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Macron : laisse-moi kiffer la coupe avec mes Bleus
Emmanuel Macron n'a pu se retenir. Les Bleus ont gagné la Coupe du monde, et le président jupitérien n'allait pas se priver du plaisir d'en profiter en mode premium. Après s'être retenu toute la compétition de tirer parti de la Coupe du monde, autant par pudeur que par peur de devoir accompagner dans les sondages une possible désillusion, voilà Manu fin prêt pour récolter les fruits du long storytelling de son amour pour le foot. Car derrière le supporter survolté en tribune d'honneur à Moscou, se profilait déjà le politique à la garden party de l’Élysée.
Il fallait bien qu’une faute de com’ finisse par se produire, comme la bévue de Lloris en finale… Alors que la foule, déjà frustrée par la descente des Champs-Élysées expédiée à la Usain Bolt, s’entassait devant la terrasse du Crillon, place de la Concorde, dans l’attente d’un bis repetita de 1998, la FFF annonçait tranquillement sur Twitter que les Bleus restaient à l’Élysée. Une photo postée sur les réseaux sociaux certifiait effectivement que le chef de l’État n’était pas pressé de libérer nos camarades footballeurs. Bref, comme le sentiment – un peu gênant en ces temps de communion républicaine – que le président avait cédé le pas au monarque voulant festoyer en son château pour le triomphe de son blason. Cette sensation apportait une inutile touche d’amertume dans cette journée de célébration ultime.
Le MEDEF à Clairefontaine
Cela dit, rien ne serait plus réducteur que de limiter le positionnement d’Emmanuel Macron à cette indéniable faute de goût. Le politique a très bien compris l’ampleur de ce qui se passait depuis la demi-finale, et surtout quels étaient les mythes mobilisateurs – pour reprendre l’expression de Georges Sorel – qui jetaient le peuple de France dans la rue. Ses propos à Clairefontaine étaient dignes d’une conférence devant le MEDEF : « Seule la victoire compte » . Par la même occasion, il appuie là la philosophie de jeu de Didier Deschamps.
Sauf que dans le même temps, les Français veulent leur part du gâteau et de reconnaissance. Ne tenir compte que des premiers de cordée, c’est bon pour les think tanks libéraux. La République française a aussi « fraternité » et « égalité » dans sa devise. Changement de braquet. D’autant que les Bleus, ces Bleus, fils de Knysna et des attentats de Charlie et du Bataclan, n’ont que République et unité à la bouche… Sans oublier évidemment le travail de la fédé et de son principal artisan : Philippe Tournon.
Les planètes s’alignent d’autant plus miraculeusement que de son côté, le pensionnaire de l’Élysée a impérieusement besoin de recadrer son image et la perception que les Français se forment de lui. Devenir le 24e Bleu permettait de réemployer les gammes de la campagne et de nouveau jouer du pied gauche. Le président des riches y trouve l’opportunité d’effacer provisoirement des mémoires le rôle de père Fouettard social ou d’épouvantail exécutif terrifiant un ado trop familier. Le voilà tombant la chemise sous le soleil au milieu des gamins solaires du foot de banlieue qui courent le selfie derrière un Mbappé transformé en meilleur enfant de Marianne.
Un dab et 120 000 emplois aidés à supprimer
Fini l’apologie de la seule réussite individuelle : « N’oubliez pas d’où vous venez. » Place à celle des quartiers populaires et de son tissu associatif à l’agonie, dont d’autres représentants furent par exemple le nouveau visage du syndicalisme cheminot pendant les grèves. Le président se sait fâché avec cette France et ces Bleus, avec leur magnifique et bordélique Marseillaise aussi belle et iconoclaste que la version reggae de Gainsbourg, qui donne au président la possibilité de la ramener dans ses bras, sans rien promettre d’autre que #fiersdetrefrançais.
Cette parfaite conjecture du destin sportif et de l’agenda politique ne doit pas masquer néanmoins les zones d’ombre. Des réformes territoriales, l’objectif de supprimer 120 000 emplois aidés. L’avenir du foot républicain « d’en bas » semble bien incertain. Des milliers de clubs ont déjà disparu, le district de la Sarthe, par exemple, a vu la dotation du Centre national pour le développement du sport envers ses clubs chuter de moitié… Et puis, un dab universaliste républicain ne peut faire oublier que nous vivons à une époque où une médiocre Marine Le Pen a réussi à faire 34% au deuxième tour de l’élection présidentielle. Il va falloir déjà songer à comment gagner la troisième étoile.
Par Nicolas Kssis-Martov