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  • Interview de Kálmán Kovács

« « Madame est servie » m’a appris le français »

Propos recueillis par Joël Le Pavous
«<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>« Madame est servie » m’a appris le français<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Les commentateurs de D1 l’appelaient « Kovax » alors qu’on prononce « Kovatch ». À Auxerre, il était « Kálmán » la moustache, canonnier en chef de l’AJA jusqu’à ce que Baticle se pointe. Ensuite ? Du Valenciennes en pleine affaire VA-OM, des escapades belges, suisses et chypriotes avant de regagner sa Hongrie. Le désormais prof d’EPS se confie entre deux cours à la piscine du bled où il enseigne. En claquettes et avec une barbe de quelques jours.

Tu débutes en 1983 au Honvéd, le club de l’armée que Puskás a quitté pour le Real, à la suite de la répression de l’insurrection anticommuniste de 1956. Il avait même pris la nationalité espagnole en signe de protestation. La pression politique était aussi puissante à l’époque, ou c’était plus cool ?En fait, j’ai intégré le Honvéd à l’âge du CM1. Mon père adorait le club et j’ai longtemps ramassé les ballons. Je jouais déjà dans la rue. J’ai décroché mon premier vrai contrat à 18 ans et c’était mon rêve. Je voulais être pro depuis tout petit. J’ai jamais pensé que j’irais en Coupe du monde comme en 86 (où la France bat la Hongrie 3-0 en poule, ndlr) ou que je gagnerais un Euro comme avec les U19 en 84. Bien sûr, le Honvéd dépendait de l’armée. Le ministre de la Défense venait voir les matchs, et des fois, la prime doublait s’il était dans le coin, histoire de nous motiver… Quand on gagnait le championnat, on était invités au ministère. Ils nous filaient des cadeaux, nous complimentaient, mais le contexte n’avait rien à voir avec ce qui a pu se dérouler dans les années 1950 ! Non, vraiment, c’était tranquille.

En 1989, l’Est s’ouvre progressivement et tu pars direction Auxerre. Résultat : tu trouves 42 fois les filets en deux saisons et demie et tu termines deux fois dauphin de JPP au classement des meilleurs buteurs. Tu t’es adapté en un rien de temps à la France, on dirait ! D’ailleurs, pourquoi Auxerre ?Parce que Guy Roux avait déjà recruté un autre Hongrois, Győző Burcsa (à l’AJA de 85 à 87, ndlr). Et tu sais, il était assez près de ses sous et voulait des joueurs de l’Est pas chers : des Polonais, des Magyars… J’avais le profil, puisque j’ai coûté seulement 500 000 dollars, un truc comme ça. Courbis me voulait à Toulon l’année d’avant pour 1 150 000, mais le Honvéd a dit « non » . Je n’ai pas compris sur le coup, mais j’étais heureux d’être à l’AJA quand même. Je me suis rapidement acclimaté en France. J’ai appris la langue grâce aux causeries de vestiaire et aux épisodes de Madame est servie. Vingt minutes, une trame facile à capter et Tony Danza, quoi ! De toute façon, tu pouvais rien regarder en anglais à la TV. Auxerre, c’était simple, provincial, petit, mais très sympa… Là-bas, j’étais « Kálmán » et ça me plaisait.

Guy Roux veillait plus à l’image du club qu’à nos touffes.

L’Abbé-Deschamps se souvient aussi de ta moustache à la Tom Selleck comme de celles du polonais Andzrej Szarmach et de Josef Klose, papa de Miroslav. Il ne t’a jamais emmerdé là-dessus, Guy Roux ?Jamais ! La moustache, il n’y avait rien de plus normal en ce temps-là. Les cheveux un peu longs derrière, là, ce que vous appelez la « coupe du mulet » , ça aussi c’était à la mode, et personne ne s’en préoccupait ! Bon, aujourd’hui, si je revois des vieilles photos, j’en rigole et c’est normal… Guy Roux veillait plus à l’image du club qu’à nos touffes. Il avait ce côté « manager » à l’anglaise capable de gérer les conflits qui pouvaient émerger au sein de la team, comme quand j’ai eu une embrouille avec William Prunier. J’étais avant-centre, lui stoppeur, il me taclait durement aux entraînements et le ton est monté… Guy a tranché et personne n’a osé renchérir. C’était ça avec lui : il te forçait jamais directement, il n’était pas chiant, mais il parvenait toujours à t’influencer pour que tu ailles dans son sens.

L’un des épisodes marquants de ton passage dans l’Yonne, c’est ce 16e de finale d’UEFA 1991-1992 contre Liverpool. Vous gagnez 2-0 à l’aller et perdez 3-0 au retour. Bon souvenir malgré l’élimination ? Mitigé, disons. Durant cette période, j’étais quelquefois remplaçant, notamment avec l’arrivée de Baticle. Juste avant Liverpool, je mets un pion en championnat et j’y vais confiant. On les reçoit à l’aller, je lance Ferreri qui ouvre le score et je marque le deuxième. J’ai failli claquer le doublé, mais l’arbitre me le refuse à cause d’une main. Moi, je sais qu’il n’y a pas main, mais peu importe ! On va à Anfield au retour, et les Reds obtiennent un penalty qu’ils rentrent. Après la pause, Ferreri me donne un caviar dans les 16 mètres et j’échoue face à Grobbelaar. Dans les cinq minutes qui suivent, on dégage sur un corner de Liverpool, un défenseur me découpe et ma jambe gonfle comme jamais. Je suis out 3-4 semaines, je réintègre l’équipe, on perd 1-0 à Lille. Guy Roux m’écarte et c’était la fin pour moi à l’AJA.

