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Maéva Clemaron : « J’ai besoin de me nourrir d’autre chose que le foot »

Propos recueillis par Julien Duez
10 minutes
Maéva Clemaron : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>J&rsquo;ai besoin de me nourrir d’autre chose que le foot<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Maéva Clemaron joue milieu défensive à Everton. Maéva Clemaron porte également le maillot de l'équipe de France. Mais Maéva Clemaron est aussi titulaire d'un diplôme d'architecte, obtenu à l'École de Saint-Étienne, là où a commencé la carrière en pro de cette Iséroise de 26 ans. Entretien ballon, avenir, compas et équerre entre la journée mondiale de l'architecture et le début des qualifications pour l'Euro 2021, qui commencent ce mardi après-midi (17h) par un déplacement au Kazakhstan.

Si tu repenses à la Maéva d’il y a vingt ans, tu imaginais qu’elle deviendrait un jour footballeuse professionnelle ?Non, le foot, c’était juste une passion, je ne pensais pas que je pourrais en vivre. Aujourd’hui, devenir pro, c’est quelque chose que je souhaite à toutes les filles qui commencent. Mais quand j’étais petite, les choses étaient différentes. Je fais partie de cette génération intermédiaire, entre Elise Bussaglia et Marie-Antoinette Katoto.

Tu avais des idoles à l’époque ?Non, parce que le foot féminin était très peu diffusé. C’était donc difficile de trouver des modèles auxquels s’identifier. On parlait vite fait de Marinette Pichon, mais bon, elle ne jouait pas milieu de terrain comme moi, et surtout, je ne la voyais pas à la télé quand je voulais ! Du coup, je regardais surtout les matchs des mecs de l’Olympique lyonnais et je vibrais devant Juninho ou Edmilson… Aujourd’hui, c’est N’Golo Kanté qui est mon modèle absolu à mon poste.

Avec la médiatisation qui grandit, ta génération peut davantage faire rêver les petites filles qui souhaitent devenir professionnelles.C’est vrai et aujourd’hui, les jeunes joueuses peuvent se poser la question de savoir si elles continuent les études au moment de passer pro. Moi, j’ai commencé en D1 à Saint-Étienne il y a dix ans. J’en avais seize, et mes parents m’ont toujours orientée vers les études en priorité. Même chose avant, quand j’étais en formation à l’OL. J’étais sous les ordres de Cécile Locatelli (actuelle sélectionneuse de l’équipe de France U16, N.D.L.R.), qui nous demandait constamment ce qu’on voulait faire à côté.

Et toi alors, qu’est-ce que tu voulais faire ?

On m’a orientée vers la filière scientifique, alors qu’avec mes notes moyennes partout, j’avais plutôt un profil ES !

J’aimais bien dessiner, en particulier les bâtiments. Je dessinais mal, mais j’aimais ça. Et donc, bêtement, j’ai choisi l’architecture parce qu’on devait dessiner, même s’il n’y a pas que ça au programme. Du coup, au lycée, je me suis informée sur les études d’archi et on m’a orientée vers la filière scientifique. Alors qu’avec mes notes moyennes partout, j’avais plutôt un profil ES ! Mais bon, je garde malgré tout un très bon souvenir de ces années-là. Ma première année de seconde, je l’ai faite à Lyon et on avait sept entraînements par semaine. C’était plus long que les heures de cours ! D’ailleurs, le programme du lycée était spécialement réparti sur quatre ans. Mais finalement, je suis partie à Sainté l’année suivante et j’ai fait le choix de redoubler mon année plutôt que de passer en première S sans avoir vu tout le programme de seconde.

Tu as des regrets par rapport à ce choix aujourd’hui ?J’en ai eu quelques-uns. Sportivement, si j’étais restée à l’OL, mon parcours aurait peut-être été différent. À quinze ans, je jouais en équipe B et j’aurais pu espérer quelques entraînements avec la une. Mais j’étais déterminée à partir jouer avec Saint-Étienne, parce que si j’étais restée à Lyon, je crois que scolairement, je n’aurais pas fait ce qu’il fallait.

Pourquoi ?J’avais le sentiment que j’aurais dû choisir entre le foot et les études. Moi, je voulais vraiment avoir mon bac. À Sainté, ils mettaient vraiment l’accent sur le fait que tu réussisses à l’école parce qu’ils n’avaient pas les moyens de te promettre un contrat qui te permettait de lâcher les cours. Mais ce n’est pas forcément le cas partout.

