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Luton Town, retour d’enfer

Par Florent Caffery, à Luton
7 minutes
Luton Town, retour d’enfer

Se morfondre n'est pas dans les habitudes de Luton. Envoyé au purgatoire pour soucis financiers, encore en cinquième division en 2014, le club du Bedfordshire affronte vendredi Huddersfield en demi-finales aller des play-offs d'accession à la Premier League. Trois décennies après avoir quitté l'élite, Luton et ses 200 000 habitants sont à deux doigts du plus grand come-back du football anglais. Cela passera par un Kenilworth Road en fusion. L'enceinte d'un autre temps, limitée à 10 000 places, est devenu un phare des groundhoppers, un repaire pour une ville qui ne demandait qu'à revivre football.

Ernest a la sagesse des anciens et le regard d’un môme du Bedfordshire. Celui d’un retraité viscéralement lié à son siège de Kenilworth Road depuis 55 ans. D’un coup de crayon, le septuagénaire déroule sa philosophie : « Ici, il n’y a que deux périodes dans l’année. Celle de la saison de foot et celle où l’on attend le début de la prochaine. » Autour de lui, des poutres métalliques, des gradins de bois et de béton et 10 000 paires d’yeux rivées sur un antre d’une époque révolue. Dans les entrailles, des mind your head rappellent tous les 10 mètres qu’il vaut mieux être court sur pattes au risque de se manger une poutre en bois sur le museau.

Franchement, on ne s’ennuie jamais. Soit on joue le maintien, soit la descente, la saison normale n’existe pas.

Les tourniquets d’accès grincent, certaines gates d’entrée sont imbriquées entre deux habitations. Pour rallier la Oak Road Stand depuis Kenilworth Road, rien d’autre qu’un boyau intrigant le jour, coupe-gorge la nuit, avec d’un côté le stade, de l’autre le salon du voisin. Voilà pour le tableau, à cinquante bornes au nord de Londres. Dans cette ex-cité ouvrière, jusqu’à la fermeture de l’usine automobile Vauxhall (2000 salariés) en 2002, « on est seuls sur Terre », blague Steeve, fin géographe. « Si tu regardes la carte du Bedfordshire, Luton est la seule équipe pro. À Londres, tu en as au moins une quinzaine. Beaucoup de gars de Luton supportent Arsenal, Tottenham ou West Ham. Mais si tu es né ici, tu viens forcément dans ce stade et c’est l’équipe à laquelle tu tiens le plus. Et puis franchement, on ne s’ennuie jamais. Soit on joue le maintien, soit la descente, la saison normale n’existe pas. »

Les cardiologues de cet épicentre de l’industrie du chapeau au XXe siècle – d’où le surnom de Hatters (Chapeliers) – n’ont pas chômé ces quinze dernières années. Ni les entreprises d’ascenseurs. Entre 2007 et aujourd’hui, Luton est passé du Championship (deuxième division) à la National League (cinquième) avant de faire le chemin inverse. « On était au fond du trou, tout le monde nous croyait morts », insiste Steeve.

-30 points dans la tronche

C’est qu’au printemps 2009, les Hatters doivent digérer une troisième descente en autant de saisons et délaisser le monde pro qu’ils avaient tutoyé durant plus d’un siècle. La raison principale ? Le fameux nerf de la guerre, l’argent. Les autres ? Le fiasco du diffuseur ITV Digital au début des années 2000 qui a conduit de nombreux clubs à surpayer des joueurs, des dirigeants noyés dans les magouilles et l’acharnement de la Football Association, dixit les fans dont la banderole « Trahis par la FA » est depuis accrochée au stade.

À l’automne 2007, la fédération anglaise inflige 10 points de pénalité pour insolvabilité (la troisième en huit ans et 6 millions d’euros de dette), et le club est placé en redressement judiciaire. L’opération maintien en League One capote, et l’été qui suit, la FA continue à frapper fort. Cette fois, Luton démarre la saison avec 30 points de pénalité, 20 pour ne pas avoir conclu un accord volontaire d’entreprise dans le cadre de son redressement, 10 autres pour le rôle joué par six agents et d’anciens dirigeants dans le cadre de transferts. Des commissions étaient versées aux agents par une société holding du club. « Jamais un club n’avait autant été sanctionné, peste encore Steeve.La FA a tout fait pour nous détruire. » Luton dénonce un acharnement, se compare à d’autres entités moins sanctionnées et regrette surtout la condamnation collective pour des administrateurs qui avaient pris le large lorsque le vent a commencé à tourner. Plus d’une décennie plus tard, Ernest n’a pas oublié « ce jour où on a rejoint la cinquième division. Une femme, à quelques rangées de moi, a fondu en larmes. C’était terrible, pour tous. Il a fallu tout reconstruire. »

