- International
- Madagascar
Madagascar : Raoul, Nico, Rabe et les autres…
Nicolas Dupuis a été suspendu de son poste de sélectionneur par le président de la fédération malgache, lui-même visé par un mandat d’Interpol. Éric Rabésandratana, nommé pour assurer l’intérim le temps de cette mise à l’écart d’une durée indéterminée, suscite déjà des réserves au sein de l’instance.
Question à 1000 ariary, la monnaie locale. Quel est le pays dont le président de la fédération de football, en cavale en Europe et visé par un mandat d’Interpol pour avoir détourné des millions d’euros, décide de suspendre le sélectionneur contre l’avis d’une majorité de son comité exécutif, d’expliquer à la terre entière que l’équipe nationale a besoin d’un technicien expérimenté et de haut niveau, et de nommer un coach qui ne répond pas aux critères (du moins sur le papier) ? La réponse se trouve dans l’océan indien, au large des côtes du Mozambique, et on l’appelle la Grande Île.
Depuis la fin du mois d’avril, « c’est le retour à la normale », comme l’explique en ricanant Hery, un supporter des Baréa qui vit à Antananarivo, la capitale. « Quand je dis que c’est le retour à la normale, c’est que c’est le foutoir, comme très souvent à Madagascar. Le président de la fédération (Raoul Rabekoto, NDLR)est en fuite depuis février 2020, il gère la fédération comme il le veut et décide de virer Nicolas Dupuis qui avait su faire briller le pays en l’emmenant en quarts de finale de la CAN 2019 en Égypte. Mais comme ici, il faut que ce soit le règne du bordel, nous y sommes. » Nicolas Dupuis (53 ans), nommé sélectionneur en mars 2017, n’a pas été viré, mais seulement suspendu, alors qu’il est sous contrat pour encore 30 mois. Ainsi en a décidé Raoul Rabekoto, le 30 avril dernier. Le dirigeant, malgré l’opposition de sept des dix membres de son comité exécutif, a motivé ses griefs envers le Français dans un courrier.
Qui c’est, Raoul ?
Dans le détail, Rabekoto lui reproche beaucoup de choses. De n’avoir pas qualifié Madagascar pour la CAN 2022 au Cameroun, d’avoir dénigré la fédération sur les réseaux sociaux, de ne pas s’être assez impliqué dans sa mission… Et enfin de s’être mêlé d’un peu trop près des affaires administratives, financières et commerciales de l’instance. « En d’autres termes, de s’être fait un peu d’argent sur différents contrats. Dans ce cas, il faut que Rabekoto apporte des preuves », souligne une source locale. Et quand il évoque des détournements d’argent, le dirigeant sait de quoi il parle, si l’on en croit les accusations portées par la justice malgache.
Le président est en effet soupçonné d’avoir détourné des sommes colossales – on parle de plus de 25 millions d’euros – quand il dirigeait la puissante caisse nationale de prévoyance sociale, c’est-à-dire d’avoir fait les poches de millions de salariés insulaires. Pour échapper aux tribunaux, ce bon vieux Raoul s’était fait la malle en février 2020, planqué sous une casquette, pour rejoindre l’Europe via les Comores et La Réunion avec quelques complicités. Il est aujourd’hui visé par un mandat d’arrêt international d’Interpol, Madagascar ayant demandé son extradition aux justices française et suisse puisque le millionnaire partage son temps entre ces deux pays.
Randriamanapisoa : « C’est un abus de pouvoir »
Cela ne l’empêche pas de gérer à distance la fédération, puisque ses casseroles n’ont aucun lien avec le football. Mais au sein même de l’instance, ses méthodes irritent. Comme celle, récurrente, de prétexter des problèmes de connexion et « de mettre un terme aux visioconférences quand certains sujets le dérangent », comme le rapporte un membre de la FMF. « Sa décision de suspendre Dupuis n’est rien d’autre qu’un abus de pouvoir. Sur dix membres du Comex, sept, dont moi, étions en faveur du maintien du sélectionneur. Certes, la sélection n’a pas réussi à se qualifier pour la CAN. Mais cela fait partie des aléas du sport, et il ne faut pas oublier tout ce que le coach a apporté au foot malgache », râle Alfred Randriamanapisoa, vice-président de la FMF et membre du comité exécutif.
Rabekoto n’est d’ailleurs pas du genre à s’encombrer de l’avis des autres. En octobre dernier, il avait viré le team-manager Sylvain Razafinirina, en poste depuis 2007, contre l’avis de la majorité de ce même comité. « Rabekoto a suspendu Dupuis, alors que cette prérogative n’existe pas dans le contrat du sélectionneur. Nous allons saisir la CAF et la FIFA », ajoute Randriamanapisoa. Le contrat de l’ancien coach d’Yzeure, qui lui assure une rémunération de 12 000 euros par mois, a été signé entre lui, la fédération et l’État, lequel prend en charge 8000 euros.
Dupuis a pris acte
Dupuis, qui est toujours à Madagascar et que l’on sait proche d’Andry Rajoelina, le chef de l’État, a accepté sa suspension sans vraiment la commenter. Le Français s’était montré encore moins bavard quand, en février dernier, le journaliste Romain Molina l’avait accusé dans une vidéo virulente de trafic d’influence, de surfacturation d’équipements ou encore de s’être fait offrir une montre par Charles Andriamahitsinoro dit Carolus, l’attaquant des Baréa et d’Al-Qadisiya (Arabie saoudite), ce que le joueur avait vigoureusement nié.
« Je ne suis pas concerné par ces accusations », avait sobrement et publiquement répliqué Dupuis, après la mise en ligne de la vidéo. « Je n’ai jamais assisté à quoi que ce soit confirmant ce que j’ai vu dans cette vidéo », explique Faneva Andriatsima, l’ancien capitaine malgache, sorti d’une retraite internationale prise fin 2019 pour participer aux deux matchs qualificatifs pour la CAN 2022 en Éthiopie (0-4) et contre le Niger (0-0) en mars dernier.
Rabesandratana s’est mis au travail
C’est dans ce contexte explosif qu’Éric Rabésandratana (48 ans) s’apprête à débarquer, malgré le report au mois de septembre des deux matchs qualificatifs pour la Coupe du monde 2022 prévus contre le Bénin et la Tanzanie en juin. Et même il est encore trop tôt pour savoir si Madagascar va jouer une ou deux rencontres amicales en remplacement de ces deux échéances, l’actuel consultant de France Bleu travaille sur la composition de son staff et de sa première liste.
Mais du côté d’Antananarivo, sa nomination interpelle. L’ancien défenseur de Nancy et du Paris Saint-Germain « est le choix de Rabekoto. Il n’a aucune expérience d’entraîneur, ne possède aucun diplôme. Nous sommes nombreux à Madagascar à ne pas comprendre, et notamment parmi les supporters de la sélection », reprend Alfred Randriamanapisoa. Tongasoa eto Madagasiraka, Rabe !*
Par Alexis Billebault
* Bienvenue à Madagascar, Rabe !