Tu rebondis alors à Valenciennes à l’été 1992. Tu marques notamment une superbe lucarne du droit sans contrôle contre Caen qui truste le top buts de Téléfoot, et puis patatras, l’affaire OM-VA pourrit la fin de saison. C’est ce qui t’a poussé à signer à Anvers ? Et comment as-tu supporté tout ce bordel ? (Il soupire) Ça a été un truc assez bizarre… Il se passe beaucoup de choses dans le foot, mais là, c’était trop gonflé contre Tapie pour moi. Jacques Glassmann (le défenseur de VA qui a balancé, ndlr) a transformé cette histoire en scandale. Oui, l’OM a voulu acheter le match, Burruchaga et Christophe Robert ont accepté, mais ils ont dit qu’ils rendraient l’argent si on gagnait. L’arbitre sentait que c’était litigieux et a discuté avec les deux présidents à la pause. La deuxième mi-temps a défilé et ça s’est tassé. Le lendemain, y avait plus de journalistes que de joueurs au décrassage. Tout le monde voulait taper Tapie et nous aussi. L’affaire a été jugée, la loi a décidé, voilà. Moi, j’étais loin de tout ça. On a perdu parce qu’on était moins forts, point. On est descendus, ils ont renouvelé l’effectif et je suis parti.

On a vraiment besoin de positif ici, avec tout ce qui gravite autour de la Hongrie en ce moment.

De 1985 à 1995, tu as enfilé à 56 occasions le maillot de la sélection hongroise et planté à 19 reprises. Tu as participé à la dernière compète internationale (le Mundial 86) dans laquelle on a vu la Hongrie. Quel regard portes-tu sur la qualif’ du « Nemzeti 11 » de Gábor Király et ses camarades pour l’Euro ? Tous ceux qui ont plus de 50 capes ont un billet pour les matchs à la maison. Alors, j’ai suivi ça au stade. J’avoue que j’ai douté, surtout quand on s’est retrouvés en barrages contre la Norvège. Sur le papier, ils étaient meilleurs que nous, mais on les a battus et c’est super pour la Hongrie. Ce n’est pas un miracle qu’on soit à l’Euro de mon point de vue, mais il y a de grandes attentes qui pèsent sur eux maintenant. Tu vois, après la défaite, les Norvégiens sont allés saluer leurs supporters qui les ont applaudis. J’aimerais que cette image imprègne le foot magyar et la vie chez nous. On a vraiment besoin de positif avec tout ce qui gravite autour de la Hongrie en ce moment. Bon, on se coltine le Portugal, l’Islande et l’Autriche, hein. Si Ronaldo est bof ou sans lui, ils sont prenables. Les deux autres, on a nos chances.

Et Pál Dárdai qui réveille le Hertha après avoir déblayé le terrain pour Bernd Storck, tu apprécies ?C’est une excellente leçon pour tous les coachs. Il ne suffit pas de se sentir bon pour l’être avec la team. La chance peut t’aider, et Dárdai a su exploiter ça. Il a bien réfléchi et gardé son double poste avant de se décider entre Hongrie et Allemagne. Quand la MLSZ (la FFF magyare, ndlr) a prolongé son contrat cet été, j’ai pensé qu’il serait incapable de cumuler. Mais regarde où on en est maintenant ! La Hongrie est qualifiée en grande partie grâce à lui, le Hertha est troisième de Bundesliga. C’est extraordinaire ce qu’il a accompli. Il lui faudrait encore un peu de temps et des mauvaises passes comme celles que traverse Mourinho afin de mieux mesurer sa capacité à encaisser les coups durs, mais je crois en lui.

Tu n’as jamais coaché les A comme Pál, mais en revanche, on trouve régulièrement ton nom sur le banc de l’équipe magyare de beach soccer. C’est pas la galère de pratiquer sans mer en Hongrie ?Ben, on a des lacs géniaux comme le Balaton (l’un des plus grands d’Europe, ndlr) ou le Omszki-tó à deux pas de Budapest avec plage aménagée, donc no problemo ! J’adorais regarder les Bleus de Joël Cantona, on se connaît tous les deux, c’est un pote. Faut voir le beach soccer comme un futsal avec du sable, si tu veux. Les mêmes mouvements, des gestes plus acrobatiques que le foot classique… En plus, tu dois terminer ton action en trois touches, sinon tu rends immédiatement le ballon à l’équipe adverse. Tu peux pas passer 50 fois avant de marquer comme le Barça ! Haha ! Il y a trois-quatre ans, on était dans le top huit mondial et on a battu l’Italie qui était pourtant la meilleure équipe de la planète. Moi, ça m’occupe en dehors de mon activité professionnelle. J’aide les copains et ça m’éclate. Zéro pression.

