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Magico Gonzalez, dans sa veste de costard
Il y a deux semaines, le Salvadorien Magico Gonzalez est entré au Salon de la Fama, le Hall of Fame du football, situé à Pachuca, au Mexique. Admiré par Maradona lui-même, l'ex-attaquant au toucher de balle omniscient peut être considéré comme l'un des plus grand gâchis de l'histoire du football. Sauf que Magico ne pouvait sans doute vivre qu'en faisant ce que bon lui semble. Encore aujourd'hui.
Un louable effort. En avril dernier, quand Magico Gonzalez apprend qu’il est désigné aux côtés de Franco Baresi, George Weah, Paolo Maldini, et Mia Hamm, pour entrer au Salon de la Fama, le Salvadorien s’est inquiété : « S’il faut porter un costard, c’est un problème, car je n’en ai pas. » Près de six mois plus tard, Magico a manifestement enrichi sa garde-robe : c’est avec un blaser sur les épaules qu’il fait face à une salle comble, à Pachuca, ce mardi du début du mois de novembre. Le Salvadorien, toujours svelte, mais dont les cheveux mi-longs grisés trahissent les 55 ans, s’est toutefois dispensé du port de la cravate, arborée par ses camarades masculins. Il semble aussi avoir considéré qu’un jean propre ferait l’affaire comme pantalon. Davantage ne pouvait être exigé d’un homme si rétif aux normes et autres contraintes. Magico aime se sentir à l’aise. Libre.
Pour ceux qui ne connaissent pas le maestro centro-américain, il faut rappeler qu’il était admiré par Maradona, lui-même. Le coup de foudre d’El Pibe pour les pieds de Magico l’avait même conduit à convaincre César Luis Menotti de l’essayer avec le Barça lors d’une tournée américaine, en 1983. Le Salvadorien jouait alors à Cadix. Le club andalou l’avait recruté après son excellent Mondial 82, où le Salvador avait reçu la déculottée la plus large de l’histoire de l’épreuve (10-1, face à la Hongrie), mais où la technique insensée de son attaquant vedette n’était pas passée inaperçue. « Quand on voyait les crochets qu’il mettait aux Espagnols, on se disait vraiment qu’il était unique, déclare Maradona, on voulait l’imiter, on disait : « Putain t’as vu le but de Magico ? » Alors on tentait les mêmes dribbles et on se cassait tous la gueule. » Lors de sa tournée américaine avec le Barça, le Salvadorien offre un condensé de sa carrière : levers trop tardifs, magie sur le terrain, et nuits câlines. Aux États-Unis, Magico se pointe en solo. Trop occupé avec une charmante jeune femme andalouse, l’attaquant manque l’avion réservé par les Blaugranas. Sur le terrain, pas de retard à l’allumage. Lors de son premier amical, face à Fluminense, Magico plante un doublé. Facile. L’air de rien. Le lendemain matin, l’alarme incendie résonne dans l’hôtel. L’insouciant Salvadorien, qui récupère dans les bras d’une prostituée, est le seul à ne pas l’entendre. La tournée américaine de Magico ne connaîtra pas d’autre date. Le Barça le renvoie en Andalousie.
Magico Gonzalez face au Barça, et son but maradonien
Le CV de Pierre-Yves André
À Pachuca, Magico Gonzalez s’est évidemment pointé en retard. L’âge ne l’a pas rendu ponctuel, ou du genre à considérer raisonnable de se rendre à l’aéroport trois heures en avance pour un vol international. Quand il évoluait à Cadix (1982 à 84, et 1986 à 91), des employés du club étaient chargés de se rendre à son domicile pour réveiller le noctambule. Le grand écumeur de discothèques ne sortait pas de son lit pour autant. Les trop nombreuses séances buissonnières du Salvadorien finiront d’ailleurs par conduire les dirigeants du FC Cadix à payer leur star au match joué. Ce traitement spécial lui sera appliqué lors de sa seconde ère andalouse, après un passage fantomatique au Real Valladolid. Tout au long de sa carrière, Magico, en dilettante assumé, n’a cessé de se reposer sur son talent. Cela suffisait bien souvent à lui assurer une place dans l’équipe type. Aujourd’hui, cela lui ouvre les portes du Salon de la Fama, où il côtoie Pelé, Maradona, ou Di Stefano, malgré un CV pas franchement plus reluisant que celui de Pierre-Yves André.
