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Madar : « Aujourd’hui, je me fais chier »

Propos recueillis par Matthieu Pécot
9 minutes
Madar : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Aujourd&rsquo;hui, je me fais chier<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Mickaël Madar n'a pas perdu son âme d'attaquant. À 46 ans, il allume un football dans lequel il ne se retrouve plus. Ses 3 sélections en équipe de France et son unique but inscrit contre l'Arménie en 1996 (2-0) font de lui un homme incontournable avant cet « aznavourico ».

Ce France-Arménie de 96, c’est le pic de ta carrière ?

Non, le pic, ça aurait été de confirmer ça ensuite.

Ce jour-là, tu marques ton seul but avec l’équipe de France, mais c’est aussi ta dernière sélection. Pourquoi ?

Je n’ai que trois sélections, mais j’ai vécu des choses fortes. J’étais dans le groupe à l’Euro 96 en Angleterre. Il faut être réaliste, si j’ai été pris, même si j’étais en pleine bourre, c’est parce qu’Aimé Jacquet n’a pas voulu prendre Ginola et Cantona, car il savait qu’il ne pourrait pas les mettre sur le banc. C’est pas que je me sens inférieur à eux, mais je ne suis pas débile, à ce moment-là, ils étaient les meilleurs. Si je n’ai pas joué après ce match, ça ne veut pas dire que j’ai disparu du groupe.

Pensais-tu avoir ta place pour le Mondial 98 ?

J’étais présélectionné dans les 40 joueurs pour le Mondial alors que j’étais plâtré de l’orteil jusqu’à la hanche. En fait, après l’Euro, Aimé Jacquet me prend dans sa chambre et me dit : « Je ne t’ai pas fait jouer une seule minute en Angleterre, je n’aurais pas dû. Je m’en excuse. » Moi, je l’arrête et je lui dis : « Vous n’avez pas besoin de vous excuser, je ne revendique rien du tout. Grâce à vous, j’ai pu signer un contrat à La Corogne. » Il me répond : « Tu seras titulaire lors des quatre-cinq prochains matchs. Prouve-moi que tu peux être mon attaquant pour la Coupe du monde. » La veille d’un France-Turquie qu’on gagne 4-0, lors du dernier entraînement, je fais le con, je pars en sprint, déchirure à la cuisse. Je reviens à La Corogne et là, on me casse la jambe. C’était pendant un match contre Gijón, sur un tacle de Nikiforov. Même pas de carton, même pas faute et il ne m’a même pas appelé pour s’excuser. Ça a tout ralenti. Honnêtement, en Espagne, j’étais bien. On était 3es du championnat et dès que je me suis blessé, ils ont fait 14 matchs de suite sans victoire.
Avant un match à l’Euro, Jacquet demande au groupe les qualités de chaque joueur. Vient le moment de Djorkaeff. Vous savez ce que c’est la plus grande qualité de Youri ? C’est qu’il est égoïste.

Quand on revisionne ce France-Arménie, on a l’impression que personne ne joue vraiment pour toi, surtout pas Youri Djorkaeff…

Je ne sais pas, c’est peut-être qu’une impression. Le truc à ne pas oublier, c’est qu’à l’époque, la star, c’était Youri et pas Zizou, qui était un bon joueur, mais pas ce qu’il est devenu après. Djorkaeff marquait tous les buts. Un jour, avant un match à l’Euro, Jacquet demande au groupe les qualités de chaque joueur. Vient le moment de Djorkaeff. « Vous savez ce que c’est la plus grande qualité de Youri ? » « Euh, non, on sait pas » , qu’on lui dit. « C’est qu’il est égoïste. » Moi, je n’ai jamais été égoïste, j’aurais peut-être dû l’être plus. Mais j’ai appris à jouer à Sochaux, alors le foot, pour moi, c’était faire un appel qui emmenait deux joueurs pour laisser un espace à un coéquipier. Quel plaisir je prenais à aller chercher au deuxième poteau un ballon aérien impossible et en faire une passe décisive pour l’autre attaquant ! C’est pour ça que je n’ai pas marqué tant de buts, car j’aimais trop le jeu. Tout ça m’a appris que quand tu es attaquant, il faut jouer pour ta gueule.