Tous les clubs devraient suivre cet exemple selon toi ?Je ne crois pas qu’il y ait un modèle qui soit meilleur qu’un autre. Une joueuse doit faire en fonction des opportunités qu’elle a. Si à seize ans, j’avais eu les mêmes propositions qu’Eugénie Le Sommer et qu’on me donnait un salaire énorme pour mon âge, je serais peut-être allée jusqu’au bac et j’aurais remis l’archi à plus tard. Après, comme on n’a pas les salaires des mecs, c’est important de s’assurer le minimum.

Le bac ?

Comme on n’a pas les salaires des mecs, c’est important de s’assurer le minimum.

Ouais. Bon ok, aujourd’hui, on ne fait plus rien avec le bac tout seul, mais c’est un moyen de s’ouvrir des portes plus tard, quand on veut reprendre des études. Un BTS par exemple.

Toi, tu t’es tournée vers l’architecture. En dehors de la passion du dessin, c’est un truc qui t’est venu de ta famille ?Pas du tout ! Ma mère bosse dans le recrutement et mon père est ébéniste. Ceci dit, il a toujours eu un côté artistique et un bon coup de crayon. Peut-être que je tiens ça de lui.

C’est lui qui t’a lancée dans le foot ?Oui, il m’a toujours poussée à continuer, parce qu’il a lui-même joué en étant plus jeune. À un niveau plutôt bon d’ailleurs, l’équivalent du National (à Vienne, N.D.L.R.). Quand il était en U15, je crois même que Sochaux le voulait. Mais mon grand-père, qui était maçon, était plutôt méfiant et ne l’a jamais emmené aux tests. Je crois que mon père a parfois quelques regrets à ce sujet, et dans mon parcours, il voit ce qu’il n’a pas pu avoir personnellement.

La question est un peu cliché, mais ça n’a pas été trop compliqué de combiner le lancement de ta carrière de sportive de haut niveau avec l’obtention d’un diplôme d’architecte ?Une carrière, chacun la gère à sa manière. L’archi, c’est un truc perso, une passion, un besoin, même. Je pourrais t’en parler pendant des heures. À travers mes études, j’ai développé une préférence pour l’architecture suisse, genre Herzog & De Meuron. Mais j’adore aussi Rudy Ricciotti ou Renzo Piano. Et j’ai eu des profs très inspirants, comme Dominique Vigier ou Franck Lebail. Personnellement, je ne pourrais pas faire que du foot. J’ai besoin de me nourrir d’autre chose.

Quoi par exemple ?J’aime bien faire de la photo. Sur mes réseaux sociaux, je partage surtout ce que je vois lors de mes voyages. J’adore bourlinguer, c’est un truc qui me nourrit, et en plus, c’est super enrichissant au niveau de l’archi. On ne dirait pas, mais elle est partout, il suffit de regarder autour de soi.

Cette double vie qui te caractérise, c’est un sujet de discussion en équipe de France ?Un peu, oui. Mais je ne suis pas la seule dans ce cas-là : on a aussi Marion Torrent qui a validé son diplôme de coach sportive ou Julie Debever, celui d’éducatrice pour enfants. Certaines joueuses sont curieuses de la manière de créer une micro-entreprise, d’autres me demandent même de leur dessiner des plans ! Par exemple, j’ai bossé pour un aménagement intérieur chez Eugénie Le Sommer, qui m’a fait confiance alors que je n’avais pas encore mon diplôme ! Et puis quand on visite un stade, je fais parfois des petites remarques sur le bâtiment, ce qui me vaut le surnom de « l’archi » .

Donc à 26 ans, en plus de jouer en première division, tu as trouvé le temps de créer une micro-entreprise ?

Dans la performance sportive, les études ça fait la différence au niveau du mental.

