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Magrelli : « Le foot italien est une maison hantée »
Dans la patrie de Giacomo Leopardi et de Roberto Baggio, un poète peut difficilement se contenter d’aligner les alexandrins et les prix entre confrères universitaires pour impressionner son monde. Valerio Magrelli a donc livré son interprétation élégiaque du calcio, via un petit ouvrage de 90 textes, à lire en… 90 minutes.
Le fil conducteur de votre livre est très intime : c’est vous, votre père, votre fils, et le football… Oui, ce triangle entre nous trois a été la toute première idée de mon livre. Cela m’est venu en regardant mon gamin. Je le voyais affalé sur le sofa, devant sa console vidéo, pendant des heures. Il passait son temps à gueuler : « J’ai gagné ! » Moi, je lui demandais: « Tu es qui ? Un joueur ? Ou l’équipe entière ? » Et lui me répondait : « Je suis tous, même les adversaires. » Là, j’ai compris que le rapport au foot avait changé. Encore que cela ne veut pas dire que les enfants ne s’identifient plus aux grands joueurs. Restons sur l’exemple de mon fils. Il est pour l’Inter, alors que je ne l’ai pas élevé dans la foi de l’Inter. Pourquoi alors ? Parce qu’il est né en 1989. Selon moi, la génération 89 ne constitue pas, contrairement à ce que l’on pourrait croire, la génération du Mur de Berlin : c’est plutôt la génération Ronaldo. Ces enfants ont commencé à s’intéresser au foot vers 1997, au moment où Ronaldo est arrivé à l’Inter. Et aujourd’hui, ils sont pour l’Inter. Ronaldo représente le joueur de flûte d’une génération entière.
Vous avez grandi dans les années 60. Quel a été le joueur de flûte de votre génération ? Je suis un mauvais exemple, parce que je suis pour la Roma et qu’enfant, j’adorais Mario Corso, de l’Inter. Lui, personne ne l’a jamais vu courir. Il ne bougeait pas d’un pouce. Il restait là, les bras ballants, mais avec une classe à l’état pur. En fait, je suis comme tout le monde : j’aime les personnalités controversées, comme Ballotelli ou Cassano aujourd’hui. Ces personnages ont toujours été les favoris des supporters. C’est fascinant à observer : ces types sont incapables d’entrer dans les canons du foot professionnel, ils posent des problèmes à leur équipe, à leurs entraîneurs, à leurs coéquipiers. Et pourtant ce sont nos préférés. C’est là qu’on voit la dimension littéraire du football : on a besoin de héros tragiques.
En parlant de tragique, ça va pas très fort, le football italien, si? On dirait une maison hantée. L’autre jour, le championnat a été suspendu parce qu’un joueur de deuxième division est mort sur le terrain (Piermario Morosini de Livourne, d’un malaise cardiaque, ndlr). Cela m’a fait directement penser à ce qu’avait dit Zdeněk Zeman, il y a maintenant plus de dix ans, au sujet des médicaments « inutiles » qu’on trouvait dans les vestiaires. Quelques jours avant, on apprenait des affaires de corruption et de matchs achetés. Etc, etc. Bien sûr, la présence de Berlusconi dans l’univers du foot a été néfaste. C’est notre roi Midas en négatif : tout ce qu’il touche devient maudit. Mais je crois que le calcio était déjà prêt à se corrompre avant que Berlusconi n’arrive, notamment dans les divisions inférieures, où les liens entre les différents protagonistes sont plus étroits. Ce qui nous manque en réalité, c’est un grand écrivain pour témoigner de tout cela : il faudrait faire un Gomorra du calcio.
Lire: Valerio Magrelli, Adieu au foot : quatre-vingt-dix récits de une minute, Actes sud.
Propos recueillis par Nicolas Kssis-Martov