Avec qui entretenais-tu les meilleures relations en équipe de France ?

Dans le jeu, ce n’est pas évident, car je n’ai joué que trois matchs. D’abord en Roumanie où il se passe un petit miracle : sur mon premier ballon, je fais une transversale pour Zizou qui marque. Contre l’Israël, je fais un match très moyen. Et puis l’Arménie, donc. Du coup, c’est surtout avec les gars qui étaient sur le banc ou avec les Monégasques que j’ai développé des affinités. Surtout Barthez, Lilian (Thuram), Di Méco. Même Duga ou Youri, c’étaient des bons mecs. On nous appelait « les coiffeurs » , c’est de nous qu’est venue cette expression. On a passé des soirées à refaire le monde, on a eu des fous rires incroyables. Aimé Jacquet m’a sauvé la vie, voilà pourquoi je ne lui en veux pas de ne pas m’avoir fait jouer, même si c’est sûr que j’aurais aimé, d’autant que la concurrence n’était pas très forte. Dugarry, Loko, Pouget, Pedros, Keller… Ce n’était pas des mecs plus forts que moi, surtout avec la saison que je faisais à Monaco.

En 1996, personne ne chante la Marseillaise contre l’Arménie. Pourquoi ?

Je ne m’en rappelle pas du tout. Moi, ça devait être parce que je ne connaissais pas les paroles ! Mais aujourd’hui, c’est différent. Quand je vois par exemple Benzema ne pas chanter, ça me rend fou. Il y a tellement eu de polémique ces dernières années que ça me dérange qu’il ne chante pas, tout en sachant que les gens attendent ça de lui.

Tu ressens plus de fierté d’avoir mis ce coup de tronche contre l’Arménie ou d’avoir fait une passe décisive à Zidane ?

Ni l’un ni l’autre. La fierté, c’est d’avoir été international. C’est d’avoir fait partie des seize meilleurs joueurs français. J’ai fait énormément de sacrifices pour en arriver là. Je viens d’une famille juive.

Comment ça ?

T’as déjà vu La Vérité si je mens ? Voilà, on est très proches. Quand je suis parti à 15 ans dans un bled paumé à côté de Sochaux qui se trouvait à 500 kilomètres de chez moi, je l’ai très mal vécu. J’ai pleuré tous les jours pendant un mois, j’appelais chez moi, c’était « Maman, je veux repartir » . Elle m’a ordonné de rester. J’étais un jeune joueur qui marquait beaucoup de buts. À Sochaux, j’en mets 3 lors de ma première saison. Le foot, c’est des hauts et des bas en permanence. Le plus dur, c’est de passer d’espoir du foot français au désespoir. Je me suis retrouvé à Cannes en D2. Finalement, c’est là-bas que j’ai rebondi, avec Priou, Micoud, Vieira, Durix, Ayache, Lemasson…

As-tu gardé contact avec des joueurs de l’équipe de France ?

On se perd de vue. Ça me rend triste. J’étais très proche de Manu Petit à Monaco. Mais dans la vie, tu te maries, tu fais des gosses et chacun fait son chemin. En plus, je suis un gars qui dit ce qu’il pense, et dans un milieu où il faut fermer sa gueule, ça finit par te fermer beaucoup de portes. Moi, au moins, je suis resté intègre, quitte à me mettre des gens à dos.

Qui ?

