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Lyon-Toulouse, le jour d’après
Un match décalé de trois heures est une chose plutôt rare dans le football français. En janvier dernier, Lyon-Toulouse a connu ce petit changement de programme. C'était le 11 janvier, et ce jour-là, la France avait rendez-vous avec sa République.
Pour beaucoup, l’évocation de la date du 11 janvier 2015 réveille des frissons. Pas ceux de l’horreur, plutôt ceux-là que provoquent l’unité, la fierté, le lancer d’un grand cri commun. Peut-être ont-ils rappelé aux habitués du stade les sentiments éprouvés lors d’une première fois dans un virage en fusion. 11 janvier 2015, donc. Quatre jours après l’attaque des locaux de Charlie Hebdo, quatre millions de citoyens descendent dans les rues de France. Les images sont fortes, le retentissement immense. Les Unes du monde entier ne parlent que de ça. « Je suis Charlie » dit la liberté d’expression. Hubert Fournier, en conférence de presse deux jours plus tôt, annonce « se méfier de ce mois de janvier. » Mais lui pense à son actualité professionnelle, circonscrite à des schémas sur un tableau noir en prévision du match à venir : 11 janvier 2015, Lyon accueille Toulouse, l’occasion de prendre les commandes de la Ligue 1. Dans une indifférence généralisée.
« Des manifestations dans les stades, c’est quelque chose de fort »
Étienne Didot, sur le banc à Gerland, ne dit pas le contraire : « On était un peu focalisé sur les événements, beaucoup de discussions tournaient autour de ça. C’était pas la joie on va dire, tout le monde était un peu choqué. Après, la vie continue pour tout le monde, on avait un match à préparer aussi, donc on a essayé de se concentrer comme on pouvait. » Pour être prêt à la bonne heure. Car, une fois n’est pas coutume, les différents acteurs de la rencontre n’ont aucun mal à s’accorder sur le report du match de quelques heures. Initialement prévue à 14h, la rencontre est déplacée à 17h, en même temps que Nantes-Metz, « en accord avec l’Olympique lyonnais, le Toulouse Football Club et le diffuseur beIN SportS(…) afin de respecter l’hommage national qui sera rendu dimanche après-midi lors de la marche républicaine après l’attentat contre Charlie Hebdo » , annonce la LFP dans un communiqué dès le 9 janvier. La date de la rencontre aurait-elle dû être modifiée pour permettre aux joueurs qui le souhaitaient de participer aux rassemblements ? Pas forcément, selon Didot : « Ça aurait pu être une bonne chose de décaler complètement le match, d’un autre côté l’hommage qui a eu lieu dans le stade a été vraiment frappant et touchant, donc quelque part, ce n’est pas plus mal qu’il y ait eu des matchs. Des manifestations dans les stades comme ça, c’est quelque chose de fort aussi. »
De fait, Gerland, à l’instar de Pierre-Mauroy au soir du 7 janvier pour un match en retard Lille-Évian, tient à marquer le coup. Après les 300 000 personnes engagées dans le cortège entre Grange Blanche et Bellecour, 30 000 spectateurs retiennent spontanément leurs mots pour une minute de silence entamée avant même que le protocole ne les y invite. Une longue minute transformée en applaudissements nourris, puis en Marseillaise à l’invitation des Bad Gones, tous drapeaux tricolores sortis. Des Bad Gones qui ont couvert de noir la bâche de leur groupe, pendant qu’une immense banderole « Unis dans la douleur pour que vive la liberté d’expression » barre le virage sud. Une image que retient le maire Gérard Collomb sur OL TV, sans oublier son audience : « C’est une belle après-midi. Les Lyonnais se sont mobilisés en signe de solidarité. Les gens se sont sentis solidaires, pour défendre des droits et des libertés… Et le match a été formidable. (…) Le stade va être fantastique. C’est une belle image de la ville de Lyon. Il faut être mobilisé autour de l’Olympique lyonnais. »
Charlie à la crème, brassard et doublé
Il y a les élans collectifs, et puis les initiatives personnelles. Un Lopes twittant sa cuisse couverte de Charlie à la crème avant le match (ci-dessous), un Gomis présent à Gerland après avoir sorti un drapeau français en guise de célébration de son égalisation de la veille avec Swansea.
Antho Lopes quelques minutes avant l’échauffement. #OLTFC #teamOL pic.twitter.com/A4OkdIYTO1
— Olympique lyonnais (@OL) 11 Janvier 2015
À la sortie de la rencontre, Christophe Jallet, au micro d’OL TV, détaille ses sentiments : « Le contexte était un peu délicat. On a tous été frappés de plein fouet après l’actualité. On a senti une vive émotion. Le sport sert aussi à rassembler. » Certains préfèrent retenir qu’Ali Ahamada ne portait pas de brassard noir pendant la rencontre, après avoir arboré le T-shirt « Nous sommes tous Charlie » imprimé pour tous les joueurs à l’échauffement. Ce qui a le don d’énerver Olivier Sadran, dans un communiqué en réponse à l’article de L’Équipe : « Afin de couper court à toute polémique, je m’insurge et m’inscris totalement en faux quant aux faits inexacts relayés. Je suis horrifié par l’interprétation qui a été faite de la discussion d’ordre général sur la société que nous avons eu avec l’ensemble des joueurs. » Étienne Didot a, comme souvent, le dernier mot sur le sujet : « Aucun sentiment, je m’en fiche complètement ! » Car le plus important pour le milieu de terrain, c’est le turbin : « Une fois qu’on est dans le jeu, on est dans le jeu, on n’est pas en train de penser à autre chose. On reste dans notre sport, sur le truc, après une fois qu’on en sort, petit à petit on reprend notre vie active, donc évidemment, on pense encore à ces événements, on en discute encore. »
Il a pu alors constater que, évidemment, Lyon n’a pas été seul dans son hommage. Dans tous les stades de France, une minute de silence a été respectée, souvent accompagnée d’autres initiatives. À Rome, pour le derby, la Lazio a imprimé son maillot du slogan devenu temporairement universel, quand Rudi Garcia disposait des crayons sur les chaises des journalistes avant la conférence de presse.
Une minute de silence a été observée à Santiago Bernabéu lors du match contre l’Espanyol Barcelone, au Canada la Marseillaise a retenti avant un match de NHL entre les Canadiens de Montréal et les Pinguins de Pittsburg. Pendant ce temps, Lacazette plantait son 4e doublé d’affilée, et Lyon s’emparait du trône de la Ligue 1. Pays uni, concert des nations harmonisé, Lacazette affûté : vraiment, le 11 janvier 2015 aura été un jour à frissons.
Par Eric Carpentier