J’irais pas boire un canon avec Ibra à la Saint-Sylvestre, mais il est incroyable, phénoménal.

Ton « activité » , c’est prof d’EPS dans une école de Kistarsca, pas loin de Budapest. Qu’est-ce que tu transmets en priorité aux gamins ? Le goût de l’effort ? La résistance aux sirènes du foot-business ? Je ne vais pas te surprendre : les jeunes ont du mal avec le sport, ici. Ils restent scotchés à leurs ordinateurs, leurs tablettes ou leurs smartphones et ne se dépensent pas. Quand Coubertin a lancé les JO, il y avait déjà ce souci-là sans la technologie moderne. C’est dommage parce que les sports co genre handball, volley, foot ou water-polo (très populaire en Hongrie, ndlr) sont riches d’enseignements. Tu dois accepter les fautes des autres. Si le gars me donne un mauvais ballon, tant pis, je dois aller dessus. Malheureusement, mes collègues pensent qu’enseigner le foot se résume à donner les chasubles aux gamins et à les laisser gambader une heure. Qu’est-ce qui va arriver automatiquement ? Les bons vont confisquer le ballon, et les autres vont rester sur le carreau. C’est trop facile. Ça marche pas comme ça.

Justement, quand tu vois le PSG d’Ibra et des Qataris écraser la Ligue 1, ça te botte ou ça te révolte ?Ouh là, compliqué ! Quand j’ai vu Ibra, je me suis dit que ce mec avait seulement des muscles et la grosse tête. Après, j’ai vu ses gestes techniques, et il est phénoménal. Pas un super mec comme Basile Boli, mais un super joueur. Que répondre à ça ? Nous, à l’Est, on nous a toujours dit de rester calmes et modestes. C’est tout le contraire de ce qu’on m’a inculqué, mais j’apprécie les qualités du footballeur. Je n’irais pas boire un canon avec lui à la Saint-Sylvestre, mais il est incroyable. Pour moi, le premier « grand » transfert, c’était Beckham au Real. On a beaucoup polémiqué sur son côté star, sur le prix du deal et sur tout le marketing qu’il a brassé, mais il a vite fait taire les critiques et s’est montré pro. Les Qataris casquent, et alors ? Si le PSG réussit et que les supporters sont contents, tant mieux, non ?

Sinon, tu as co-écrit un bouquin de tactique intitulé 101 exercices de football et de futsal avec trois autres auteurs, dont István Vincze qui évoluait avec toi en équipe nationale. Ton schéma de prédilection, c’est plutôt cadenasser en défense ou mettre le paquet sur l’attaque imitation Barça ? Mon but avec ce bouquin, c’est de donner des conseils pratiques aux profs de gym et d’aider les gamins. J’ai aucune envie de fabriquer des footballeurs. J’adore ce qu’a sorti Menotti (César Luis, coach de l’Argentine championne du monde 78) au sujet de Maradona quand on lui a demandé comment il l’a créé. Sa réponse : je n’y suis pour rien, il faut plutôt remercier les parents de Diego de l’avoir conçu ! Pour moi, c’est pas les quelques futurs talents qui comptent, mais les jeunes dans l’ensemble. On essaie d’organiser des cours autour de ça et on pousse le projet auprès du ministère des Ressources humaines (qui inclut la jeunesse et les sports, ndlr). Appelle ça un manuel si tu veux, mais la stratégie, ça m’est égal. C’est bon pour Auxerre, l’OM ou le PSG, ça. On fournit des pistes, pas des schémas à reproduire.

Résumons la fin de ta carrière : retour gagnant au Honvéd (94-95), exil potable à l’APOEL Nicosie avec tes compatriotes József Kiprich et István Kozma (95-96), aventure en Suisse (96-97) et tournée d’adieu au Honvéd (97-98) où tu as intégré le staff par la suite. Fier de ton parcours dans l’ensemble ?À 95%. J’ai arrêté, j’ai poursuivi assistant au Honvéd jusqu’en 2000 et je construisais tous les entraînements. C’était mon équipe, je voulais coacher, mais le club en a décidé autrement et ça reste une frustration. L’APOEL, c’était cool, on a remporté le doublé coupe-championnat. J’ai débarqué en Suisse grâce à mon ancien coéquipier István Varga qui jouait à Delémont. Mon fils a commencé l’école là-bas et puis je pensais à ma famille, donc je suis rentré. J’ai peut-être un peu manqué de bol, quand même. Avant que Klinsmann ne vienne à Monaco, mon manager m’a dit que Wenger me souhaitait. Je l’ai envoyé bouler, je croyais qu’il bluffait ! Jürgen est arrivé deux semaines après. La même année, je fais un essai à Leeds, et le manager hésite. On discute, et il demande mon avis sur Cantona. Je le recommande, ils nous opposent et ils engagent Éric qui a brillé en Angleterre. Voilà les 5% manquants.

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Propos recueillis par Joël Le Pavous

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