Attendu dès samedi à Pachuca, le Salvadorien apparaît finalement le lundi soir, à la veille de son entrée au sein du Panthéon du football. Qu’il soit là est déjà une victoire. Les organisateurs le savent. Alors, Magico peut bien omettre de donner une conférence de presse, à l’inverse de Weah, Baresi, et Hamm (Maldini n’était pas présent), ou d’avoir une cravate… Au moment de la cérémonie, troisième du genre pour une institution créée en 2011, Magico se laisse enfin entrevoir. Sur l’estrade, où sont alignés les honorés dans de larges sièges blancs, le Salvadorien ne tient pas en place. Il profite de chaque pause publicitaire pour filer derrière le rideau. Vient le moment de recevoir sa récompense et de devenir « immortel » , selon le pompeux vocabulaire du Salon de la Fama. Magico doit s’adresser aux 1 500 présents. Une prise de parole qui en dira davantage sur le personnage que les interviews qu’il n’a pas données. Affleure alors un homme à la sensibilité extrême, fragile, et au vocabulaire d’esthète, une sorte de Christophe qui aurait quitté ses santiags pour enfiler des crampons.
« J’aime toujours la nuit. Le jour n’est pas le même sans elle »
À suivre, le discours de Magico, dans sa quasi-intégralité : « C’est difficile de dire quoi que ce soit, pas même quelque chose qui en vaille la peine, qui a un sens, j’ai un trac fou… Merci pour vos applaudissements, ça me donne confiance, me motive, vous êtes un public fin et exquis. À la demande de mon peuple, de mon pays, je suis venu à Pachuca, même si je voulais aussi être ici. C’est un plaisir… Je voulais parler le moins possible, mais c’est difficile car je suis trop nerveux. C’est trop grand pour moi ici, d’un trop grand standing… Tant de gens exquis du monde du football en face de moi, c’est trop pour moi. Merci beaucoup à Pachuca et à la FIFA pour faire du football quelque chose de si exquis et incomparable pour pouvoir l’expliquer. Surtout, merci à Dieu. On m’a trop bien accueilli ici, je retourne vers mon pays en étant heureux de lui avoir procuré une grande satisfaction. Merci beaucoup. » Applaudissements nourris…
Malgré les apparences, Magico Gonzalez a peut-être changé. Le lendemain de la cérémonie, on l’aperçoit en survet’, à 9h du mat’, à la sortie de l’hôtel. Il part se faire un petit jogging. Finies les nuits à écumer les discothèques qui ont fait sa légende à Cadix, les filles d’un soir, les verres de trop ? On aimerait le savoir, mais il repousse toujours l’interview à « plus tard » , « quand on sera tranquille » . Les sollicitations, Magico ne les rejette pas avec l’arrogance d’une star, elles semblent plutôt le perturber, comme si elles l’arrachaient à la dimension si particulière dans laquelle il flotte. Le surlendemain de son entrée au Salon de la Fama, il finit tout de même par donner sa vérité à une radio espagnole : « J’aime toujours la nuit. Le jour n’est pas le même sans elle. » Une phrase qu’aurait pu signer l’auteur des Mots Bleus.
Maillot du Salvador vintage
Aujourd’hui, Magico Gonzalez travaille comme adjoint de la sélection U20 du Salvador, mais continue de chérir l’évasion. Le lendemain de la cérémonie, l’ex-attaquant du FC Cadix devait se rendre au stade Azteca pour assister au barrage aller du Mexique face à la Nouvelle-Zélande. Un court voyage (deux heures) en compagnie de « gens fins et exquis » : Weah, Baresi, et leurs proches. Trois heures avant le coup d’envoi, la camionnette qui doit emmener tout ce beau monde voir El Tri stationne devant l’hôtel. Maillot du Salvador vintage sur le torse, couvert par sa veste de costard, qu’il semble décidé à rentabiliser, Magico patiente depuis un bon quart d’heure dehors, malgré le vent glacial de Pachuca. Il discute paisiblement avec des compatriotes. Au moment où les voyageurs sont invités à prendre place, le Salvadorien tourne toutefois les talons, sans faire de bruit. L’insaisissable Magico a décidé de rester à l’hôtel. Loin du vacarme du monde et de ses contraintes.
Par Thomas Goubin, à Pachuca