La foi bien accrochée

D’abord l’administratif avec Gary Sweet, directeur général depuis 2008 et un consortium de supporters, le Luton Town Supporters’ Trust, 50 000 actions dans le club. Ensuite le sportif, avec John Still qui parvient – après cinq tentatives – à ramener Luton chez les pros en 2014 – puis Nathan Jones, un ancien de la maison qui n’avait pas eu sa chance sur le pré, mais l’a saisie sur le banc. Le Gallois de 48 ans aux 488 matchs en pro débarque avec ses principes de possession tirés de son expérience espagnole (passage à Badajoz et Numancia dans les années 1990, NDLR) et une foi prégnante. Il aurait pu entrer dans les ordres, il a opté pour le football. « J’ai tout fait avec Dieu, expliquait-il en mars 2018 à Inews. J’ai suivi sa parole. D’autres personnes diront que j’ai suivi mon instinct, mais je crois qu’il m’a guidé et qu’il m’a béni avec tant de choses. »

Garder heureux un groupe de 27 joueurs égoïstes et remplis de testostérone est presque impossible. (…) Le christianisme me permet d’être honnête et d’avoir un équilibre.

Une montée en League One en 2018 déjà, puis en Championship en 2019. Après un intermède désastreux à Stoke City, l’entraîneur est revenu chez lui au printemps 2020 pour sauver in extremis le club en Championship. Hyperactif sur son banc, il a appris que « garder heureux un groupe de 27 joueurs égoïstes et remplis de testostérone est presque impossible. Je dois rester concentrer pour garder leur respect. Si je traite un joueur de manière injuste, je ne peux pas lui demander de répondre, car j’ai tort. Le christianisme me permet d’être honnête et d’avoir un équilibre ». Devenu la boussole de Luton, Jones sait aussi qu’il n’est pas chez Crésus. En 18 ans, le plus gros transfert se nomme Simon Sluga, un portier croate bouclé pour 1,5 million d’euros. C’est dire la marge de manœuvre. À Luton, on opte pour les prêts, les bons plans de fin de carrière et une cellule de recrutement ultra performante quand on sait que les mastodontes de Londres sont à une heure de route. Le tout en écartant les contrats de sponsoring avec les sociétés de paris sportifs. Troisième plus petit budget de Championship, Luton n’est « pas un eldorado pour le pognon », jure Steeve le supporter. « Il n’y a pas une flopée de loges VIP. Les joueurs qui viennent ici pour l’argent ne sont pas malins. (Rires.) On a vraiment des mecs qui se battent pour le maillot. »

Ascenseur XXL

Au pays de la ligue de football la plus rentable du monde, Luton détonne. Et s’avance, accompagnée de 19 clean sheets en 46 matchs de saison régulière, vers des play-offs qui pourraient effacer trois décennies d’absence dans l’élite. Enfin, effacer, pas vraiment. « Ce qui nous est arrivé en 2008, ce châtiment que nous avons eu, fait aussi ce que nous sommes aujourd’hui, assure Derrick sous sa tunique orange emblématique de Luton. On s’est reconstruit avec des propriétaires qui n’ont pas fait miroiter monts et merveilles. Je n’ose imaginer que l’on pourrait se retrouver en Premier League après tout ce que l’on a vécu. » « On n’y est pas encore, prévenait Nathan Jones, samedi dernier, après le succès face à Reading entérinant la qualification en play-offs. Quand on voit le budget des cinq premiers du championnat et le nôtre, je ne peux qu’être fier de ce qu’on a fait. On ne peut pas minimiser. Mais nous ne sommes pas encore au sommet. » Kenilworth Road au milieu des cadors de la Premier League, ça ressemblerait à quoi ?

On ne gagnera pas chaque match évidemment, mais ce sera extrêmement compliqué de venir gagner ici. Ce stade est si compact, la pression sera forte. On va les faire flipper.

« À une forteresse, promet Steeve. On a un pelouse en plastique, personne ne nous aime. » Pour Ruppert, la soixantaine et quelques dents laissées en route, « on ne gagnera pas chaque match évidemment, mais ce sera extrêmement compliqué de venir gagner ici. Ce stade est si compact, la pression sera forte. On va les faire flipper. » Quand bien même un nouvel écrin de 23 000 places prend forme à quelques kilomètres de là, Luton pourrait, en cas de montée, disputer une saison de plus à Kenilworth Road, comme depuis… 1905. Ernest jubile déjà : « Ce stade n’incarne pas la Premier League, il ne rentre pas dans le moule. Et puis il sera impossible de se procurer des places. »

Mais toujours possible de raviver les souvenirs lorsque Liverpool débarquera peut-être à Luton. « En janvier 1987, rejoue Ernest, on avait fait un nul contre eux en coupe, sous la neige. Quelques jours plus tard, on les a battus 3-0, c’était magique. » « On les battait régulièrement, achève Steeve. C’était la grande époque. » Un temps plus si lointain désormais : « La FA n’a pas su nous détruire, nous sommes toujours vivants. Nous avons survécu et nous serons la première équipe de l’histoire à avoir connu la première division, puis la cinquième avant de revenir tout en haut. C’est ça Luton. »

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Guide de survie : comment ne pas prendre de but sur corner contre Arsenal
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Par Florent Caffery, à Luton

Tous propos recueillis par FC sauf Nathan Jones.

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