C’est vrai que ce n’est pas facile, d’autant que je n’avais aucune connaissance en la matière. Cependant, j’ai la chance d’avoir deux agents qui sont là pour me conseiller. L’un est à la fois avocat et conseiller en patrimoine. Il m’a donc un peu aiguillée, mais j’ai quand même fait les démarches toute seule parce que j’aime savoir comment les choses fonctionnent. Pour m’aider, ma mère m’a offert quelques bouquins sur le sujet, et ça ne m’a pas paru insurmontable. C’est comme quand tu écris un mémoire universitaire : tu es obligée de faire des recherches sur le sujet avant de te mettre à la rédaction. Ben là, c’est pareil. Mais encore une fois, je ne suis pas la seule dans ce cas-là. Marion (Torrent) l’a fait, Eugénie (Le Sommer) aussi, à travers les tournois qu’elle organise pour les petites. Je crois que la plupart des filles sont débrouillardes, elles n’ont pas besoin qu’on les prenne par la main. L’important, c’est juste d’être bien accompagnée.

Malgré tout, ça ne doit pas être évident de cumuler les deux à part égale. On voit d’ailleurs que le double projet, pierre angulaire historique du football féminin, tend à disparaître peu à peu.Je ne suis pas partisane du double projet obligatoire. Quand on dit qu’on est plus performante avec, ce n’est pas vrai. Au contraire ! Dans le sport de haut niveau, ce n’est pas possible. Les clubs sont dans une logique de performance, et une joueuse le sera moins si elle a un gros projet à gérer en parallèle. Si tu es footballeuse et avocate, ça affectera forcément ta performance sportive.

Sans aller jusqu’à ce profil-là, ton ancienne formatrice Cécile Locatelli affirme qu’avoir « une tête bien faite » a des conséquences positives sur le terrain.

Pendant mon cursus, je ne pouvais pas me permettre de vivre autrement que comme une semi-pro.

Dans le double projet, il y a deux écoles : la joueuse qui fait des études à côté du foot et celle qui doit travailler pour avoir un complément financier et pouvoir jouer au foot à côté. Dans ce cas-là, tes performances sportives seront forcément affectées, tandis que dans le cas scolaire, non. Quoique… Quand j’ai fini mon école d’archi, j’avais 24 ans, et pendant mes études, je ne pouvais pas me permettre de vivre autrement que comme une semi-pro.

Peut-être parce que les études que tu as entreprises sont particulièrement exigeantes ?Je rejoins Cécile quand elle dit que c’est important d’avoir une tête bien faite. Peu importe les études choisies d’ailleurs, il n’y a pas de sous-études. Même sans être bardée de diplômes, dans la performance, ça fait la différence au niveau du mental. Ce qui peut effectivement changer la donne à long terme, c’est de s’engager dans un cursus compliqué. Et c’est pour ça qu’il faut que les clubs donnent la possibilité à leurs joueuses d’acquérir ce minimum scolaire pour préparer l’après-carrière. Peut-être qu’on pourrait trouver un élément de solution dans l’âge de la signature du premier contrat. Parce que pour le moment, il n’y a que Paris et Lyon qui peuvent vraiment se permettre de te donner un salaire qui te permet de ne faire que du foot. Les autres, comme Soyaux par exemple, sont obligés de proposer quelque chose à côté, parce qu’ils n’ont pas les moyens de te faire arrêter les études ou le boulot pour ne te concentrer que sur la performance sportive.

Cet été, tu as quitté Fleury pour Everton. Est-ce que ce transfert va changer quelque chose à ton équilibre entre football et architecture ?

Travailler, c’est aussi une question de crédibilité. Pour qu’il n’y ait pas un trou dans mon CV architecture pendant la période où je jouais au foot.

Non. Actuellement, j’ai besoin d’un temps d’adaptation à mon nouvel environnement, pendant lequel je vais mettre l’archi entre parenthèses, mais je ne vais pas m’arrêter de travailler pour autant. Cumuler les deux n’est pas insurmontable. Même si je jouais à l’OL et que j’avais des matinées de libres, je continuerais de travailler pendant ce temps-là, comme d’autres vont à la bibliothèque pour lire des livres. C’est aussi une question de crédibilité, pour qu’il n’y ait pas un trou dans mon CV architecture pendant la période où je joue au foot. Après, si je remarque que ce n’est vraiment pas possible, j’arrêterai temporairement pendant un moment, mais pour l’instant, ce n’est pas le cas.


Retrouvez l’enquête sur l’après-carrière des footballeuses dans le numéro 170 de So Foot, actuellement en kiosques.

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