Jean Tigana. À Monaco, il m’avait « carré » et, comme Sonny Anderson et Thierry Henry étaient blessés, il a été obligé de me faire jouer. J’ai flambé, du coup, je suis allé en équipe de France. À un moment, je respecte la hiérarchie, alors je le laisse parler. Mais quand il me dit : « Aimé Jacquet m’a demandé s’il pouvait te prendre en équipe de France, je te laisse y aller » , là, j’ai envie de lui dire « en même temps, t’as pas trop le choix » . On venait de faire 2-2 à Nantes, j’avais mis un doublé en direct sur Canal+. Le match d’avant, on gagne 1-0, c’est moi qui marque. Et celui d’avant, 4-2 à Saint-Étienne, encore un doublé. Mais bon, Tigana, il est persuadé que je lui dois ma carrière. Quatre mois après, il nous prend, Manu Petit et moi. Il avait les glandes qu’on ait une complicité et une telle influence sur le groupe qu’il nous a séparés. Manu était plus jeune, c’est moi qui ai dû partir. Enfin, c’est moi qui ai décidé de mon départ, pas lui. À Paris aussi, Bergeroo m’a mis des bâtons dans les roues. En un an et demi, je mets 17 buts et 8 passes décisives. Il m’a dit que de la merde et m’a demandé de partir.
Si j’avais eu un mec comme Zlatan dans mon équipe, c’est sûr qu’on en serait venus aux mains.

Te reconnais-tu dans un joueur de foot aujourd’hui ?

Honnêtement, je m’emmerde quand je regarde un match. Aujourd’hui, je me fais chier. Il y a tellement de matchs qu’au bout de dix minutes, je zappe à cause de l’ennui. Le PSG, pareil, c’est un quart d’heure et je change de chaîne. Ce n’est pas du football. C’est quoi cette époque où il faut arriver à faire cinquante passes avant de marquer un but ? Ah ça, ça perd pas le ballon, c’est sûr, mais dans les vingt derniers mètres, il n’y a plus personne. Mais où sont les centres ? Où sont les tirs ? Où est la prise de risque ? À part Lucas de temps en temps… Et où ça mène, à part à un titre de champion de France où il n’y a personne en face ? Si je suis attaquant au PSG aujourd’hui, je me frappe avec quelqu’un, c’est sûr. Cavani, tu as vu le nombre d’appels qu’il fait et le nombre de ballons qu’il a ? Ibrahimović monopolise le ballon, les mecs ont peur de lui. Ils ont peur physiquement et aussi pour ce qu’il représente. Il a trop d’influence, c’est malsain. Si tu lui donnes pas la balle, il te sort de l’équipe au prochain match. Avec un mec comme ça, c’est sûr qu’on en serait venus aux mains. Pour moi, c’est un sport collectif. Et son comportement n’est pas digne d’un joueur de sa classe.

Tu vas regarder l’Arménie-France d’aujourd’hui ?

Si tu ne m’avais pas appelé, je n’aurais même pas fait le rapprochement avec mon but. L’Arménie est plus forte que ce qu’elle était à l’époque, où 2-0, c’était le minimum. Ça donnait des coups, mais ça ne faisait rien de plus. Je ne veux pas minimiser le truc, mais si tu m’avais appelé en me disant « Mickaël, tu as marqué ton seul but avec l’équipe de France à Wembley contre l’Angleterre » , ça m’aurait évoqué des choses. Là, contre l’Arménie et à Villeneuve d’Ascq…

(NDLR : Beaucoup ont regretté le manque de nouvelles concernant la gourmette/chaîne perdue par Mickaël pendant cette rencontre. Voici sa réponse, après un coup de fil en fin d’après-midi. Avec nos excuses.)

Beaucoup s’inquiètent du sort de ta gourmette que tu as cherchée pendant cette rencontre. Qu’en est-il vraiment ?

Ah, la fameuse gourmette, qui n’est d’ailleurs pas une gourmette, mais une chaîne. Ma mère me l’avait offerte à une période où je ne marquais pas beaucoup de buts. Au bout, il y avait une boule en porcelaine qui formait un œil. C’était justement censé protéger du mauvais œil. Tu sais comment on est, les Juifs, on est superstitieux à fond. Bref, il y a ce défenseur arménien qui me prend par le col dans la surface et m’arrache tout. Je retrouve ma chaîne par terre, mais pas l’œil. Dix minutes plus tard, je marque. Cela reste de la superstition, ce n’est pas une histoire très importante…
Lyon : à Textor et à travers

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