
Oui (rires), mais j’étais aussi beaucoup plus insouciant. Aujourd’hui, je vais davantage me gérer. Peut-être aussi que c’est parce que je suis en train de me faner à mon tour, mais honnêtement, j’ai encore la dalle, même si ça a été très vite et qu’en quatre ans, je suis passé de Bobigny à la Ligue des champions avec Malmö. Des fois, je me pose et j’y pense. De base, j’étais le gars du quartier qui voyait ses potes à la télé ou sur son téléphone. Aujourd’hui, ces mêmes potes me regardent jouer moi. On a échangé les rôles. Ils me demandent parfois des places, tu imagines la bascule ? Surtout, je sais comment c’est noir en bas. Je ne veux plus y retourner de ma vie.
Comment ça ?
On me dit souvent que j’ai plus faim que les autres, mais quand tu es parti dans un centre de préformation à 12 ans, tu ne sais pas vraiment ce qu’est la rue. Tu en entends certains dire qu’ils viennent de telle cité, mais ils n’y sont même pas 30 jours dans l’année. Ça m’a exaspéré quand je suis arrivé à Valenciennes. Je voyais des joueurs faire les mecs de cité à fond. Je viens des cités très sombres de Bobigny et je peux te dire que l’étiquette du banlieusard, je ne la veux pas. À la base, un banlieusard, c’est un mec qui n’a pas réussi à s’en sortir et qui n’a pas d’autre choix que de faire ce qu’il fait. Toi, t’as une chance en or de t’en sortir et tu veux faire le mec. Mais selon moi, tu es complètement à l’envers. Je déteste les footballeurs qui font les mecs de cité, les bandits, les gros bras. Je suis fier d’où je viens, mais je suis aussi très fier d’en être sorti et d’avoir réussi.
Il y a autre chose qui t’a marqué en arrivant dans les vestiaires pros ?
Oui, les discussions. (Rires.) Parfois, ça parlait d’appartement, d’investissements… Mon salaire avait évolué, mais j’étais en décalage. Mes potes m’ont souvent demandé comment j’avais réussi à garder ma ligne de conduite, mais encore une fois, je pense que c’est lié au fait que je sais à quel point c’est noir quand on est en bas, à quel point il est possible de tout perdre en un claquement de doigts. C’est facile de péter les plombs. Comme je dis souvent, il n’y a qu’un footballeur qui peut comprendre un footballeur, qu’un handicapé qui peut comprendre un handicapé, donc je peux te dire que les gars de mon quartier savent à quel point il a fallu que je m’arrache pour être là où je suis aujourd’hui. Ils savent d’où je viens. Il faut aussi mesurer à chaque fois l’étape. Quand je pars de Bobigny, tout le monde me connaît, mais quand j’arrive à Valenciennes, je ne suis personne. Même chose quand je suis arrivé à Strasbourg : je n’étais qu’un petit joueur de Ligue 2. À chaque fois, tu dois prouver. En arrivant à Malmö, c’est la première fois que j’ai eu un statut un peu affirmé : celui de joueur qui a fait quelques matchs de Ligue 1, recruté un peu cher…
Et comment tu l’as géré ?
Très bien, même s’il y a eu cette blessure et que maintenant, je suis impatient de rejouer avec ce grand buteur (Isaac Kiese Thelin vient s’asseoir à côté de lui, NDLR). Ce n’est pas parce que tu n’es pas sur le terrain que tu es mort. Il faut vivre, avancer, ne pas s’apitoyer sur sa blessure, mettre son énergie au service du groupe.
Tu as pu découvrir un peu les environs ?
Oui, j’ai été plusieurs fois à Copenhague, qui est à 20 minutes en train. J’ai aussi découvert Malmö, même si ici, c’est un peu comme si j’étais un joueur du PSG à Paris : les gens te regardent, demandent des photos, des autographes… Moi, je cherche la discrétion, même si j’aime bien la proximité qu’il y a avec les fans. Ça me fait un peu penser à Strasbourg. J’ai hâte de rejouer devant eux. C’est pour bientôt.
Par Maxime Brigand, à Malmö
Crédit photo : Malmö FF.