- C3
- 2e tour
- Strasbourg-Maccabi Haïfa
Maccabi, l’inconnue d’Haïfa ?
Dans le foot israélien, qui, au regard du pays et du contexte géopolitique, n’est forcément similaire à aucun autre, le Maccabi Haïfa, adversaire de Strasbourg en Ligue Europa ce soir, occupe une place singulière. À l’image de sa ville atypique, grand port d’Israël, il reste peu connu en France. À se pencher sur ces considérations, on en oublierait presque qu'il s’agit, sur le terrain, d’un des plus sérieux prétendants de l’État hébreu sur la scène européenne.
Ce soir, Strasbourg retrouve l’Europe. La Meinau va sûrement chavirer sous la canicule, et tout le monde rêve déjà de passer ce tour préliminaire pour accéder aux poules, avec l’assurance d’accueillir – enfin – un grand club. Le fait de tomber sur le Maccabi Haïfa nourrit ces espoirs de goûter de nouveau aux ivresses européennes. Toutefois, le réalisme sportif devrait alimenter une certaine méfiance. Certes le foot israélien, qui opère en UEFA en raison du conflit au Proche-Orient (le Maccabi Haïfa reçoit par exemple encore souvent sur terrain neutre) et du boycott de la plupart de ses possibles adversaires, n’effraie guère balle au pied. Mais le passé des confrontations avec des pensionnaires de L1 pousse à l’humilité (sans parler évidemment de la défaite de l’équipe de France en 1993, qui de fait amena la véritable élimination des Bleus de Gérard Houllier qui se voyaient déjà aux USA).
Tombeur du PSG
Le Maccabi Haïfa se révéla le premier à réaliser quelques exploits puis des ébauches de parcours au sein des compétitions européennes (en 2002, il accédera aux phases de poules de la Ligue des champions). Mais parmi ses faits d’armes, l’élimination du PSG en seizième de finale de la Coupe des vainqueurs de coupes, le 1er octobre 1998, reste le plus marquant. Une défaite 3-2 scellée par un contre-son-camp d’Alain Goma à la dernière minute du temps réglementaire. Une rencontre qui partait d’ailleurs sous de mauvais auspices à en croire alors Charles Biétry qui se confiait dans Le Parisien, contrarié de devoir se déplacer en plein Kippour : « Tout le pays sera bloqué et on ne pourra même pas sortir de l´hôtel. On devra donc s’entraîner sur un terrain attenant à l´hôtel, s’occuper nous-mêmes de toute la logistique et rien ne sera accessible. »
L’aller au Parc aurait été émaillé d’incidents violents entre le Beitar et le Kop de Boulogne. Des échauffourées toujours en mémoire lorsque le PSG recevra l’Hapoël Tel-Aviv en novembre 2006, confrontation qui se soldera par la mort de Julien Quemener, tué par balle par un policier tentant de protéger un fan de l’Hapoël, encerclé dans un McDonald’s. C’est un fait incontestable, la venue d’une équipe israélienne provoque forcément des remous politiques, et des relents d’antisémitisme, qui inquiètent bien au-delà de la simple gestion habituelle des déplacements d’ultras. Sans comparaison, en outre la sympathie pour la cause palestinienne est réelle dans de nombreux virages, comme l’exprimèrent les ultras de Livourne en 2006 quand ils reçurent avec drapeaux palestiniens et slogans hostiles ce même Maccabi Haïfa. En juillet 2014, une confrontation amicale entre ce dernier et le LOSC avait été interrompue par des militants pro-palestiniens, et parsemée de bagarres avec les joueurs venus d’Israël.
Le paradoxe Maccabi Haïfa
Ce club est par ailleurs un paradoxe en Israël. Si le Maccabi porte de par son nom plutôt vers la droite, comme en témoigne sa grande rivalité avec l’Hapoël Haïfa, son identité s’avère beaucoup moins marquée que par exemple au Beitar Jerusalem. Un des leaders des Red Workers, de l’Hapoël Tel Aviv, décrivaient les supporters du Maccabi dans une interview accordée au Réseau supporter de résistance antiraciste (RSRA) comme des gens « sans idéologie dominante » . Dans son livre Un terrain contesté : Les dilemmes d’un football arabe dans un État juif (Albin Michel), le sociologue ‘Tamir Sorek cite ainsi le cas d’une arabe israélienne supportrice de ce Maccabi, démarche impensable pour son homologue de Tel Aviv : « Moi, une Palestinienne vivant en Israël, je n’ai pas de drapeau. C’est difficile. Donc voilà pourquoi, entre autres, je me reconnais dans le drapeau du Maccabi Haïfa. Je vais au match de l’équipe, je porte son drapeau dans mes bras et je n’ai pas de problème à clamer le chant de Haïfa. Là-bas, je peux chanter, j’ai un chant à moi. » Le foot ne sera jamais plus simple que le monde qui l’abrite.
Par Nicolas Kssis-Martov